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Étrange comme cette série est devenue aussi subitement LA série. Je veux dire, ouais, on en a assez bien entendu parler pendant quelques mois, mais depuis assez peu, c'est devenu un véritable phénomène. Ce n'est pas spécialement pour me déplaire, puisque j'ai plutôt bien aimé...


Un homme se faisant appeler El Profesor met sur pied le braquage parfait : attaquer l'Hôtel de la Monnaie d'Espagne, et y prendre en otage toutes les personnes présentes. Son as dans la manche, empêchant l'assaut de la police, c'est la présence sur place de la fille de l'ambassadeur du Royaume-Uni, en visite avec son école. Le but du braquage n'est pas simplement l'argent présent sur place, mais bien plutôt tout l'argent qu'il est possible de produire pour la durée du braquage.El Profesor a pensé à tout, et s'est entouré d'une équipe de choc aux pseudonymes de villes : Berlín, expert en braquages, est le meneur du groupe, Helsinki et Oslo les gros bas, Nairobi une faussaire hors pair, Moscú serrurier (assisté de son fils, Denver), Tokio une casse-cou prête à tout et Río un hacker particulièrement doué. El Profesor ne participe pas directement au braquage, car son propre rôle, outre superviser l'opération, est de surveiller l'enquête des policiers et faire gagner du temps à ses associés en brouillant les pistes. Évidemment, tout ne se passe pas comme prévu, le plus gros souci étant sans doute que le Profesor tombe amoureux de l'inspectrice chargée de l'affaire, Raquel Murillo...


Une série bourrée d'autant de qualités que de défauts, qui réussit à tenir en haleine sans problème tout du long et évite de tomber dans les manichéismes (même si parfois on est fort à la limite quand même, il faut bien le reconnaitre, surtout sur la fin). J'ai été assez étonné de voir l'évolution de la série d'une saison à l'autre, et fait tout comme il faut à ce niveau : complexification de l'intrigue, approfondissement des enjeux, évolution des personnages et de la morale... La transition fonctionne super bien, et ça illustre ce qui fait que La Casa de Papel fonctionne : une grande maitrise de la technique et du langage des séries.


Quelques accrocs sont cependant à noter, en particulier l'insupportable romance entre le Profesor et l'inspectrice (un personnage d'ailleurs insupportable, la victime par excellence), et l'étonnante vitesse de l'évolution des relations entre les personnages (l'ensemble du braquage dure, si mes souvenirs sont bons, à peine cinq jours, et sur ce laps de temps des gens ont pu renier complètement la personne qu'ils étaient auparavant et faire confiance à des inconnus complets... mouais). Beaucoup d'erreurs sont commises, aussi bien par les flics que par les braqueurs, mais je ne vois pas ça comme un vice d'écriture, je vois mal comment il est possible, même avec une préparation parfaite, de gérer une situation pareille sans faire régulièrement de grosses conneries.


J'ai été un peu dérangé, cela dit, qu'aussi bien du côté de ses fans que de ses détracteurs, il y ait beaucoup de gens pour retenir de la série une interprétation univoque et manichéenne. Je n'ai pas ressenti cela au visionnage, personnellement, et je vais illustrer cela avec une scène qui se déroule vers la fin de la série :


Je veux bien évidemment parler de la mort de Berlín. J'ai pu lire ici et ailleurs qu'il y était idéalisé, présenté comme un héros, et que c'était un passage de rédemption. Vous êtes sûrs qu'on a vu la même chose ? Parce que bon le gars il ouvre le feu à la mitrailleuse sur une escouade de flics en forçant son esclave sexuel au bord de la crise de nerfs à l'aider. Si vous avez vu là un symbole de résistance, vous avez un problème, désolé de vous le dire, que vous critiquiez ou défendiez cette morale.


Il s'agit clairement d'une scène clé, qui dévoile une grosse partie du sens de la série, tout comme le chantage exercé envers l'inspectrice dans la scène qui se déroule en parallèle de celle-ci. Berlín comme le colonel Prieto y sont montrés comme deux figures de l'abus, de l'autorité déraisonnable, thème clairement central de la série (abus du Profesor envers Raquel, de son mari envers Raquel, du système envers certains des braqueurs, de Berlín envers tout le monde et en particulier Ariadna, de Tokio envers les autres, d'Arturo envers les autres otages,... on pourrait passer un bout de temps à lister ces scènes illustrant l'abus d'autorité et la violence physique, psychologique et sociale qui en découle). On pourrait se dire que le happy end légitimise Berlín, sauf que la révélation liée au lien de parenté entre le Profesor et Berlín vient bousculer les rapports de force présumés par le spectateur jusqu'à présent. Qui a eu cette idée de manipuler les autres, de détruire des vies à travers ce plan ? Qui a sans cesse abusé des autres et de son autorité tout au long de l'intrigue ? Finalement, est-ce le Profesor qui a décidé tout cela ? Dans quelle mesure Berlín n'est-il pas le réel commanditaire du braquage, n'a-t-il pas exercé le même chantage émotionnel qu'il exerce sur tout le monde envers son frère afin que celui-ci l'aide à 1) venger son père (beaucoup plus crédible par rapport au caractère de Berlín que de son frère) et 2) lui assurer une belle fin de vie ? Parce que voilà, cette révélation change les enjeux du braquage, le Profesor dit qu'il s'agit de prouver quelque chose, mais en fait on peut aisément se douter à ce moment qu'il s'agit bien plus d'une question d'amour fraternel, au point que cela modifie l'ensemble du sens de l'intrigue : c'est l'histoire de deux frères touchés une seconde fois par le drame de la maladie (cette fois de Berlín) qui décident que, cette fois, ils la vaincront.


Dans cette interprétation, la charge morale des deux personnages se redistribue : Le Profesor offre un dernier braquage à son frère, qui a marché toute sa vie dans les traces de leur père, et accepte pour cela, aveuglé par la colère, de commettre quelques incartades à sa morale, autrement plus droites. Berlín est l'abuseur, le Profesor un des abusés. Le sacrifice de Berlín est l'ultime acte égotiste, qui laisse le Profesor seul face aux conséquences de ses actes et enferme Ariadna dans un traumatisme éternel. Cela explique également la réaction brutale de Nairobi lorsque Berlín décide de rester en arrière (ainsi que la loyauté indéfectible à Berlín de Helsinki jusqu'au bout, ou encore le fait que le Profesor ait décidé d'engager Tokio, qui a un caractère bien plus proche de Berlín que de lui), car elle est présentée comme la figure de la résistance face à l'abus, là où Raquel et le Profesor sont deux victimes. Nairobi est furieuse car la lutte de pouvoir entre Berlín et elle, entre celui qui a abusé tout le monde et celle qui a tenté de mettre fin à cela, se termine sur une victoire définitive de l'abuseur : ils sont condamnés à vivre dans l'ombre du sacrifice christique de celui qui les a manipulés du début à la fin, et ils n'ont même pas le droit de se sentir victimes car ils en ont retiré de quoi vivre confortablement le restant de leurs jours.


La Casa de Papel, ce n'est pas l'histoire d'une bande de braqueurs anarchistes qui mettent en échec le système, c'est la mise en scène de la guerre éternelle que livrent les dominateurs au reste du monde (avec un focus particulier sur les femmes, d'ailleurs). Cela explique le choix du genre du braquage, dont l'un des codes les plus fondamentaux est la présence exacerbée et idéalisée d'au moins un manipulateur, un génie qui met au point le plan et le met à exécution. Sauf que dans La Casa de Papel, on est pas dupes de cette aura. On montre très vite et à de nombreuses reprises à quel point ce schéma est abusif.


Très belle série.

Antevre
8
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Créée

le 4 mai 2018

Critique lue 309 fois

1 j'aime

Antevre

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