C'était voici quatre ans, Bruno Dumont, ex prof de philosophie, 60 ans en 2018 et né à Bailleul (dans le Nord, non loin de là où Dany Boon est né, lui aussi) présentait une mini-série mettant en scène d'une manière très caricaturale et burlesque des "ch'tis du Pas de Calais", habitant des fermes dans les campagnes, non loin du cap Gris Nez sur la côte d'Opale, histoire appelée : "Le p'tit quinquin".
Pour les néophytes, il faut savoir que la locution vient du patois nordiste et signifie "le petit enfant", et a été rendue célèbre grâce à sa chanson, façon berceuse, créée en ch'ti et écrite par Alexandre Desrousseaux : "Dors min p'tit quinquin, min gros pouchin min gros rojin (...)"
Le sculpteur Depléchin leur a même consacré une statue érigée non loin du centre de Lille (Nord)...
Le réalisateur de la série pensait avec ce titre y mettre en vedette son p'tit quinquin (au bec de lièvre) à lui, mais habitant Audinghem (Pas de Calais) et sa copine (Eve) Dans une affaire de crimes et de transport de vache en hélicoptère, où deux fins limiers de la gendarmerie enquêtent : le commandant Van der Weyden, et son dévoué collaborateur Carpentier (en ch'ti, prononcez "Carpentchié") le premier bourré de tics, et friand d'expressions "bateau" ou banalisées (c'est le bordel, heureusement que la gendarmerie est là, Carpentchié !") Le second dont le faciès ferait la joie des caricaturistes les moins inspirés et qui n'a pas inventé la poudre !
Surpris : le côté pittoresque et les gueules de pied nickelés des deux comparses avaient reçu un tel intérêt amusé du public, que contrairement à toute attente (et même de celle de Dumont, sûrement) ceux-ci ont volé la vedette au p'tit quinquin ! Comme les Dupont Dupond dans Tintin ! L'histoire avait alors attiré beaucoup de téléspectateurs qui attendaient depuis 2016 une suite et la résolution de l'énigme, mais en vain : Bruno Dumont n'étant pas chaud, d'autant qu'il préparait sur le même thème un film : "Ma loute" (diminutif de biloute) sorti en 2016 mais n'ayant reçu qu'un succès d'estime avec 561 000 spectateurs en salles. A cause d'un casting inadapté, probablement ?
Le réalisateur a renoué avec son héros antérieur mais voilà, en quatre ans le "petit enfant" a beaucoup grandi et ne pouvait donc plus être appelé décemment "p'tit quinquin", encore que... Il a donc été rebaptisé Coincoin : les Tuche apprécieront... Quant à sa copine, elle est devenue "gouine" (sic : c'est lui qui le dit !)
Bref, le directeur de casting n'a pas eu trop à se fouler : on a repris les mêmes pour recommencer de nouvelles histoires mais remercions quand même Clément Morelle d'avoir sélectionné ici de nouveaux comédiens, tout aussi pittoresques que ceux que l'on connaissait déjà...
Cette fois-ci, Bruno Dumont dans son scénario a décidé de "pousser le bouchon encore plus loin" et de nous conter ce que Astérix redoutait tant : que le ciel lui tombe sur la tête ! Sauf qu'ici, ce n'est pas le ciel qui tombe, mais de la "merde" sous forme d'une masse visqueuse noire, genre mazout boueux comme une marée noire, qui tombe sans prévenir ça et là, et forme au sol une flaque de glu peu ragoutante qui bouillonne, et lance des jets ! La manifestation ovniesque (dixit police scientifique) s'accompagne d'une sorte de lueur errante qui foudroie celui sur lequel elle tombe, et le fait accoucher aussitôt de son propre sosie ! Bref, Dumont nous fait évoluer vers une science-fiction aussi caricaturale que grotesque, et ce pour notre plus grand plaisir si on se débarrasse de ses principes cartésiens et de son éducation judéo-chrétienne.
C'est original, surprenant, et on n'a pas le temps de chercher à comprendre ni de s'ennuyer car victime de sa formation philosophique, Dumont nous promène au fil de l'histoire dans l'actualité ou le délire calculé : réflexion sur la pédophilie en rencontrant deux prêtres, promenade sur la côte d'Opale où le camping et ses mobile-homes luxueux ne sont pas très loin du camp d'immigrés du calaisis, de la rencontre d'habitants déguisés et de"grosses têtes" au lendemain du carnaval local. Tout ceci sur fond musical de la fanfare d'Audinghem (endroit français le plus proche de l'Angleterre) Ou encore de rodéo automobile exercés non par une jeunesse turbulente mais issu des facéties inventives de notre ami Carpentier : oui, oui, le propre adjoint du commandant qui fait rouler son panier à salades sur deux roues comme Belmondo jadis ! Econome en pneumatiques, pas en carrosserie.
Bien sûr; ces épisodes ne vont toujours pas plaire aux Calaisiens, habitants du département, enfin à une partie sûrement, pas plus que ceux du p'tit quinquin. A la police non plus peut-être, qui par ailleurs, bénéficie ici de superbes installations en front de mer qui feraient rêver plus d'un vacancier.
Mais vous l'aurez compris, on nage dans le surnaturel, l'humour poussé à son paroxysme, et tant pis pour les esprits terre à terre ! Les plus philosophes trouveront aussi matière à établir des réflexions métaphysiques à souhaits... Quant aux étudiants en médecine, ils pourront phosphorer sur cette épineuse question : "les tics de Van der Weyden sont ils la manifestation du malaise dans la gendarmerie ?"
Et puis j'ai vu les troisième et quatrièmes épisodes : les deux premiers auraient dû suffire car ils sont pénibles à suivre, redondants inutilement ! C'est bien trop long et il ne se passe rien de neuf. Dumont fait traîner son histoire en longueur mais l'inspiration n'y est plus : le scénario tourne en rond comme les acteurs vers la fin de ce film. Quant à la fin, ne cherchez pas quelque chose de rationnel ou de cqartésien : c'est comme dans le p'tit quinquin : on ne sait toujours pas qui est le criminel !
En attendant, n'oubliez pas vos parapluies !
Arte les 21 et 28.09.2018
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