"Marry me girl, be my fairy to the world, be my very own constellation"
Alors que je quitte (enfin) les méandres de la Californie, je me lance le morceau des Red Hot et je me dis que la seule vraie Californication, c'est ça. Un morceau de cinq minutes. Simple, efficace. Un truc qui te tape droit dans le bide. Pas cette chose hybride, mi-roman mi-série. Parce que c'est ça le piège de Californication : c'est qu'on ne peut prendre ça ni comme une série ni comme un roman (ouais un roman graphique, ne pinaillons pas). Oui, un truc bâtard, entre les deux, qui tente de survivre sans se faire achever par la Main qui l'a créé. Chaque saison funambule sur un fil encore plus fin que la précédente. Plusieurs fois, ça risque de tomber dans le vide, et on se dit "Si ça s'arrête maintenant, ça peut être jouable et on peut éviter un naufrage complet". Mais non, on court toujours plus vite sur une corde de plus en plus fine, alors bon. Arrive ce qui doit arriver. Ça se casse la gueule. Au ralenti. Mais les dégâts sont irréversibles.
Déjà, l'arc scénaristique principal des sept saisons (oui, des sept) repose sur un seul et même sujet : "Comment Hank Moody peut-il récupérer la femme qu'il aime tout en continuant à se comporter comme un gamin égoïste et légèrement casse-burnes ?" Quand on a un arc scénaristique aussi restreint et un tel nombre de saisons, on essaye de varier les intrigues secondaires. Mais là, c'est difficilement le cas. Chaque histoire secondaire tourne toujours autour de Hank. Et ça devient chiant, à la fin. Au début, ça passe, on se dit qu'il cherche à être partout tout le temps, que c'est dans sa nature et qu'il a besoin de compagnie. Et à la fin c'est juste horripilant. Sur les 7 saisons, je crois pas qu'il y ait un seul épisode où il n'a pas un rôle à jouer (peut-être les histoires de cul entre Charlie et Marcy, mais encore, c'est assez rare).
C'est cette omniprésence qui finit par faire tourner en rond la série. Tout tourne autour de Mr.Moody alors évidemment, les intrigues s'étranglent vite avec leurs propres cordes. La fin de la série en devient le cas le plus symptomatique : alors que Becca devrait être, en toute logique, au centre des attentions, non, les scénaristes braquent encore une dernière fois la caméra sur la tronche de David Duchovny pour bien nous faire comprendre que c'est lui le héros et que celui qui osera prétendre ou croire le contraire n'a rien compris à la série. D'ailleurs, la dernière scène de la bagnole sous le soleil couchant de la Californie appuie encore plus ce propos. La voiture d'Hank Moody devient, après tout de manière assez logique, une partie du corps de celui qui l'a conduit.
Si l'amour est le moteur de la série, alors le cul et la baise sont ses carburants. Un truc bien lourdingue, qui a fait, bon gré mal gré, la renommée de la série. Alors on dira ce qu'on voudra, voir des boobs, une saison, ça va, au bout de sept, on a juste envie de dire que ça aurait été plus rapide de signer pour du porno, quoi. C'est rare un épisode où on voit pas des gens à poils en train de baiser, très clairement. C'est souvent explicite, c'est pas forcément utile pour la compréhension. C'est juste une composante de la série, comme l'est le boulot de mécanicien des bikers de Sons of Anarchy.
Les personnages principaux, comme Becca ou Karen, glissent de plus en plus vers des rôles de personnages secondaires, tellement Hank prend toute la place. Ça en devient limite frustrant. Alors oui, les scénaristes laissent les intrigues se développer aussi de leur côté, mais il n'y a jamais vraiment de cassure net entre Hank et les autres. Les vrais personnages secondaires, ceux qu'on aperçoit de temps en temps, comme Atticus Fetch ou Lew Ashby se retrouvent toujours liés à Hank et Karen d'une manière ou d'une autre. Pour ces personnages secondaires, c'est le schéma contraire à celui de Hank qui s'applique : à la base tout à fait détestables, on finit par s'y attacher.
Venons-en au nerf de la guerre : l'écriture. Hank Moody est un écrivain perdu dans les méandres de sa vie, qui passe plus son temps à boire qu'à écrire des bouquins. Quand il en écrit, il se passe toujours quelque chose qui l'empêche d'aller au bout : vol, mort, renvoi... Bref, il essaye de bien faire, mais y'a toujours des trucs pour se mettre dans sa voie (ce qui est dommage quand même, vous l'avouerez). Arrive à un moment où les rebondissements sont tellement gros que c'est juste pas possible, et on change de registre. On passe de comédie dramatique à science-fiction. Alors bon, l'écriture, c'est plus un leitmotiv qu'une réelle ambition de la part des scénaristes. Elle est loin d'être centrale. Proportionnellement, Hank doit passer plus de temps à tringler des nanas plus jeunes que lui et boire comme un alcoolique notoire plutôt que d'écrire et de se sortir les doigts du cul.
La saison 7 est symptomatique du membre fantôme : on essaye de faire bouger quelque chose amputé depuis belle lurette. Et on a l'impression que ça fonctionne. Et non. J'ai eu un déclic dès le premier épisode de cette saison en me disant "Non, trop c'est trop, stop". Parce qu'une septième saison où l'on alterne quiproquos, aperçus fortuits de relations sexuelles, grosses murges et des "Sorry it won't happen again. I love you Karen, tell me what to do", c'est un peu prendre les téléspectateurs pour des loutres de mer, incapables de regarder un truc en se faisant un avis concret.
La BO reste une bouée pour la série. Elle est dosée avec intelligence, entre morceaux softs et d'autres plus bruyants. Les morceaux sont adaptés à chaque situation. On peut dire que les producteurs n'ont pas chiadé cet aspect, et c'est certainement ça qui sauve la série. On a le droit à quelques reprises assez magistrales (je pense notamment à Paranoid ou Nothing Else Matters) et des morceaux originaux, comme celui de Tim Minchin.
Série plus que moyenne, j'ai presque envie de dire que, pour en arriver au même stade, on aurait pu s'économiser les saisons 2,3,4,5,6 et 7, l'arc scénaristique n'aurait pas bougé et la fin aurait été sensiblement la même. Alors bon, la saison 2 est cool parce que Lew Ashby est un perso sympathique, la saison 4 est pas mal, parce que Becca se met à faire vraiment de la musique, mais sinon, l'intérêt n'est pas vraiment au rendez-vous.