Régulièrement, en sirotant oisivement mon café du matin, j’aime m’enquérir des dernières névroses numériques de mes contemporains, qui m’amusent autant qu’elles me provoquent une indulgente indifférence. Mais cette fois, l’agitation polémique plébéienne se donnait pour cause ce qu’on peut appeler un objet esthétique, qui plus est ne m’indifférant pas totalement vu son autrice, venant alimenter une énième fois malgré lui les éternels débats gentiment stupides et servir de support à l’expression de névroses militantes, et provoquant ainsi ma curiosité non seulement d’esthète mais aussi de psychologue en free-lance des hallucinations névrotiques collectives.


En me reconstituant la totalité du récit après avoir fini de regarder, je me rends compte que le cœur de la trame narrative est tout simplement évacué par les perroquets de la polémique, à savoir qu’il s’agit d’une descente aux enfers dépressive d’une star narcissique. Récit d’une grande noirceur quand on se le remémore dans son intégralité, mais qui est essentiellement composé de scènes comiques.


Ce qui peut dérouter dans l’humour de la série, c’est l’absence d’un tempo typique de comédie, on est plutôt dans une suite de longs blocs faussement réalistes induits par la forme du faux documentaire dont l’effet comique est à retardement : dans pas mal de scènes, on rit plus en se les rappelant à posteriori qu’en les regardant, on ressent d’abord et surtout le malaise qu’elles procurent grâce à leur naturel frappant et à la justesse des comédiens complètement en roue libre, ou la sidération qu’elles créent devant les comportements du personnage principal qui s’enfonce toujours plus dans une folie odieuse et grotesque.


Heureusement, on a quand même des moments de grande comédie complètement barrés, comme l’intégralité des deux épisodes du « stage de méditation entre filles » ou alors la scène surréaliste avec Louis CK insultant en visioconférence les convives du « mariage », lui qui représente étrangement la seule voix de la raison dans la série. D’ailleurs, à ce propos, la série souffre de la comparaison avec son évident modèle américain qui est beaucoup plus fantaisiste, inventif et étrange, quand là on est dans un ton très univoque, dans un rouleau compresseur d’autodérision et surtout de dérision d’une culture contemporaine du narcissisme faite de bienveillance nunuche et cynique, et de l’investissement d’enjeux sociaux sur un mode de développement personnel ou comme exutoire de névroses nombrilistes (ce qui nous ramène à nos chers militants). De ce point de vue, la série est bel est bien une série en tant qu’elle respecte un programme très strict d’écriture, certes très bien exécuté, mais un programme quand même et pas beaucoup plus.


Tout ça fut l’occasion de vérifier une nouvelle fois que les énormes œillères idéologiques fabriquent de très médiocres spectateurs, qu’ils soient dans l’indignation psychorigide ou dans le ricanement forcé à côté de la plaque. Contrairement à eux, j’y ai vu une description glaçante et drôle d’un nihilisme de la bienveillance que se fabrique une époque dépourvue d’amour, ce que semble confirmer le final très houellebecquien. Paradoxalement, c’est en montrant une version d’elle qu’elle déteste que Blanche Gardin finit par exprimer une réelle sensibilité, elle qui est désormais bien seule, loin devant la plupart de ses pairs.

Mr_Purple
6
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le 28 déc. 2021

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Mr Purple

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