Hannibal
7.3
Hannibal

Série NBC (2013)

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Il y a quelque chose d’assez masochiste dans le fait de suivre - et d’aimer suivre - Hannibal. Il s’agit d’une plongée lente et douloureuse dans ce que l’humain a de pire. Sans réelle référence judéo-chrétienne (à laquelle la série emprunte l’air de rien sans forcément s’en gaver), je pense qu’Hannibal Lecter, campé par un Madd Mikkelsens magistral, sobre et machiavélique, est assez proche de la définition qu’on peut donner du diable. Fascinant et repoussant à la fois, il est capable, par ses mots encore plus que par ses actes, de répandre le mal autour de lui. Et il aime le faire avec beauté, avec talent...si la souffrance n’est pas élégante, elle n’a pas de raison d’être.

Cette descente aux enfers, le spectateur la suit avec comme fil d’ariane Will Graham (Hugh Dancy, qui met un peu de temps à être convaincant mais est plutôt touchant) , un profiler souffrant d’une sorte de syndrôme d’Asperger qui, s’il le coupe significativement des autres, lui permet d’entrouvrir la psyché des serial killer dont il examine les victimes. Mais ce “don” le détruit et le rend instable, nourissant en parallèle une fascination latente pour les tueurs en série qu’il étudie. Inquiet de le voir basculer, Jack Crawford le confie aux bons soins d’Hannibal Lecter, psychiatre reconnu et estimé lorsque commence la série.

Chronologiquement, “Hannibal” se place quelques mois/années avant “Dragon Rouge”, on sait donc parfaitement comment tout cela va finir. Néanmoins, c’est le chemin emprunté qui intéresse cette série. Et quel chemin…

Le premier point fort de “Hannibal” c’est l’estéthique, surréaliste et presque onirique apportée au visuel : le cabinet de Lecter, les rêves de Will, les meurtres perpétrés, tout a des allures de tableau et une symbolique forte, notamment au travers de ces apparitions cauchemardesques de ce cerf noir, allégorie de la folie qui guette Will. La composition, les couleurs, les lumières, rien n’est laissé au hasard, Brian Fuller et son équipe parviennent à rendre la mort magnifique, une esthétique de la souffrance et de la violence qui inspire fascination et malaise à la fois. Belle synthèse de ce que provoque généralement le personnage d’Hannibal Lecter et par extension les serial killer dans leur ensemble (quoique la réalité soit très différente mais le but de la série n’est pas de brosser une étude sociologique des tueurs en série).

Le second point fort est le couple formé par Hannibal et Will. Et j’emploie le terme couple à dessein, tant -toute platonique qu’elle soit - la relation qui s’installe au fil des épisodes prend davantage des allures de romantisme macabre et de séduction que d’amitié ou de collaboration. Mikkelsens est terrifiant en monstre civilisé : maniéré et posé, il est parfaitement conscient de sa noirceur et s’en satisfait. Et voir le monstre heureux, se délectant de chacun de ses repas - dont on finit par connaître l’identité réelle et qu’on se plaît à nous montrer en vie avant qu’ils ne terminent sous le couteau du boucher - se repaissant de la souffrance et des angoisses de Will Graham le rend horriblement charismatique. Pourtant, à aucun moment le scénario ne trouve d’excuse à Hannibal ou ne lui offre de quelconque rédemption. Il est - à peine - touchant dans son affection pour Will mais celle-ci est si retorse et vénéneuse qu’il est difficile de s’en émouvoir. Et pourtant, on arrive pas à détester Hannibal. Parce qu’il aime la beauté, la glorifie, parce qu’il questionne le monstre en chacun de nous, aussi. Du masochisme, je vous dis.

Cependant, la série n’est pas exempt de défauts, bien au contraire et si ces derniers s’estompent à la saison 2, ils restent des points noirs de la série qui l’empêchent d’atteindre la note maximale, que j’aurais pourtant aimé lui attribuer.

C’est bavard. Bavard. Pire, cela devient verbeux par moments. Si les dialoguistes ont fait un excellent travail, d’une grande finesse, reste qu’ils auraient pu un peu dégraisser le tout, entendre Hannibal nous servir sa science à tout propos - je dis bien à TOUT propos, de la nature profonde de l’âme à la disposition de ce qu’il y a dans son assiette - peut devenir pénible et rend le texte assez prétentieux. Et c’est un amoureux des dialogues qui n’en finissent pas qui parle.

Autre gros défaut, quoi qu’il soit beaucoup rattrapé dans la saison 2, ce sont les personnages secondaires et leur traitement : le risque de faire reposer une série et un scénario sur les personnages principaux et de s’en servir à la fois comme moteur de narration et comme vitrine, c’est d’avoir des personnages d’arrière-plan en carton pâte. Et “Hannibal” tombe les deux pieds dans le piège. Je pense notamment à Alana Bloom, plante en pot et faire-valoir de Will et Hannibal, dont chacune des interventions est une éloge de la vacuité absolue. J’étais presque gêné pour elle, tant elle ne sert qu’à prouver combien Hannibal est meilleur qu’elle dans la saison 1, écœuré par sa lâcheté dans la saison 2 et franchement saoulé de comprendre que sa présence n’était justifiée que par la nécessaire romance/scène de coucherie (le jour où les américains vireront ça de leur cahier des charges, leurs séries y gagneront sacrément, sans amourette décorative). L’équipe de Crawford est totalement transparente mais prend de l’épaisseur dès la seconde saison, on va donc dire que ça rattrape le coup.

Reste Crawford lui-même. Si Laurence Fishburne est très efficace dans le rôle, reste qu’il n’a pas la tâche facile. Je n’ai jamais trouvé Jack Crawford très compétent dans le silence des agneaux, il m’était apparu comme un bureaucrate poussif et pas très investi, laissant tout le sale boulot à sa jeune recrue et la version “série” ne m’a pas rendu le personnage plus sympathique, tant il frise l’incompétence crasse et tant ses questionnements personnels prennent le pas sur sa conscience professionnelle et son esprit d’analyse (le pathos inutile, ça aussi, ils pourraient largement le rayer de leur cahier des charges...et puis jouer les tire-larme avec une épouse cancéreuse dans une série où des dizaines de gens meurent dans des conditions violentes ça frise l’indécence.). Bref, beaucoup de pathos, peu de présence, peu de jugeote, ce pauvre Crawford est à peine la marionnette d’Hannibal. C’est d’ailleurs probablement intentionnel.

Restent tout de même quelques personnages intéressants comme Abigail ou Mason et Margeot Verger, qui sont malheureusement assez peu présents à l’écran. Dommage.

Le rythme de narration est lent, très lent même, un parti-pris qui fait d’Hannibal une série qui ne plaira pas à tout le monde (et ce ne sont pas les scores d’audience qui me contrediront, malheureusement). Et comme je le disais, elle est psychologiquement éprouvante. Car en définitive, elle s’adresse à notre part sombre, voyeurisme, sadisme, goût pour la violence. Si Will Graham sert de fil conducteur au spectateur, ce n’est pas un hasard : ce qu’il ressent, nous pouvons le ressentir aussi, sa chute, nous pourrions la vivre aussi. Car en définitive, comme lui, Hannibal nous fascine , bien qu’on sache parfaitement à qui - à quoi - nous avons affaire.

“Reste aveuglé” conseille Lecter à un de ses proches qui le voit enfin tel qu’il est, dans sa violence, dans sa noirceur, lors du final de la saison 2, dantesque et suffoquant. Et je l’ai été, sans avoir l’excuse de ceux qui n’ont pas vu le monstre sans son masque. C’est le point d’orgue d’une série qui nous plonge la tête dans ce qu’il y a de plus noir en chacun de nous mais le fait avec tant de maestria qu’on en redemande. Jusqu’à la nausée.
SubaruKondo
9
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le 9 août 2014

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SubaruKondo

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