une série puissante et juste

Quel plaisir de voir porté à l'écran, avec tant de justesse, ce jeu magnifique que sont les échecs ! Très souvent, dans les films, les échecs sont utilisés en symbole d'une relation de domination, d'une situation emmêlée où la stratégie sera déterminante. Très souvent, par ailleurs, les positions, les coups joués et l'univers des échecs sont très mal retranscrits à l'écran, ce qui me désole un peu (consulter une personne savant jouer un minimum aux échecs ne ferait pas exploser le budget des films...).
Ainsi, c'est avec enthousiasme que j'ai dévoré cette série, superbement produite, qui développe une intrigue passionnante avec le jeu d'échecs au coeur de tout. On suit une jeune orpheline qui s'éprend de passion pour le jeu, le découvrant d'abord avec le concierge de l'internat, et dont le génie de visualisation (stimulé par les pilules bleues) la promet à une niveau de jeu époustouflant. Sortant de l'internat, elle est recueillie dans une famille malheureuse, un père absent et une mère au foyer déprimée dont on devine que le talent au piano a été étouffé par un mariage trop précoce. Elle tient sa chance de cette mère adoptive qui lui fait confiance et lui confie la santé financière de leur tout nouveau binôme, au lendemain de leur abandon par le père. Elle enchaîne ainsi les tournois, des premières victoires dans des tournois universitaires aux premières compétitions régionales puis fédérales.
Petit à petit elle découvre un monde très normé, très masculin voire complètement macho, très politisé mais aussi très difficile, l'astreignant à une rigueur et un travail monstrueux pour atteindre son meilleur niveau. La série dépeint parfaitement, sans emphase, la difficile ascension des femmes dans le sport de haut niveau et aux échecs en particulier (la série indique justement que la championne du monde dans les années 70 n'avait jamais affronté d'hommes). Le conflit américano-soviétique en toile de fond, s'il est un peu stéréotypé, rappelle les grandes heures des échecs entre Fischer et Kasparov, dont les affrontements sanglants avaient mis sur le devant de la scène un sport très peu considéré à sa juste valeur.
En résumé, le film brosse un portrait juste et documenté des échecs (notamment pour des néophytes), avec des nombreuses et longues scènes de jeu (et cette belle danse à trois temps entre la pendule, le plateau et la feuille de notation). Elle aborde des sujets sociétaux d'époque, que ce soit, l'éducation, la place des femmes dans la société, la rapport aux addictions, les enjeux politiques d'un affrontement idéologiques entre deux super continents. Le tout dans une esthétique imparable, très soignée, avec des mouvements de caméra superbes (les scènes de visualisation, les scènes de jeu), et dans une ambiance angoissante au départ puis de plus en plus douce à mesure que les personnages sont bienveillants autour de l'héroïne. A ce titre, la scène de fin, l'ultime partie avant d'atteindre les sommets échiquéens, marque la convergence des relations et amitiés de la joueuse, la supportant et remplaçant, du même coup, ses penchants pour les addictions.