L'Ombre de Fatma
7.1
L'Ombre de Fatma

Série Netflix (2021)

Voir la série

Dévastée par la mort accidentelle de son fils autiste, torturée par la disparition de son mari qui n’est jamais rentré à la maison à sa sortie de prison, Fatma traverse la vie dans un état quasi-catatonique : simple femme de ménage à laquelle personne n’attache aucune importance – hormis un écrivain qui fantasme sur elle, et l’imagine comme son assassin – Fatma est littéralement invisible. Et cette invisibilité va lui permettre de commettre plusieurs meurtres, pour lesquels elle restera un temps insoupçonnable… : un joli pitch pour une mini-série turque, qui se présente de prime abord comme l’un de ces thrillers produits par Netflix qui a pour unique but de nous divertir le temps de six épisodes rapidement « binge-watchés »…


… Et pourtant, "l’Ombre de Fatma" va s’avérer un objet beaucoup plus retors, plus surprenant, et pour finir, incroyablement bouleversant, que sa recette initiale pouvait le laisser présager. Car, si l’on s’attend à une sorte de « revenge movie » faussement libérateur montrant la vengeance d’une femme détruite par son enfance et ignorée – encore plus que méprisée – dans une société à la phallocratie littéralement asphyxiante, ce qui va se dérouler devant nos yeux au fil d’épisodes de plus en plus troublants, est en fait le dévoilement progressif d’une souffrance insupportable, et d’un tourment psychique intense.


Car, plus que « vengeance », ce que cherche Fatma, c’est « réparation » au sens psychologique du terme : enfouie dans une dépression dont elle ne parvient plus à s’extraire, Fatma lutte pour faire face à la perte. Son enfance volée, sa féminité niée, son mariage piétiné, son amour pour son fils qui n’a pas empêché la mort de ce dernier. Pour cela, Fatma, presque machinalement, « pousse » ceux qui sont sur son chemin. Sur les rails, dans le vide, sur la route. Mais Fatma a toujours poussé, et cela ne l’a jamais réparée, puisque Fatma est également « coupable ». D’où un dernier épisode littéralement terrible, presque sublime dans la manière dont est filmée la dévastation intérieure d’une femme qui n’a pas trouvé d’issue à sa situation.


On peut donc bien entendu regarder "l’Ombre de Fatma" comme un thriller inhabituel, auquel cas on pourra chipoter sur la logique de certaines situations. On y verra plutôt un violent réquisitoire politique contre la société turque, où la femme, entre le poids de traditions rétrograde et l’inhumanité du nouveau capitalisme, n’arrive même pas à simplement « être ». Mais on peut aussi le prendre comme un remarquable portrait de femme brisée : l’interprétation de Burcu Biricik – reine de beauté et actrice plusieurs fois récompensée pour son talent – dans le rôle-titre, est parfaite, et malgré toute la qualité d’écriture et de mise en scène d’Ozgur Onurme, il faut bien admettre que "l’Ombre de Fatma" ne serait pas un tel « trip émotionnel » sans elle.


[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2021/05/03/netflix-lombre-de-fatma-la-femme-invisible/

EricDebarnot
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleures séries de 2021

Créée

le 2 mai 2021

Critique lue 1.6K fois

6 j'aime

2 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 1.6K fois

6
2

D'autres avis sur L'Ombre de Fatma

L'Ombre de Fatma
Sigynn
7

Une série surprenante

Fatma est une femme de ménage turque à la recherche de son mari, Zafer, disparu depuis plusieurs mois depuis sa sortie de prison. Elle a quelque chose à lui annoncer : leur fils est décédé...

le 13 juin 2021

2 j'aime

L'Ombre de Fatma
Catherine_L-Mit
7

Critique de L'Ombre de Fatma par Catherine L-Mithrandir

Fatma est une femme sans histoire qui change du tout au tout au moment ou son mari, sorti de prison, ne revient pas à la maison . Il l'a laisse se débrouiller seule avec leur fils autiste. Fatma...

le 30 avr. 2021

1 j'aime

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

104

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

184 j'aime

25