Ergo Proxy: "Autrui est secret parcequ'il est Autre"
L'anime 'Ergo Proxy' exploite les codes de la mouvance 'cyberpunk' avec une certaine fraîcheur, ainsi qu'un style graphique brillant et inimitable. Si la trame générale de l'histoire est relativement convenue, et reprend nombre des éléments d'intrigue classiques du genre - je pense aux romans et nouvelles de Philip K. Dick et de William Gibson, un soupçon de nouveauté et d'audace traverse cette oeuvre... L'habileté des auteurs consiste ainsi à faire référence à des philosophes, notamment Gilles Deleuze et Jacques Derrida, ayant collaboré de manière intensive au débat ontologique, i.e. des questions métaphysiques relatives à l'être, à l'étant. A ces interrogations que l'on pourrait qualifier d'existentielles, personnifiées par le personnage de Vincent Law, se mêlent des questions de politique, et des références leibniziennes parcourent l'oeuvre, notamment par le truchement du concept des 'monades', modèles de cités-états autonomes (dont on retrouve l'écho chez Robert Silverberg, fameux écrivain de science-fiction américain auteur de la nouvelle 'Les Monades Urbaines').
La tension est palpable entre une conception scientifique aseptisée, utilitariste à la John Stuart Mill, et une vision plus poétique et artistique de la Vie; à cette tension s'ajoute le Doute que l'on pourrait qualifier de kantien quant à la Transcendance et à l'éventuelle Destinée... Le nom du dernier refuge de l'humanité, havre où peut mûrir une vie qualifiée de 'parfaite' - en fait un délire eugéniste de survie, "Romdeau" traduit lui-même cette tension, en ceci qu'il fait écho au genre poétique du rondeau, fort répandu en France au Siècle des Lumières - et dont le poète Joë Bousquet est un représentant plus contemporain...
L'on pourrait croire à la lecture de cette critique qu'Ergo Proxy est une oeuvre contemplative empreinte de réflexion 'à la japonaise', chiante au possible et dénuée d'intérêt autre que l'onanisme intellectuel... Il n'en est rien! En effet, l'action et l'atmosphère alternent entre climat oppressant à souhait et moments comiques, voire attendrissants - notamment le personnage en un sens tragique de Pino (aisément identifiable au Pinocchio du conte italien). L'on ressent une fois de plus la fascination des Japonais pour la technique, et plus particulièrement pour les robots. Le glissement ontologique présente ces derniers sous un autre jour; et l'on retrouve de manière palpable l'atmosphère de Ghost in the Shell.
J'avoue avoir hésité de prime abord à voir cet anime, convaincu de contempler à l'arrivée une resucée dénuée d'originalité de G.i.t.S. Il me faut battre ma coulpe, car le studio WOWOW, associé à GENEON, a fait un excellent travail - et j'insiste sur le style graphique exceptionnel, totalement en phase avec la tonalité générale assez sombre, alternant avec des couleurs vives dans les rares moments d'espoir (toujours relatif); de même la bande originale, quoique moins spectaculaire, est de qualité, tout à fait appréciable et collant à l'ambiance de la série.
Je ne dévoilerai pas l'intrigue, mais j'encourage vivement les indécis à investir dans le coffret intégral de la série en D.V.D. (il me semble que celle-ci n'est pas disponible en Blu-Ray). Le travail de doublage a par ailleurs été remarquable; nul besoin de regarder l'oeuvre en V.O.S.T.FR pour profiter à plein de cet anime d'une qualité aujourd'hui malheureusement de plus en plus rare - le flot de Ecchi et de gros nibards semblant l'unique critère de sélection des studios, à quelques (heureuses) exceptions près...