Quel chemin parcouru par Kaamelott : un court-métrage (Dies iræ) en guise de prémices, la fin de Caméra Café comme créneau rêvé, le succès au rendez-vous pour ses débuts résolument comiques… puis un tournant, graduel, de sa narration au profit d’une ambition allant croissante. Il n’est ainsi guère utile de présenter davantage la série, dont la continuité cinématographique agite les esprits et parachève, non sans risque, les prétentions de son artisan principal : Alexandre Astier.
Du titre de l’œuvre au rôle d’Arthur et, bien entendu, les multiples casquettes portées, A.A. est sur tous les fronts : un état de fait certainement moins perceptible à l’aune de ses premières saisons, le format court et ses iconiques sketches hissant l’importance et l’irascibilité du roi des bretons au rang de traits caractéristiques, au même titre que la crédulité grasse des uns et la stupidité sans fond des autres. La renommée du show tient en grande partie de sa multitude de figures toutes plus improbables les unes que les autres, parties-prenantes d’un humour brassant subtilité et ridicule dans un même creuset.
Difficile de ne pas avoir eu vent du show, omniprésent jusque dans les répliques répétées à l’envie par les aficionados, eux qui pullulent… non sans raison. Faisant fi de mauvaise foi, je ne regrette pas d’avoir pris le train trop tard : les longs-métrages à venir tiennent davantage de la circonstance intrigante que de la curiosité maladive (et puis, point d’attente interminable à subir), toutefois nul regret au sortir de ces six saisons on ne peut plus savoureuses.
Celles inaugurales pâtissent certes de l’inégalité des épisodes, leur réussite étant fonction de l’écriture des vannes, des protagonistes concernés et, plus spécifiquement encore, les rôles confiés à des invités de prestige : quand un Élie Semoun passe par là, l’effet est par exemple des plus piteux… Heureusement, la grande majorité du casting principal regorge de comédiens remarquables, tous faisant montre d’un investissement et d’une constance forçant l’admiration.
Néanmoins, ce joyeux bordel, inconséquent et sarcastique ne pouvait durer éternellement : le Livre IV, tout en conservant sensiblement la même structure, se charge en ce sens d’amorcer un tournant, une continuité scénaristique à l’aune du déchirement de la Table ronde. Kaamelott ne perd alors pas pour autant sa verve humoristique, quoique sa diffusion et portée s’atténuent peu à peu… laissant le champ libre, au cœur des Livres V et VI, à une mélancolie prégnante.
S’il est indéniable que la série ne peut pas se targuer d’en mettre plein les mirettes, qu’il s’agisse de ses moyens initiaux limités ou plus globalement de sa réalisation figée, le dernier segment de Kaamelott met toutefois en lumière son véritable atout formel : ses compositions. Profondément désabusé, Arthur imprègne de sa détresse l’ambiance globale, instillant un malaise ténu mais palpable : la musique, par-delà son apparente simplicité, y est pour beaucoup. Elle contribue nettement à l’envergure dramatique du show, transfiguré par ses nouvelles prétentions.
Ces dernières saisons auront eu, au demeurant, moins bonne presse auprès des amateurs : personnellement, c’est tout le contraire qui a eu lieu. Dans le sillage d’un Méléagant énorme de prestance (Carlo Brandt en impose), et plus généralement de nouveaux personnages tout aussi mémorables, Kaamelott aura tout bonnement réussi sa mue : un « pari » ambitieux à mettre au crédit d’Astier, qui semble par la même occasion en dire long sur sa propre personne, dotant son emblématique création d‘une démarche et vision presque intimistes.
Avec du recul, l’évolution de la série est assez passionnante, elle qui aura soufflé le chaud et le froid dans tous ses compartiments : légèreté contre pesanteur, dialogues ciselés contre forme, sketches contre fil rouge… reste tout de même une constante, à savoir celle de l’art des bouts de ficelle, Kaamelott n’ayant eu de cesse de composer au mieux avec ses atouts.