Tex Avery
8.1
Tex Avery

Dessin animé (cartoons) Cartoon Network (1942)

Voici une critique de film parfaitement adaptée pour les fêtes de Noël.
Ce n'est qu'après sa disparition en aout 1980 que le nom de Fred "Tex" Avery fut connu en France du grand public. C'est à partir de 1981 au Cinéma de Minuit que Patrick Brion a commencé à présenter ce créateur génial d'un univers où tout peut arriver ; chaque année qui suivra verra comme cadeau de Noël au Cinéma de Minuit, une diffusion de 10 à 11 cartoons à la suite, d'abord la période MGM qui est la plus créative, et plus tard, la période Warner Bros où Avery mit au point tout son arsenal de gags récurrents et de gimmicks, là où il créera des personnages comme Daffy Duck, Elmer Fudd et surtout Bugs Bunny à qui il donnera une forme graphique définitive.
Tex Avery est un créateur totalement à part dans l'histoire du cartoon mondial, son univers peuplé de créatures destructrices où se mêlent les idées les plus stupéfiantes, les gags les plus fous, les jeux de mots farfelus, les phrases à double sens et les parodies les plus délirantes, possède une virulence et une imagination débordante, en même temps qu'une osmose entre gags ahurissants et recherches sonores extraordinaires.
En bouleversant d'un coup le monde traditionnel du dessin animé dominé par Walt Disney, Tex a opposé au style de Disney une véritable folie, occupant dans le monde du cartoon hollywoodien à peu près la même place tenue par les Marx Brothers dans celui de la comédie burlesque. Tex Avery incarne le burlesque dans toute sa folie, son ton absurde et sa démesure, où le goût de la provocation défie ouvertement la censure du Code Hays. Non content de dynamiter des histoires pour enfants avec un humour au vitriol constamment inventif, Tex donne souvent dans les fantasmes les plus audacieux, ce que le studio MGM fut parfois obligé de réfréner.
En effet, dans Screwball Squirrel, les gentils petits lapins disneyens se font vite rembarrer par l'écureuil fou qui est sans doute le personnage le plus original de la ménagerie averyenne. Et quand on voit Red Hot Riding Hood ou Swing Shift Cinderrella, avec leurs girls chantantes ou les déhanchements sexy des pin up, ainsi que leurs multiples sous-entendus érotiques (loups érotomanes, grand-mères nymphomanes, gestes qui simulent la masturbation), on devine l'affolement des censeurs.
Refusant les conventions propres aux cartoons de son époque, Tex Avery rejette donc le style bien propret de Walt Disney et cherche à remplacer les petits animaux sages, charmants et édulcorés par la fantaisie sadique, la tricherie joyeuse, l'impertinence perfide, la farce cruelle, sarcastique et souvent subversive symbolisées par l'écureuil fou ou le chien Spike.
Il est difficile de ne pas être sidéré et émerveillé par la richesse des gags et par la bande sonore, ce fut mon cas ; quand j'ai découvert ces cartoons au Cinéma de Minuit (que je revoyais régulièrement à la Dernière Séance de M'sieu Eddy), j'ai été littéralement capturé par ce style frénétique et révolutionnaire après avoir été comme tous les gosses, nourri au biberon Disney. Je ne pus plus m'en passer, et aujourd'hui je possède toute la période MGM en DVD, je me les repasse souvent car ce sont en plus de formidables remèdes anti-déprime.
En faisant souvent référence à la vie quotidienne américaine, et l'utilisation de contes enfantins ou de romans parodiés et distordus en une description satirique de la société US, les cartoons de Tex s'adressent d'ailleurs beaucoup plus à un public adulte. Les gags visuels sont souvent récurrents et s'accomodent de clins d'oeil constants au spectateur : les personnages qui sortent de la pellicule ou quittent le négatif couleur, les freinages d'urgence avant de toucher le sol, les cartons impromptus ("Corny gag isn't it ?" ou le traditionnel "Sucker"), les portes qui s'ouvrent et se ferment de partout, la longueur des voitures, les mâchoires qui se distendent jusqu'au sol, les yeux qui s'écarquillent en grossissant, les balles qui font de jolis trous etc...
Il faut voir ces cartoons absolument en VOST, car comme je le disais, la perfection technique est non seulement présente sur les décors, les dessins et l'animation, mais aussi sur l'emploi du son, des bruitages et des voix qui sont bien plus poussés que dans d'autres dessins animés, accentuant ainsi considérablement la drôlerie. Avery a eu aussi la chance à la MGM d'avoir Scott Bradley, un musicien de génie qui était très doué sur les arrangements et les variations parodiques d'airs connus qui donnaient une indéniable vivacité à ces cartoons. A tel point que l'émulation au sein du studio se sentait chez Hanna et Barbera qui animaient les Tom et Jerry ; ces films ont bénéficié eux aussi d'une exceptionnelle qualité durant la décennie 1940 qui reste la plus productive et la plus belle en matière artistique à la MGM.
De même qu'il faut préférer les titres originaux des cartoons de Tex car certains titres français sont trop souvent fantaisistes, voire stupides, ou portent à la confusion avec ceux des Tom et Jerry.
A travers la création d'un délirant bestiaire constitué par le chien lymphatique Droopy (You know what ? I'm happy), Spike le chien sournois, le loup érotomane, le loup sudiste, l'écureuil fou, les 2 ours idiots George et Junior, le chien crétin Meathead, les 2 busards affamés, le renard à l'accent oxfordien, d'autres chiens, des chats, des oiseaux, des lapins... Tex Avery a pulvérisé les conventions du cartoon hollywoodien, et disposait pour cela d'une équipe permanente qui ne travaillait pratiquement qu'avec lui (à la MGM) : les scénaristes Rich Hogan et Heck Allen, les animateurs Ray Abrams, Ed Love et Preston Blair, ce dernier étant préposé à l'animation des pulpeuses girls qui ont fait la gloire de Tex. Il y eut aussi plus tard Michael Lah, Grant Simmons et Walt Clinton, sans oublier le musicien Scott Bradley qui oeuvra chez Tex pendant les 13 ans que ce dernier passa à la MGM de 1942 à 1955, et qui étaient tous à l'origine de 6 courts-métrages de 7 à 10 mn par an. Tous sauront amplifier le délire verbal et visuel et les gags démentiels.
Il suffit de voir Black Luck Blackie pour le comprendre, avec la vue d'un chat noir qui entraine avec une frénésie hallucinante la chute d'une foule d'objets incongrus sur un gros chien qui martyrise un petit chat (un lavabo, un piano, une baignoire, un bulldozer, un bus, un avion, un paquebot...). De même que Rock-a-bye Bear est une démonstration étonnante des bruits lorsque le chien Spike doit garder la maison de l'ours Joe Bear qui hiberne, mais dans le silence le plus total.
Les 7 années que Tex passera à la Warner entre 1935 et 1942 lui ont permis de trouver peu à peu son style qu'il portera à la perfection lors de son arrivée à la MGM en 1942, où le paradoxe du système hollywoodien voudra que la firme du lion qui était la plus rigoureuse et la plus conservatrice de toutes les major companies à Hollywood, lui laissera étrangement une totale liberté pour lancer en complément de programme de ses grands films, toute une bande de loups excités, d'écureuils fous, de vamps sensuelles et de chiens et de chats promis aux aventures les plus échevelées. La MGM qui avait ouvert son département animation en 1937 en confia la direction à un strict homme d'affaires, Fred Quimby, réputé pour son abord glacial, son manque total d'humour et sa méconnaissance artistique. Malgré ça, Quimby qui ne comprenait rien à la mécanique des cartoons, produira tous ceux de Tex comme ceux de Hanna et Barbera sur les Tom et Jerry, en laissant carte blanche à Tex et son équipe d'inventeurs fous et de gagmen.
Dès 1954, c'est la fin d'un âge d'or, on discerne dans les films de Tex les premiers symptômes de ce qui va couler le studio ; l'animation des personnages principaux est encore soignée, mais les décors deviennent minimalistes, les couleurs sont mal contourées, le style UPA moderniste et dépouillé envahit Cellbound, le dernier cartoon officiel de Tex en 1955 avant son départ chez Walter Lantz. Les 2 derniers, Millionnaire Droopy et Cat's Meow sont de fades remakes d'anciens cartoons, réalisés par Michael Lah après le départ de Tex de la MGM, le studio ferme ses portes peu après en 1957.
Il vaut mieux se rappeler des heures glorieuses avec Blitz Wolf, éblouissante parodie des 3 petits cochons qui marque l'arrivée de Tex en 1942 à la MGM, film qui participe en même temps à l'effort de guerre, c'est là qu'apparait le loup en sosie d'Hitler, qui réapparait ensuite en bagnard évadé dans Dumb Hounded où Droopy le pourchasse avec une quantité incroyable de moyens de locomotion et le surprend avec ses "peek-a-boo" au ton monocorde, j'avoue que c'est un de mes préférés, ce cartoon est sans doute un de ses plus désopilants. Le loup apparait enfin en loup libidineux face à une girl affriolante dans Red Hot Riding Hood, parodie hollywoodienne du Petit Chaperon Rouge.
C'est pour toutes ces raisons que l'oeuvre de Tex Avery au délire provocateur est l'une des plus géniales de l'histoire du cinéma et qu'elle lui survit en enchantant encore pour longtemps tous les publics.


cette petite liste en complément : https://www.senscritique.com/liste/Les_meilleurs_cartoons_de_Tex_Avery/1404258

Ugly
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le 24 déc. 2019

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