Devilman Crybaby
7.4
Devilman Crybaby

Anime (mangas) Netflix (2018)

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Le plus grand dessin animé pour adultes de tous les temps ?

Le titre est sans aucun doute une blague autour des noms de héros américains genre Superman, Batman, et la mise en scène quand le héros se nomme confirme l'intention parodique : on songe alors que, du même auteur, Goldorak, machine à cornes qui rend la Justice, représente la force subtilisée à l'ennemi maléfique qu'on va combattre ensuite. Mais, accrochez-vous, car le titre est loin de délivrer la profondeur du chef-d’œuvre que vous vous apprêtez à vivre.
Devilman est un manga culte de Go Nagai que je n'ai pas encore lu, mais je vais très vite me rattraper. Or, j'ai regardé le premier épisode sans savoir que c'était une adaptation de Go Nagai, ni d'un ancien manga d'ailleurs. J'étais sidéré par ce que je voyais. C'était puissant, poétique, efficace, un décalage réussi, un onirisme de folie, des audaces vertigineuses dans les ellipses de la narration. Au lieu de regarder la suite, j'ai regardé une deuxième fois le premier épisode, tant j"étais fasciné, et après je me suis couché, parce qu'il fallait bien, mais en me disant que je prendrais la plage horaire nécessaire et confortable pour regarder cette série courte de dix épisodes. Et là, on me dit que c'est une adaptation d'un manga de l'auteur de Goldorak, un manga quasi contemporain de l'écriture même de Goldorak. Le grand écart est considérable. La violence de Goldorak dérangeait à l'époque, mais l'animé n'offrait pas de sexe, avait un propos moral des familles, et on avait en un épisode un récit clair, posé, articulé, tout à fait conventionnel. Le dessin s'éloignait du cartoon d'un Tezuka pour aller vers ce qu'on dit le réalisme dans la japanimation. Il y avait des phases d'onirisme dans Goldorak, genre pour donner un exemple un peu gros la fausse apparition de Père Noël, mais ce n'était pas du tout le même traitement. En plus, dès le premier épisode de Devilman crybaby, on a du rap chanté par les personnages et intégré à l'action, et on a des portables, internet, les smartphones, et tout cela participe du scénario. Par exemple, à un moment donné, on a une course contre la montre pour ne pas qu'une vidéo se retrouve sur internet dans le deuxième épisode, sinon dans le troisième.
J'ai regardé une troisième fois le premier épisode, puis j'ai donc enchaîné les neuf autres épisodes, dans la nuit sans le confort prévu. Format court efficace, ultra puissant. Il y a bien une petite baisse de régime après quelques épisodes, mais ça ne s'affaisse pas tant que ça pour autant. Il y a bien quelques maladresses ou quelques symboles qui sont un très fort indice de superficialité au milieu d'une scène où les gens expriment leur valeur, par exemple le gars avec son collier doré et son signe du dollar, ça ne passe pas trop, même si j'ai bien compris que cette fausse note est fait exprès. Le rappeur et ses codes vestimentaires représentent un équivalent pour notre époque de ce qui est mal vu et donc considéré comme peu humain, mais ce qui marchait avec des contestations du passé ne marchent pas avec le rap qui est trop compromis en retour par la superficialité, l'arrogance du pouvoir, la reconnaissance de l'argent et les réflexes grégaires. Le rap revient plusieurs fois et s'éternise un peu. Deux fois, on a une chanson de rap qui s'éternise et c'est fatigant et con. Je n'aime pas le rap, je trouve ça mauvais comme genre musical, mais je ne sanctionnerai pas pour autant. Dans le premier épisode, il est super bien introduit puisqu'effectivement des jeunes poseurs un peu bébêtes qui abordent avec leur rap ça existe, beaucoup mieux en tout cas que lorsque le gars fait sa déclaration à la jeune fille aux fleurs un peu plus tard, même si alors ça partait bien avec le glissement imperceptible du parlé au rap qui n'est pas possible avec d'autres formes de chant. Puis l'animé a de telles qualités qu'on peut pas s'amuser à chercher de petits défauts, s'amuser à se frustrer de la présence du rap pour rabaisser d'un point la note. Vers la fin, il y a aussi une petite fausse note, mais je mets un cache pour ne pas spoiler, et une fausse note qui va de pair pourtant avec de la prise de risque, une vraie recherche dans l'exécution, un sens du détail graphique, etc.


Le héros transformé en démon essaie de sauver des humains massacrés par la foule. La position pataude en plan fixe d'un portrait en pied passe un peu mal, et le côté bons sentiments rompt un peu avec l'unité de ton d'ensemble de la série. Même la foule qui, au lieu de fuir, lapide un tel monstre qui en impose et qui vient de surgir là, ça fait peu crédible. La foule met ensuite beaucoup de temps à se calmer, ça, en revanche c'est bien même si ça prolonge l'invraisemblance qu'ils n'aient pas peur, et on voit le contraste entre ceux qui sont touchés et ceux qui continuent de monter les autres. On voit que les enfants sont les premiers à comprendre et qu'ils donnent la leçon aux adultes. Or, Miki a pris le relais sur internet. On a une magnifique surimpression car l'image du héros lapidé par la foule, puis couru par les enfants, est recouverte par les messages écrits par elle et ceux qui réagissent à ce qu'elle écrit. Le discours de Miki, c'est un peu le démonstratif dans lequel se complaît notre époque. Les messages témoignent en partie de la présence de gens qui sont longs à la détente comme dans la foule toujours en train de lapider le héros, mais donc il y a une conversion soudaine de la plupart des gens. Je n'ai pas trouvé cela 100% naturel, mais si on juge trop la vraisemblance on ne fait plus rien d'artistique, car la scène a une logique, une construction bien charpentée, ça le fait quand même jusqu'à un certain point, c'est pertinent dans le message à faire passer, dans la logique d'ensemble de la série, juste peut-être une note qui n'est pas conforme au reste de la série. On a les adultes qui s'excusent auprès du démon, c'est un peu kitsch, mais on a eu aussi pour une fois du texto d'internet qui n'est pas livré dans tout le vulgaire prosaïsme habituel, on a eu du style dans la graphie, dans la manière d'introduire le texte et l'image, on a eu aussi du style dans le fait que l'image et on va dire les textos suivaient le même développement, c'est deux trucs qui se superposaient et se tissaient ensemble, donc c'est de l'art à quoi on a affaire dans tous les cas.


Difficile sans avoir lu le manga de bien départager ce qui vient de l'auteur originel et ce qui vient de la nouvelle touche. Du moins, on comprend que l'auteur originel avait une histoire géniale et que tous les excellents discours "philosophiques" de l'animé viennent de lui, tout le message vient de lui et la fin de la série respecte sans aucun doute l'intégrité du message originel. Les éléments anachroniques pour l'année 1973 sont forcément à l'actif du réalisateur de la série. Les transformations du scénario ont l'air d'avoir une certaine importance, même si l'histoire globale a dû être bien suivie. Mais mes questions sont sur la réalisation, tant ce qu'on voit est magique. Le réalisateur a forcément dû transcender l'original sur certains points. Il apporte sans aucun doute possible sa griffe, sûrement à partir d'éléments géniaux initiaux qu'il a su déployer.
Rien que dans le premier épisode on a cet enchaînement vertigineux où d'ailleurs tout n'est pas clair dans les mouvements des personnages, tant il y a une découpe un peu folle, une sorte de récit non fluide mais fracturé. On a une sorte de fantaisie dans l'enchaînement de leurs actions, mais bref, sur la jetée, le héros se fait emmener par une intervention sauvage de l'homme habillé en blanc. Ils partent à vive allure en voiture sur le côté de l'écran, plus tard suivi en vain par la fille Miki championne du sprint, toujours le côté fuite ou aspiration d'un côté de l'écran. On suit la conversation des deux hommes dans la voiture. On a des images frontales de la route qui défile dans la nuit (peut-être allusion au film Lost Highway des années 90 du réalisateur d'Elephant man), ça sent une certaine culture du rapport à la vitesse automobile en ligne droite des années 70. Alors, c'est esthétisé et customisé, mais avec un minimum de traits. On a des passages de l'extérieur avec la route, puis de l'intérieur de l'habitacle, avec une esthétisation de malade, des angles de vue qui friment et tout, et puis l'autre explique pourquoi il l'a emmené, que les démons existent, il les décrit, et pendant qu'il parle de quoi ont l'air ces démons on a l'image en gros plan des phares rougeoyants de la voiture comme si c'était un regard, on a des petits traits lumineux clignotants qui font le tour des bords de la carrosserie, des cliquetis démoniaques de la fascination. C'est éblouissant de génie artistique simple et efficace. Le côté démoniaque de la voiture est dit en passant, avec sa dose de séduction, et puis on est immergés. C'est la grande corruption et on comprend que le démoniaque a une fonction symbolique et qu'il va y avoir une ambivalence possible où le héros est quelqu'un de bien, mais de contaminé.
La scène d'introduction avec les deux héros enfants est elle aussi impressionnante dans sa note, avec le blond qui veut tuer le chat en disant que de toute façon il va mourir vu son état. On ne nous dit pas qu'il veut le tuer pour abréger ses souffrances, on est dans un truc un peu latent qui couve, on se rend compte qu'il veut tuer lui-même plutôt que laisser la Nature faire son oeuvre destructrice. Ce Ryo, il est suspect dès le départ. Puis, on a le propos sur "toi, tu pleures aussi" qui a l'air d'être contradictoire. Evidemment, pour commenter l'ensemble, il faut spoiler la fin. Je vais donc éviter de tout expliquer, mais sous un cache pour spoiler je vais quand même dire en quoi la fin est puissante.


En fait, le héros devient un démon à cause de Ryo qui l'a fait exprès. Ryo a misé sur la capacité d'humain de son ami à résister au cerveau et au cœur du démon. Il y a une incertitude sur ses motivations qui demeurent tout le long de l'animé, même si on comprend que Ryo est un personnage négatif et qu'il est sans doute autre que ce qu'il prétend être. Evidemment, on apprend à la fin que c'est Satan lui-même. Or, le premier épisode commençait avec la voix off féminine de ce Satan qui disait qu'il ne croyait pas à l'amour et que la tristesse n'existait pas. Le héros s'oppose au discours de Ryo, bien qu'il se laisse guider par lui dans l'action. Notre Devilman est super fort, mais à la fin on évite le cliché où il vainc même Satan parce qu'il a l'amour, parce qu'il est le héros. C'est là que la logique de la série prend tout son sens, car le héros se fait tuer et Ryo, qui au passage a détruit l'humanité, dans sa forme d'ange déchu découvre l'émotion qui l'étreint et essaie de faire jouer pour lui la pitié qu'il n'a pas eue pour tous les gens qu'il a massacrés en route. Son châtiment, c'est que tout se retourne contre lui et qu'il découvre sa solitude. C'est une fin originale, qui a du sens, c'est super bien fait.
Dans l'avant-dernier épisode, on pourrait s'attendre à une fin sur le héros solitaire désespéré. En effet, il vient de sauver des gens lapidés par la foule, mais une attaque de démons ruine tous ses efforts, puisqu'il doit fuir, les autres étant autant de dégâts collatéraux pour parler comme le diable américain. En même temps, Miki se fait attaquer, tout le groupe y passe, et même Miki est assassinée, et l'avant-dernier épisode se termine par cette danse macabre ahurissante, où des humains ont embroché des parties des corps de Miki et de tous ses amis humains, et ils dansent avec qui un bout de bras, qui un bout de jambe, au bout d'une pique. Le héros voit cela, et dans sa forme de démon il pleure et il ne punit pas, tout cela sur fond de flammes infernales amplifiées mais censées être provoquées par les fêtes des pseudo justiciers enivrés du massacre. Et donc on enchaîne avec ce dernier épisode, avec le retrait sur une île des deux antagonistes principaux, et leur grand affrontement. Et donc la défaite de Devilman, mais une défaite qui punit l'ange déchu...


C'est un animé qui s'admire pour son message, car on comprend qu'il est question de la survie de l'âme même si nous sommes tous corrompus. On voit par-delà les apparences. Malgré sa corruption, Devilman est bon, mais ça vaut aussi pour la seconde Miki et pour d'autres. Il y a l'idée que l'humanité sépare deux clans entre gentils et mauvais sur des bases qui tirent au prétendu camp du bien des principes de méchanceté infernaux.La réprobation se révèle hypocrite. On voit aussi à l’œuvre la ruse du démon qui annonce la menace qu'il représente pour mieux faire que les humains s'exaspèrent entre eux et s'autodétruisent, mais dans le cache qui précède j'ai dit ce qu'il y avait de fort dans le scénario sur la relation entre les deux héros principaux.
C'est un animé qui s'admire aussi pour son esthétique, même quand elle peut paraître un peu excessivement caricaturale ou décalée, simpliste ou minimaliste. On se prend dans la figure une haute dose d'images très raffinées, très porteuses de sens, très symboliques ou allégoriques. A quelques détails près, même ce que vous trouvez grotesque est employé pour des raisons bien pensées, parce que ça exprime efficacement ce qui doit l'être. Ce n'est pas parfait, il y a quelques baisses de régime, mais impossible de baisser la note. Objectivement, c'est plus de l'art qu'un Your Name, que je trouve mauvais, ou qu'un Miyazaki. Là, ça, Devilman crybaby, c'est de l'art, c'est de la poésie, c'est du Fellini dans l'animation. C'est un sommet de la culture japonaise, il n'y a que Kurosawa et Tezuka qui restent un ton au-dessus dans le cinéma, le manga ou l'animation.
Le premier épisode, on peut le regarder en boucle, et l'opening, la vache ! Je ne parle pas de la musique, même si ce rythme avec ses effets de basse a son importance, je n'en changerais pas, mais regardez les images, le mouvement vers l'avant des images, le Devilman qui apparaît et qui recule dans le ciel avec le mouvement de sa longue queue infernale, le face à face des deux principaux protagonistes de l'histoire dans un crayonné sur fond de visages blancs de page vierge avec les pointes accentuées des cheveux, du regard, des sourcils, du menton... Même dans l'opening, il y a du top niveau.
De toute façon, j'arrête là pour ne pas partir dans une revue décousue de tout ce que cet animé a de génial.


EDIT :
Il est possible de repérer dans ces dix épisodes les indices d'une création à moindre coût, mais il faut faire attention à ne pas aligner la valeur artistique sur ce constat. Cette série parle non seulement de sexe, mais aussi de drogue, ce qui justifie plus nettement qu'elle soit considérée comme une série pour adultes et non pour enfants. En ce qui concerne la vulgarité des images sexuelles, il faut là encore du recul critique. On trouve des figurations sexuelles crues et caricaturales dans le cinéma de Fellini, et pour les scènes d'accouplement très vulgaires de Devilman crybaby qu'il suffise de citer le film Ginger et Fred avec les images grossières de bouffe, etc., au prosaïsme lourd bien accentué.
Après, au plan du message j'ai dit que le remake respecte probablement l'oeuvre originale, mais l'allure des personnages peut légèrement contredire ce point. Je vais lire le manga pour évaluer le changement. Dans cet animé à message, il y a des couacs au niveau du message. D'abord, il y a une transposition pour dire qu'il ne faut pas juger la bande de racailles qui écoutent du rap selon les apparences, mais assez nettement il y a une distorsion peu convaincante du message sur ce plan-là, surtout avec le symbole du dollar en collier. L'autre grosse erreur, c'est sans doute la scène trop narcissique et trop dans le démonstratif contemporain avec un plan fixe du héros qui sonne faux quand il protège des gens en train de se faire lapider et qu'on a une grosse bataille des idées par messages sur internet en prime. C'est artistique, mais ça sonne faux. Le dernier point qui me vient à l'esprit, c'est la platitude du fan service quand le héros transformé retourne à l'école et est suivi de toutes les filles qui fantasment sur lui, faudra que je vérifie si on a une scène aussi nulle dans le manga d'origine.

davidson
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le 30 avr. 2019

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davidson

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