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24 ans chrono [Critique de "Homeland" saison par saison]

Saison 1 :
Alors que nous vivons chaque année plus clairement une douloureuse redescente dans la qualité des séries TV américaines après le feu d'artifice des 90's et des 00's, la tendance à la surévaluation des quelques programmes qui continuent à trancher par rapport à la moyenne est malheureusement inévitable. Alors, "Homeland", meilleure que "Breaking Bad" ? "Homeland", digne successeur de "24" ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que cela se discute, en particulier quand on tient compte de manière objective du manque de rythme des 2/3 de cette saison 1, qui du coup frôle l'ennui malgré son sujet, et de la pauvreté d'une mise en scène qui est loin de se mesurer au mètre-étalon du cinéma comme c'est le cas des "vraies" grandes séries. Néanmoins, il est aussi indiscutable que "Homeland" est une oeuvre notable, souvent marquante malgré ses défauts. D'abord parce que, par rapport à "24", elle marque un changement de point de vue quant au terrorisme islamiste et à la responsabilité américaine dans la genèse de ce dernier, signe que les Années Obama, après le lavage de cerveau des Années Bush, se sont accompagnées d'un retour à l'objectivité, voire même à la raison, de l'idéologie américaine. Ensuite, parce que, dans la foulée, l'invincibilité du héros américain est ici sérieusement battue en brèche : lorsqu'il y a victoire, ce ne peut être que partiellement, temporairement, et les dommages collatéraux sont de toute façon terribles. Enfin, parce que l'interprétation du trio principal de "Homeland", Clare Danes, Damian Lewis et le trop rare Mandy Patinkin, est absolument irréprochable, maintenant le niveau de "Homeland" même quand les scénaristes et réalisateurs se content d'assurer le service minimum. On soulignera aussi la force du dernier épisode, qui donne furieusement envie de poursuivre l'aventure… [Critique écrite en 2012]


Saison 2 :
J'avais émis des réserves sur la première saison de "Homeland", une série qui me semblait assez surestimée, et la seconde saison, certes tout à fait honorable, confirme qu'on est loin de l'excellence des "grandes" séries : le boulet de cette seconde édition, au scénario pourtant légèrement plus excitant que la première, c'est cette fois - et c'est une surprise - l'interprétation de Claire Danes, en roue libre dans l'exagération systématique et les grimaces hallucinées... tout simplement irritante, ôtant encore de la crédibilité à un personnage que les scénaristes ne soignent vraiment pas (comment croire un instant à la soit-disant "excellence" d'un ex-agent de la CIA quand toutes les décisions prises par Carrie semblent impulsives et infondées ?). Ajoutons le manque de "chimie" entre elle et Damian Lewis, qui empêche que l'on croie un seul instant à l'histoire d'amour entre eux, et le pensum que représentent la plupart des scènes "familiales", puisqu'on colle à Brody non seulement une femme sexy mais pénible, mais également une horrible ado tête-à-claques... Et voilà la seconde saison de "Homeland" tirée vers le bas, irrémédiablement, ce qui fait qu'on a parfois l'impression d'assister à une resucée "réaliste" de "24 Heures Chrono", ce qui n'est pas un crime, certes... [Critique écrite en 2014]


Saison 3 :


Excellente surprise que cette troisième saison de "Homeland" qui voit la série quitter les terres désormais un peu rebattues de la paranoia US post-911 pour aller titiller les fictions (?) de John Le Carré : que l'on considère le conflit entre les partisans de l'espionnage "à l'ancienne" et ceux du tout technologique, la magnifique manipulation orchestrée dans la première partie de la saison pour retourner un haut fonctionnaire iranien, et le final brutal et réaliste "sur le terrain", tout pourrait sortir de l'un des meilleurs romans du maître anglais, et il ne s'agit pas là de ma part d'un mince compliment ! Alors, malheureusement, il reste bien des points qui empêchent "Homeland" d'atteindre l'excellence : le jeu pénible de Claire Danes, le périple lassant de la famille Brody, et surtout la très pauvre mise en scène qui prive la conclusion de la saison de la grandeur élégiaque, ou alors du recul "moral", qui me semblaient nécessaire pour couronner le travail des scénaristes. Mais on se dit surtout que poursuivre la série est désormais un peu absurde après le final de cette saison... [Critique écrite en 2014]


Saison 4 :
Nonobstant la répugnance que je ressens depuis toujours - et qui grandit de saison en saison - pour le personnage de Carrie et le jeu convulsif et pénible de Claire Danes, il m'est impossible de ne pas reconnaître nombre de qualités réelles à "Homeland", qui justifie pleinement dans sa 4ème saison sa réputation de "24 heures chrono" intelligente. Une première partie de saison un peu frustrante - voir par exemple le manque de crédibilité de la liaison entre Carrie et le jeune Pakistanais, ou encore la pénible scène de schizophrénie de Carrie - prépare le terrain à une poignée d'épisodes renversants où se déploie pleinement un scénario encore une fois très malin. Dommage quand même que le dernier épisode, s'il donne une magnifique - et déprimante - leçon de réalisme politique, soit aussi ennuyeux de par son retour stéréotypé et inutile sur les traumatismes familiaux de Carrie ! [Critique écrite en 2015]


Saison 5 :
Dans cette cinquième saison qui fait (forcément) débat, on peut dire que le meilleur côtoie le pire. Le pire, c'est que le côté "24 Heures Chrono" - invraisemblances et droitisation du discours politique (voir la condamnation sans équivoque des lanceurs d'alerte, à travers le personnage odieux de la journaliste américaine) - devient criant, faisant perdre à "Homeland" un peu de sa crédibilité durement gagnée au fil des saisons précédentes. Mais le meilleur, c'est la pertinence et l'actualité des thèmes explorés : la guerre en Syrie et le jeu trouble des Russes soutenant le gouvernement en place, l'afflux de réfugiés ouvrant des brèches dans les systèmes de sécurité européens, et surtout la menace d'attentats au coeur des villes européennes (les attentats de Paris sont nommément cités). Et c'est quand même formidablement respectable de savoir créer des fictions intelligentes en prise directe avec notre réalité, et qui nous paraissent du coup d'autant plus excitantes. Sinon, même si notre niveau d'addiction à "Homeland" continue plus haut que jamais, l'honnêteté nous oblige - comme à chaque saison - à déplorer le jeu "limite" de Claire Danes, et le déficit de mise en scène, très visible à une époque où les meilleures "nouvelles" séries s'ingénient à rivaliser avec le cinéma sur ce point. [Critique écrite en 2016]


Saison 6 :
Cette sixième saison de "Homeland", qui joue décidément les prolongations une fois liquidé son sujet originel poursuit dans la voie de la précédente, c'est-à-dire traiter un sujet d'actualité brûlante (cette fois le traité nucléaire avec l'Iran et la suspicion américaine quant à un possible double-jeu des autorités iraniennes) et lui faire subir un twist de politique-fiction tout-à-fait dans l'esprit outrancier de la défunte "24 heures Chrono". C'est donc à Peter Quinn qu'incombe ici le "rôle de Jack Bauer", mais on peut évidemment compter sur l'aspect nettement plus "réaliste" des scénarios de "Homeland" pour que les choses soient moins faciles, et bien plus douloureuses ! Après un démarrage un petit peu laborieux, cette sixième saison devient extrêmement intense, terriblement passionnante, au point que l'on est prêt à jurer qu'il s'agit là de la meilleure de toutes les saisons à date. Les deux derniers épisodes, qui semblent citer directement certains passages de "24 Heures Chrono", s'avèrent néanmoins trop peu crédibles, et la saison se clôt surtout sur un cliffhanger politique sans doute un peu trop culotté, imaginant un scénario "à la Erdogan" pour les USA qu'on a quand même, optimiste que nous sommes, un peu de mal à avaler. Mais ce n'est finalement pas si grave que ça, car "Homeland" s'est en passant permis d'étriller les fake news, la nouvelle alt-right américaine, et les manipulations de l'opinion publique grâce aux réseaux sociaux d'une manière qui force le respect. Oui, même un peu trop spectaculaire désormais à notre goût, "Homeland" reste une série remarquablement pertinente. [Critique écrite en 2017]


Saison 7 :
Cette septième saison de "Homeland", la désormais vétérane des séries "d'espionnage", est probablement la plus mauvaises à date, mais elle offre suffisamment de sujets d'étonnement pour qu'on accepte bien volontiers de s'y ennuyer pendant quelques épisodes aussi vains que ridicules. Après le cliffhanger de la fin de la saison précédente, qui montrait la démocratie US menacée par une présidente autoritaire et paranoïaque, les scénaristes ont la curieuse - mais très stimulante - idée de "rebattre toutes les cartes" et de nous proposer une oscillation déroutante d'un bord à l'autre de l'échiquier politique. Et donc une vue non manichéenne des différents partis en présence : les odieux populistes d'extrême-droite, dénoncés dans la saison précédente, deviennent des victimes "innocentes" de l'état de droit, les démocrates souhaitant mettre fin à une présidence quasi fasciste sont amenés à trahir tous leurs idéaux, les agences gouvernementales ne fonctionnent plus qu'à travers des opérations illégales, etc. Et voilà le téléspectateur européen, finalement plus politiquement correct qu'il ne le pensait, tout perturbé devant cette "accumulation d'ambiguïtés", où tous les repères habituels du divertissement sériel sont battus en brèche. Seules certitudes au sein de cette pagaille, la Russie est bien notre nouvel ennemi, dans un registre éprouvé de retour de la guerre (pas si) froide, et la folie de Carrie, dont les pénibles démêlés familiaux plombent de manière quasi terminale cette saison, ne fait que s'aggraver. Si l'implication croissante de la Russie dans la déstabilisation des démocraties occidentales est désormais un fait avéré, et que ce thème crédibilise largement l'accumulation de péripéties improbables qui minent peu à peu notre patience, ce sera une fois de plus le jeu excessif de Clare Danes, littéralement insupportable, qui nous donnera régulièrement une furieuse envie de mettre un terme à notre souffrance. Les deux derniers épisodes retrouvent le "bon esprit 24 heures chrono" (qui n'est jamais loin) avec une guerre rangée dans les rues de Moscou entre diverses factions du pouvoir - difficilement crédible, quant même -, avant une conclusion moralisatrice qu'on ne voulait vraiment pas voir advenir. Et qui met à bas les prodiges de complexité politique qui avaient constitué jusque là le (seul) point fort de la saison. Au point où l'on est obligé de se demander si ce qu'on a pris pour de l'ambition scénaristique n'était pas plutôt la conséquence involontaire d'une écriture chaotique ! Il ne nous restera plus alors qu'à sourire, oui sourire, monstres que nous sommes, devant le dernier plan d'une Carrie ayant sombré corps et âme dans la folie... Nous laissant craindre une huitième saison encore plus outrancière.
[ Critique écrite en 2019]


Saison 8 :
Au cours de sa seconde partie, une fois abandonné son thème initial de l'infiltration de l'Amérique par les idées terroristes, "Homeland" a oscillé de manière de plus en plus incohérente entre un pôle vertueux, celui de la description mi-fascinée, mi-horrifiée des jeux mortels entre espions, politiciens et pays alliés ou ennemis (son penchant "John Le Carré"), et un autre, évidemment plus gênant, car outrancier et assez naïf, consistant à sombrer dans le spectaculaire façon "24 Heures Chrono", avec complots à la Maison-Blanche et menace de guerre nucléaire. La septième saison voyait "Homeland" toucher le fond, et on pouvait craindre le pire pour cette conclusion d'une série qui avait, comme beaucoup d'autres, franchement dépassé sa limite de péremption.


On ressentira donc un certain soulagement en constatant que les scénaristes ont abandonné pour ce dernier volet les aspects les plus irritants de la série, les rapports de Carrie Mathison avec sa fille et sa sœur - quasiment inexistants ici, ce qui n'est pas des plus logiques, mais passons... - et ses désordres mentaux, très vite évacués après le premier épisode. On aimera également la vision cynique - ou réaliste, suivant ses propres opinions politiques - des alliances et dés-alliances entre les différents joueurs sur l'échiquier politique afghan : "Homeland" nous rend ainsi - relativement, car un épisode nous rappelle l'insupportable condition féminine dans un état islamiste - sympathiques certains Talibans, qui ne sont plus les habituels affreux méchants caricaturaux. De la même manière, si la Russie reste le grand adversaire de l'Amérique, la relation entre Carrie et Gronov (un Costa Ronin tout aussi touchant et ambigu que dans "The Americans") modère sensiblement le jugement que la série porte sur cet "ennemi héréditaire". Enfin, la représentation des luttes intestines à la Maison-Blanche entre "faucons" ex-néo-cons et "réalistes" (toujours impeccablement incarnés par le charismatique Mandy Patinkin) pour influencer un président pusillanime sonne assez juste.


Il est donc d'autant plus dommage que la tentation du "bigger than life", de "l'apocalyptique" prenne le dessus pendant une partie de la saison : si l'effet d'excitation est indéniable, tant nous sommes sensibles à ces scénarios-catastrophes qui caressent notre fascination pour le chaos dans le sens du poil, il est indéniable aussi que "Homeland" y perd crédibilité et élégance, et que ces excès l'empêchent définitivement de rejoindre des séries aussi exemplaires que "le Bureau des Légendes" ou "The Americans" sur le haut du panier des séries d'espionnage.


La toute conclusion, vaguement hitchcockienne, de la saison, et donc de la série, est loin d'être ratée, mais on se demande néanmoins si elle ne constitue pas surtout un happy end visant à réconforter le grand public, et donc une indéniable lâcheté quant au constat fort pessimiste qu'il serait normal de tirer de cette suite ininterrompue de mensonges et de trahisons.


[Critique écrite en 2020]
Retrouvez cette critique et bien d'autre sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/06/04/homeland-saison-8-la-conclusion-honorable-dune-serie-qui-sest-un-peu-perdue-en-chemin/

EricDebarnot
6
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le 28 mai 2014

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Eric BBYoda

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