House of Cards a réussi le pari improbable de m'intéresser trois saisons durant en me parlant de politique américaine, et plus encore, de me faire aimer ça.
Il y a d'abord la qualité formelle : toute la première saison est sous la marque de Fincher, qui a réalisé les deux premiers épisodes, une réalisation sobre et élégante qu'on retrouve, même si plus diluée, dans la saison 2, avec quelques scènes magnifiques. La bande-son, du genre qui n'en a pas l'air mais qui en a, est parfaitement adaptée aux thèmes de la série et permet d'installer une ambiance froide, de pair avec la photographie.
Mais l'atout principal de ce château de cartes est son scénario, tissé de main de maître et sans aucune faille. On voit ainsi s'entremêler, comme des remous au passage d'un navire, une demi-douzaine d'intrigues secondaires autour de l'intrigue principale : l'ascension inéluctable de Frank Underwood. Ces intrigues dont on se demande parfois où elles vont (celle entre Doug et Rachel par exemple) finissent toujours par revenir sur le devant de la scène, comme autant de boulets que trainent les Underwood. C'est d'ailleurs comme ça que je comprends le titre : Frank construit son château de cartes, de plus en plus haut au fur et à mesure que la série avance, alors que chaque carte peut lui faire défaut à tout moment. La construction en est de plus en plus majestueuse et de plus en plus précaire...
Mais il ne faut pas regarder House of Cards que sous l'angle de la construction dramatique ou de la qualité des cliffhangers : la série est avant tout l'histoire d'une faille du système, la démonstration que la démocratie américaine est très facilement détournable de son but premier, à savoir l'intérêt du peuple... Ça a été ainsi l'occasion pour moi de découvrir le fonctionnement de l’État américain (les chambres du Sénat, la maison blanche...) mais plus largement d'une réflexion sur le système représentatif au sens large. Car on voit bien qui gouverne dans House of Cards : les lobbies, les copinages et l'ambition personnelle. Le personnage de Peter Russo, auquel on s'attache instinctivement, personnifie les bonnes intentions en politique, et on voit bien ce qui lui arrive...
Car il n'est pas tant question de politique que de la nature humaine ici : chaque personnage est poursuivi par ses démons que ce soit l'alcool et les drogues pour Peter Russo, l'alcool encore et cette étrange addiction à Rachel pour Doug Walker, l’appât du gain pour Remy Danton, mais surtout la soif du pouvoir pour Frank et Claire Underwood. Je pense que toute la réussite de la série sur quiconque la regarde dépend au final énormément de la réception de cette disparition du 4ème mur. J'ai lu certains spectateurs se sentir insulter, percevant ces adresses de Frank au public comme une explication non-nécessaire. Ce n'est pas pour moi ce dont il s'agit : c'est surtout une formidable occasion de connaître les pensées profondes de Frank, lui qui joue si bien son jeu devant ses interlocuteurs, souriant jusqu'au dernier moment au président... Par ses adresses et regards complices, on perçoit toute la suffisance, toute l'arrogance, tout le cynisme du personnage principal, prêt à tout pour arriver à son but : toujours plus de pouvoir.
À ce titre je ne suis pas totalement d'accord avec le pitch de la série tel qu'exposé sur Senscritique et dans de nombreuses critiques : ce n'est pas l'histoire d'une revanche de Underwood contre le président qui ne l'a pas nommé secrétaire d’État, non, Underwood a depuis longtemps dépassé le stade de la colère et de la revanche... Il prend cette défaite comme un coup dur sur son chemin, mais son but reste identique : devenir le calife à la place du calife...
On peut ainsi comparer Frank Underwood au Richard III de Shakespeare, cynique et obsédé par le pouvoir, la différence étant que si Richard III évoluait dans un système monarchique, celui de Frank Underwood est censé être démocratique... et arguons qu'il le serait si les élus étaient intègres et dévoués. Une série où on ne s'ennuie pas une seconde, et qui, de par son ultra-réalisme, fait réfléchir, assurément.