Game of Thrones
8.2
Game of Thrones

Série HBO (2011)

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Game of Thrones bénéficie du statut de série-phare de sa chaîne, HBO, et du paysage audiovisuel dans son ensemble. Elle a réussi à s'attirer les louanges des spectateurs et de la critique, a été récompensée par moult titres et honneurs, et bombardée parmi le top 5 des meilleures séries de tous les temps. Peut-être un peu trop vite.

Il est indéniable qu'elle démontre une qualité réelle, qu'elle doit tout d'abord aux livres. Je suis un lecteur avant d'être un spectateur de cette série, et mon jugement ne peut se départir de sa dimension d'adaptation. Car si la série fonctionne, c'est avant tout par l'histoire qu'elle raconte, et la complexité des intrigues et des personnages. Il y a certes la mise en images, jamais évidente, surtout pour une oeuvre aussi foisonnante que celle de G.R.R. Martin, mais cela reste plutôt secondaire.
J'ai été enthousiasmé par les premières saisons, qui étaient une réussite sur le plan de l'adaptation mais aussi des choix originaux. Quand les deux créateurs de la série inventaient un dialogue ou une sous-intrigue, c'était bien écrit, bien joué. Le casting est formidable, mis à part quelques déceptions. Et surtout, l'ambiance était là, le souffle du récit, mais qui ne venait pas empiéter sur la qualité des dialogues. La série prenait son temps.
Cet enthousiasme est retombé au regard des deux dernières saisons, où l'adaptation s'est dégradée (il y avait eu des signes dès la deuxième saison). Le problème principal n'est pas tant la fidélité aux livres : il faut que la série vive aussi par elle-même. Le problème est que les choix faits pour donner une identité à cette série, pour conserver une cohérence et une cohésion à un récit qui se disperse souvent, se sont transformés en retour à des grosses ficelles, et à une exagération sur les traits caractéristiques de la série : "valar morghulis", justification pour tuer à peu près tout le monde, si possible de manière très choquante, scènes de sexe racoleuses et inutiles pour mettre en avant la rapacité et la corruption des personnages, et, dernièrement, créations de méchants très méchants, de gentils trop gentils mais sauvés par les circonstances ou leurs éclairs de génie.
A ce titre, la saison 4 est un gigantesque spectacle d'hémoglobines, d'hormones et de répliques badass. L'ennui, c'est que le nombre de personnages plus-grands-que-nature, qui existent dans les livres, a été porté à un nombre invraisemblable. On ne retrouve plus que des archétypes, le méchant cannibale, le conspirateur qui parle en chuchotant, le prince du Sud à la fois débauché et grand bretteur, la brute épaisse qui massacre des paysans pour le petit-déjeuner. Ce genre de nouveaux personnages n'amène rien à la profondeur thématique, l'un des aspects les plus appréciés des premières saisons. Les dialogues sur le pouvoir, sur la justice, sur l'esclavage, sur la limite entre civilisation et barbarie, n'existent plus, ou retournent à des poncifs. Les combats autour du Mur doivent forcément aller vers une conclusion positive pour la Garde de Nuit, au vu du manichéisme avec lequel sont présentés les deux camps. Daenerys doit forcément vaincre, si possible à grands renforts de séquences monumentales, où elle assène son dialogue messianique très "georgebushien", qui sert de déclic instantané pour provoquer le soulèvement des esclaves. Où est passée le discours de Mance Rayder en saison 2 qui disait à Jon Snow "nous sommes des hommes comme vous, mais seulement du mauvais côté du Mur"? Où sont passées la réticence des esclaves, les complications amenées par le renversement d'un ordre politique pluri-séculaire ? Même la thématique du prophète donne des scène ridicules, à l'image du dernier plan de la saison 3, qui ressemblait à une publicité pour des produits Ushuaia. Trop compliqué à mettre en place ? Il est certain que développer ce genre de discours ne peut se faire en une ou deux scènes. Et l'on sent que les créateurs de la série préfère aiguiser les appétits plus immédiats du spectateur.
Parce que si la saison 4 nous a donné quelque chose, c'est du très grand spectacle. A presque chaque épisode, un temps fort, jusqu'à cet épisode 10 ridicule où tout est compressé et noué en 1h10. Il n'y a plus le temps pour les longs dialogues où les personnages se jaugent, apprennent, et se développent. Il faut que ça aille vite, quitte à sombrer dans l'incohérence totale, où les surprises grossières. Le tout, c'est qu'on ait des moments mémorables, comme ce mariage royal extravagant qui se termine par cette tête de mort terrifiante, ce procès sous tension qui fait exploser la famille au pouvoir, ce duel palpitant qui finit par une autre tête de mort, en miettes cette fois, ce combat titanesque, à grand renfort de faux de quatre mètres de long, et de plan ralenti avec violons derrière, ou le face à face final entre père et fils, conclu par un parricide aussi choquant que mal amené. Tout est lissé, tout est fait pour que l'on en demande plus, qu'on ne se dise pas, à un seul moment, "je m'ennuie, quand est-ce que quelqu'un meurt ?". On prend même un malin plaisir à surprendre les lecteurs, pour les appâter eux aussi, leur montrer que les livres n'ont pas toutes les réponses. Ça marche, forcément, mais au prix de la qualité des personnages, qui sortent d'une galerie déjà explorée (finalement, le Prince Oberyn n'est-il pas un Tyrion qui sait se battre ?), et de la qualité de l'histoire elle-même. Il faut de la guerre, de l'amour, du déchirement, de la passion, de la haine. C'est le sel des bonnes histoires. Le problème c'est qu'il n'y a plus rien à saler, la viande a perdu toute saveur. Les scènes de blabla font peur, alors qu'elles sont nécessaires. Une série avec un tel succès pourrait prendre le temps de grandir tranquillement. Au lieu de cela, on court chercher l'Emmy du meilleur épisode, ou de la meilleure réalisation.

Il reste une série extrêmement agréable à regarder, mais qui se tourne de plus en plus vers le fan service, et qui cherche désormais à faire de chaque grand moment un épisode 9, que les spectateurs attendent fébriles au fond de leur canapé, et qui fera le buzz sur les réseaux sociaux pendant le reste de l'année, jusqu'à ce que le mois de janvier arrive, et que la campagne de matraquage publicitaire commence pour annoncer la saison qui vient. Game of Thrones, série adulée dès sa première saison, a pris le chemin de la rentabilité parce que c'est le plus facile. Mais elle finit par décevoir par son racolage outrancier, et ses dialogues affadis et surfaits. L'histoire de G.R.R. Martin la tient encore, mais l'adaptation se transforme en composition libre, pour donner plus de place à ce qui fait recette, au détriment de ce qui était le coeur du succès de la première saison : une histoire dense, des personnages atypiques et une portée thématique impressionnante.
Hirondelle
7
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le 23 août 2014

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