Quel bonheur. Voilà des années que cette chaîne m'occupe et je réalise en avoir à peine parlé à droite à gauche. La fiche de l'émission n'existait même pas, en fait. C'est quoi, DP/30 ? Des entretiens avec des artistes d'Hollywoood, à la durée moyenne de 30 minutes. C'est tout.


On le sait depuis l'arrivée de la télévision, le rapport entre images et public ne peut évoluer que dans un sens : davantage de contrôle du spectateur sur le contenu. Avant, la salle était le seul moyen de consommer des images en mouvement. Avec la télé, on a commencé par zapper d'une chaîne à l'autre, puis à faire avance rapide sur les films une fois le magnétoscope arrivé. On peut aujourd'hui mettre sur pause un programme télévisé (de la SF, à l'époque de nos darons !), remonter les films pour peu qu'on manie un minimum les logiciels de montage et, avec les smartphones, se mater une tonne de séries et de vidéos tout en gérant Instagram, Uber, Tinder et les mille autres applis (utiles ou fun, peu importe) qui réclament leur part de temps de cerveau.


A ce sujet, le dernier Scorsese est limite une anomalie, lui qui dure 3h30 non stop et sort sur la plateforme qui propose de zapper les génériques histoire de vite accéder à la vidéo suivante. La technologie rend impatient, tout ça pour dire qu'à notre époque où les studios font carrément des mini trailers au début des trailers, la trouille de ne pas capter notre attention est omniprésente, maintenant qu'on peut regarder une autre fenêtre à tout instant. Davantage que le grand écran, davantage que le spectacle et le fait d'être hors de chez soi, voilà ce qui sépare la salle de ciné de toute autre forme de diffusion : on ne contrôle pas le programme, on ne modifie pas le rythme du montage.


Le générique de DP/30 ne paye pas de mine, avec son logo et lettrage qu'on croirait sortis d'une version préhisorique de InDesign et torchés par un élève de 4e pressé d'en finir. Avec le recul, cet aspect cheap colle à l'esprit de la chaîne, qui se débarrasse intégralement du superflu. Pour qui ne jure que par les interviews sympatoches mais expéditives en mode Konbini (d'ailleurs émulées par SensCritique, damn !) et autres rois du journalisme fast food, tomber sur DP/30 revient à enchaîner un épisode de Master Chef avec un documentaire de Wang Bing.


En beaucoup plus fun, ceci dit ! DP/30, dans la majorité des cas, c'est du plan-séquence pur et dur. Pas de coupe pour te secouer la rétine, aucune citation en gros caractères façon Quotidien pour te marteler une phrase-clé à retenir ou guider tes impressions. Bon sang, même les intitulés des interviews sur YouTube se passent complètement, à ma connaissance, de citations racoleuses ! Le titre du film, le nom de l'artiste, et basta.


Dans la même logique, zéro musique de fond pour accompagner la parole des artistes. Aucun empressement, façon 28 minutes sur Arte (entre autres talk shows), à ce que l'invité finisse ses phrases. On y savoure toutes les hésitations, les éclats de rire, l'enthousiasme, les parenthèses inattendues qui jalonnent une discussion. On s'y sent aussi bien que si on était posé dans la même pièce, sans aucun agent ni attaché de presse en sueur pour annoncer que vu l'heure, "il est temps de poser une dernière question".


Soyons clairs, la note accordée à DP/30 ne signifie pas que c'est l'émission de cinéma la plus intéressante, fouillée qui soit. Mais dans la limite de ses ambitions, elle est à mes yeux parfaite. Des invités célèbres à qui on ne coupe pas bêtement la parole et dont la personnalité afflue, avec la complicité d'un type qui reste toujours hors-champ et dont seule la voix intervient, ça n'a strictement rien de révolutionnaire et c'est pourtant, en 2020, hyper agréable, rafraîchissant.


«It's so nice to just have a chat», lâche Saoirse Ronan suite à son interview pour la sortie de Lady Bird. Voilà qui résume bien l'ambiance chaleureuse de cette chaîne à la simplicité épatante, qui demeure aujourd'hui une merveilleuse bouée de sauvetage au moment de rentrer après le boulot, de me poser et de me détendre sans m'assomer de notifications inutiles et de likes oubliés dans la seconde, ni sombrer dans l'austérité ridicule du type qui prétend ne pas se prendre la tête tout en écoutant Deleuze une fois la journée finie.


C'est ce genre d'entre-deux qu'incarne DP/30, relaxant et intéressant à la fois. Plus que des entretiens, la chaîne de David Poland propose des rencontres. Et ce genre de posture, à l'ère du fast thinking, c'est un joli cadeau. Reste à espérer des sous-titres français un de ces quatre, que je profite des parties qui échappent régulièrement à mon niveau d'anglais !

Fritz_the_Cat
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le 1 févr. 2020

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Fritz_the_Cat

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