Au feu, les Pompiers ! C'est le Bazar qui brûle...Au feu, les Pompiers ! C'est le Bazar qu'a brûlé !

Mai 1897, alors que trois femmes, Adrienne, Alice -la nièce de cette dernière- et Rose -la bonne personnelle d’Alice- se rendent au Bazar de la Charité, ce dernier brûle, emportant avec lui cent vingt-six personnes (environ, le chiffre exact ne l’est toujours pas, cent vingt-huit ans après) de la haute-société parisienne (et pas que). Les trois femmes, toutes rescapées, y voient alors l’occasion de mener leur vie de femme comme elles l’entendent, quitte à briser les conventions sociales de leur époque…


Mouah-ah-ah !


Pardon.


Je rie.


Et oui, au cas où vous ne l’aviez pas remarqué, je ne suis pas très fan des productions TF1.


Visiblement.


En même temps, quand on me vend une mini-série comme super-historique-les-gars-plus-historique-que-ça-on-meurt-puisqu’on-a-fait-des-méga-supra-recherches-de-ouf ! et que, in fine, elle s’avère, comme toutes les autres, de moyenne qualité… j’enrage un peu.
Il est toujours difficile pour une série d’être 100% historique : beaucoup de détails ne sont pas connus en un lapse de temps suffisant pour les scénaristes et certains détails ne peuvent tout simplement pas être reproduits (par manque de temps, d’argent ou tout simplement par décence). NEANMOINS, quand une série se fonde sur un fait-divers qui a duré MOINS DE 15 MINUTES (et non, 30 comme la superbe scène de l’incendie essaye de nous faire croire pour nous montrer toute l’étendue de la prouesse technique) et sur la condition de la femme à la Belle Epoque… c’est bien de se renseigner un minimum. L’excuse générale (et parfaitement risible) du « on ne peut pas faire un support entièrement historique sinon le public s’enquiquinerait » ne peut pas être utilisée à chaque fois pour justifier la flemmardise des auteurs d’ouvrir UN SEUL livre d’histoire. Là, en plus de n’avoir que 15 minutes où il fallait être vraiment historique, ils avaient une association entière chez qui prendre des renseignements !
Le problème n’est pas qu’ils ont changé des faits historiques de l’incendie uniquement par manque de moyen ou parce que « si on avait fait 100% historique, les gens se seraient ennuyés », c’est que toutes leurs décisions ont été prises pour rendre la scène plus spectaculaire d’un point de vue technique et scénaristique. Or, en faisant ça, ils ont négligé certains éléments qui, pour le coup, faisaient spectaculaires ! Par exemple, l’incendie a tellement affolé de monde que la plupart ont essayé de s’enfuir par l’arrière (qui donnait sur une petite cour) et que c’est finalement les cuisiniers du Grand Hôtel, situé derrière, qui brisèrent leur lucarne qui donnait sur le bazar pour aider les femmes à s’en sortir. Dans la série, personne ne passe par derrière et les cuisiniers aident les gens par devant… comme tous les autres passants.
Pareil… pour renforcer l’aspect affreux des flammes, ils ont décidé que ça allait être… la nuit noire ! Sachant que l’incendie eut lieu le 4 mai 1897 à 16h… ça fait joli mais ça reste incohérent !
Bref, 15 minutes « historiques » qu’ils n’ont même pas été fichus de respecter pour différentes raisons... du coup, comment est le reste ?
Et bien, pour pouvoir parler de la condition de la femme de l’époque… encore faut-il être bien renseigné… ne serait-ce que pour faire des parallèles avec nous, aujourd’hui !
Il y a trois femmes dont nous suivons le parcours : Adrienne, Alice et Rose.
Adrienne est mariée à un homme violent qu’elle essaye de fuir avec sa fille sans succès. Comme il fallait que ce soit grand public, les scènes de violences conjugales sont très rares. De plus, le véritable problème n’est pas qu’elle veuille divorcer (elle est relativement libre pour l’époque et peut réussir à le faire avec sa fille) mais plutôt que la pression sociale l’en empêche (c’est mal vu à l’époque). Personnellement, je m’attendais à voir sa sœur et son beau-frère lui faire des remarques sur le sujet. Bien sûr, c’est aussi l’intrigue où il y a une affaire d’espionnage en jeu et… pas une référence à l’Affaire Dreyfus qui battait son plein à l’époque ? Sachant que, en plus, l’incendie a été utilisée comme excuse pour renforcer l’antisémitisme de la France (on pensait que c’était un complot juif pour assassiner la haute-société et prendre leur place), une ou deux références auraient été pas mal. Mais bon, déjà qu’ils n’ont même pas voulu parler de la victime la plus célèbre de l’incendie, la duchesse d’Alençon (la sœur de Sissi)…
Alice est une jeune fille de bonne famille, nièce de la précédente, qui va se marier à un jeune homme de bonne famille riche (parce que sa famille est ruinée) et qui tombe amoureuse de son sauveur de l’incendie, un anarchiste injustement condamné à mort pour l’incendie (qu’on croit un moment criminel) et entreprend tout pour le sauver. Alors cette intrigue m’a le plus énervée car elle fait le plus moderne. Alice s’échange baiser et visite du bazar en tête à tête avec lui, une chose absolument pas concevable pour l’époque. Pour vous dire à quel point ils n’ont pas compris grand-chose aux relations amoureuses avant le mariage de l’époque : dans le premier épisode, Alice, qui doit garder le fils d’une amie au bazar et veut aller se balader avec son chéri, voit son aimable bonne lui promettre qu’elle va s’occuper de l’enfant et qu’elle peut aller batifoler tranquillement… pourquoi est-ce que cette intrigue fait fausse ? Parce que la bonne jouait un rôle de chaperonne ! On n’envoyait pas uniquement les jeunes filles de bonne famille avec leur bonne ou une dame plus âgée à ce genre d’événement pour qu’elles puissent porter leurs encombrantes courses ! Elles avaient bien sûr un rôle de garde-fou et s’assuraient que les hommes qui abordaient leurs maîtresses n’avaient pas de comportement déplacé et n’entreprenaient rien envers elles. Alors que Rose laisse sa maîtresse partir avec sa bénédiction pour qu’elle puisse roucouler tranquillement entre différentes échoppes du bazar : mais quel scandale !
Remarque cette intrigue gère aussi très mal le rapport d’échelle sociale puisqu’Alice est « super pote » avec sa bonne et qu’elle tombe amoureuse d’un anarchiste (un type qui était contre les personnes de sa classe sociale, classe qu’il voulait théoriquement et politiquement détruire) pour qui elle est prête à tout abandonner du jour au lendemain. WTF ? La jeune fille a passé sa vie dans un luxe confortable et prospère et elle est prête à tout perdre comme ça pour une misère sociale parfaitement honteuse parce qu’elle… est amoureuse ? Oh et elle est aussi prête à donner sa virginité ? Sachant qu’on n’apprenait pas du tout la sexualité aux filles ? Mais Alice s’en fout, elle, car elle est une femme moderne (ironie), elle ! Arrrgggghhhh… pour vous faire comprendre mon énervement, comparons Alice au personnage de Sybil dans Downton Abbey, qui suit un parcours similaire. Certes, il y a plus de temps pour développer le tout mais néanmoins, la décision de Sybil de quitter son monde pour épouser Branson est plus raisonnable. Pourquoi ? Parce qu’elle tergiverse ! Elle se cherche, questionne ses sentiments, ceux de Branson, s’adonne à la dureté de la vie (elle devient infirmière de guerre) pour voir si elle peut s’adapter, apprécier, s’y faire et surtout accepter une vie plus simple pour l’homme qu’elle aime. Il y a aussi des considérations familiales qui rentrent en compte : Sybil s’est assurée de quitter sa famille après la guerre, à un moment où ses parents et ses sœurs s’en sortiraient et n’auraient pas besoin d’elle pour rebondir ; elle a aussi voulu partir avec la bénédiction paternelle parce qu’elle savait parfaitement qu’elle supporterait mieux sa nouvelle vie si sa famille ne décidait pas de lui tourner le dos définitivement !
AUCUNE DE CES IDEES NE TRAVERSE ALICE EN 8 EPISODES !!!! Ce qui n’en fait pas un personnage plus fort et sûr de lui mais une idiote écervelée qui prend ses décisions comme elle se mouche ! C’est pour ça qu’une Sybil est plus « badass » qu’une Alice, parce qu’elle réfléchit et que le poids des conventions sociales est assez pour qu’elle doive se préparer à un changement aussi brutal de vie ! Là, Alice ne réfléchit à rien, les conventions sociales ne sont pas un facteur si déterminant que ça (même sa tante, qui a vécu dans le même luxe qu'elle, semble être plus habituée et débrouillarde après deux ou trois jours passés chez son amant) et surtout, la fin qu’on nous vend comme un bel happy ending ne peut AB-SO-LU-MENT pas être heureux ! En effet, sa famille est ruinée, au cœur du scandale du cinématographe, elle appartient toujours à la haute-bourgeoisie alors que son petit copain est un anarchiste convaincu qui est pour la lutte des classes (ce qui n’apporte in fine rien à son perso mais bousille bien les chances de vivre heureux et pour toujours) mais SHUT UP, EVERYTHING IS GREAT FOR THEM NOW !!!!
Quant à Rose, bien que l’idée qu’elle soit forcée à endosser l’identité d’une autre, profitant de sa détresse émotionnelle et physique, soit une bonne idée, elle est mal interprétée et devient soûlante parce que les auteurs ont très clairement envie de la voir terminer heureuse avec son chéri et une situation sociale prospère ! Sans parler du fait que, si sa première rencontre avec Alice après l’incendie était plausible et instaurait une ambiguïté, le fait que les deux femmes se rencontrent à plusieurs reprises par la suite et que son amie n’est pas capable de la reconnaître rend Alice encore PLUS DEBILE !
De plus, à cause d’un milliard de petits détails, aucune des intrigues n’est pleinement aboutie pour représenter une vision claire et nette de la condition de la femme de l’époque, de l’époque, ou du contexte dans lequel eut lieu cet incendie… certainement à cause, aussi, des nombreux parallèles qu’ils ont à tout prix voulu mettre entre notre époque et la fin du XIXème siècle et qui, du coup, sonnent faux parce que t’as l’impression que… au fond, on n’a pas si évolué que ça… alors que si. Plus qu’on le croit. Et plus que cette série avait l’occasion de montrer.
Avant de terminer, j’aimerais conclure sur deux autres éléments qui gâche cette mini-série : le langage trop moderne qui casse totalement l’ambiance Belle Epoque (« c’est chouette », « t’inquiète pas », « ouais », l’accent rebeu et absolument pas parigot) et les péripéties qui s’enchaînent lentement avec beaucoup de rebondissements… pour se précipiter à la fin et conclure. Ça reste un divertissement qu’on peut regarder sans trop de passion du début à la fin mais ça n’est pas un bon divertissement « historique », comme ils nous l’ont vendu.
PS: en parlant de féminisme, ils avaient l'occasion rêvé de mettre en avant le personnage de Sévérine, notamment avec son fameux article, paru dans les jours qui suivirent l'incendie, "mais que faisaient les hommes ?" mais ne l'ont pas fait... pour mettre son article entre les mains de l'amant d'Adrienne ! Ce n'est pas se tirer dans le pied, ça, que de mettre ce célèbre article féministe entre les mains d'un homme ?

Créée

le 24 déc. 2019

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