Carnivalè est l'une des plus belles productions d'HBO. Un bijou qui séduit d'abord par sa photographie, son atmosphère, son exactitude qui résisterait à tous les examens, sa poésie et sa musique, tantôt splendide et envoûtante, tantôt nasillarde ou éraillée.
C'est une série totale, ambitieuse, qui embrasse l'instant et les siècles tout à la fois. Ce n'est pas qu'un instantané de l'Amérique profonde pendant la grande Dépression. Ce n'est pas que l'errance d'une petite Cour des miracles, la bassesse et la grandeur des âmes qu'ils recevront sous leurs tentes. C'est une lutte pour la survie à coups de centimes, où toutes les arnaques sont bonnes, au milieu de la poussière et des cendres qui veulent déjà vous rappeler à elles alors que la vie et l'amour palpitent à tout rompre.
C'est la misère de l'Homme qui par Prométhée ou Eve se voit éloigné du Ciel ("man traded away wonder for reason"), condamné à rendre fertile une terre stérile, ce à quoi ses sont échinés les paysans américains, provoquant le fameux Dust Bowl, cette plaie moderne. Carnivalè met en scène le combat de l'Homme pour être homme, quand les circonstances poussent à l'égoïsme ou au fatalisme. Cette tension se répercute dans une rencontre réelle et mythique à la fois, qui doit se faire à chaque génération. Une généalogie existe, opposant un être de lumière et un être de ténèbres, et à chaque génération, les cartes sont rebattues. Telle est la mythologie de Carnivalè : sans manichéisme, ses héros se livrent dans le Midwest une bataille qui décidera de l'avenir du Monde, une Guerre de Troie au décor de Western tandis que les Dieux, choisissant leurs favoris, s'invitent à la tables des hommes.