Les Allumés
7.9
Les Allumés

Série Channel 4 (1999)

Comme beaucoup, j'ai découvert Spaced suite à Shaun of the Dead, et si la série est devenue quasi-instantanément une de mes préférées, je n'avais pas réalisé sa densité. C'est effectivement du scénario que je vais parler, la maestria de le réalisation Wrightienne ayant été démontrée par bien d'autres. Pourtant il faudra bien rendre à César en citant plus souvent Jessica Stevenson qui a écrit la série avec Simon Pegg, et si on parle beaucoup des collaborations entre les deux mecs, il faut avouer que Stevenson est dans le même feeling et a fait un excellent taf avec Pegg.
Du coup, ça va surement spoiler la série et la trilogie des cornetto, je dis ça je dis rien.


Skip to the end


Je n'avais pas saisi la mélancolie de la saison 2 pendant des années, tant j'étais "eu" dans le cocon de la bande - car il est question de cocon et je vais utiliser ce mot un paquet de fois. Tout ce temps, la saison 2 n'était pour moi qu'un prolongement de la 1 et malgré tout ce qui s'y passe, je pensais voir que d'autres aventures rocambolesques de mes amis geeks. Surement, j'avais besoin de ce cocon, j'avais besoin qu'il reste fiable et toujours solide. Pourtant à force de regarder régulièrement la série, il devient évident que les deux saisons ne se prolongent pas mais se font échos et s'affrontent.


La première présente les personnages construisant leur cocon, leur zone de confort où leurs liens vont se tisser si fort qu'ils prendront racine au 23, meteor street. Période assez positive.
La seconde va les pousser à se heurter à l'extérieur, à ébranler la bulle mise en place dans la saison 1. Période bien plus maussade.


Chaque personnage se prend dans la gueule une importante vérité : rien ne reste stable, tout évolue, tout s'écrase et quelque chose de neuf se construit, et ainsi de suite. De Tim à Marsha en passant par Brian, personne n'est assez "mûr" pour éclore et voler de ses propres ailes - à part peut être Mike dont l'histoire est résolue en une saison (et certes mise à mal en sous texte dans le finale de la série) et Twist, pas assez dépeinte pour avoir quelque chose à atteindre (elle devient même une sorte d'antagoniste, sort du groupe et ne manque à personne au final).


It's not finished.


Le duo principal incarne une série de conflits/soucis/névroses que tout un chacun (note que j'utilise pour la première cette expression) affronte dans sa vie : Tim doit gérer une fêlure amoureuse qui a détruit sa foi en "tout ce qui est bon et pure", une méfiance envers les femmes qui entrent dans sa vie sentimentale (problème qu'il n'aura jamais avec Daisy, donc), et un petit arc parlera de sa confiance en soi ébranlée par un éditeur moqueur.
Daisy se démène avec une procrastination doublée d'une pelleté de démons pourrissant la vie professionnelle (bon ici c'est plus appuyé pour le travail, mais on peut résumer ça à "trouver sa place") : incapable de rester en place à gérer ses problèmes, doutes, flemme, personnalité parfois dans l'ombre, étouffée par les autres (de Tim et de Twist principalement).


Tim travaillera au corps son problème dans la première saison, et sera en rémission dans la seconde (et aura un petit soucis similaire mais avec sa propre culture. The Phantom Menace...). Daisy passe la première saison un poil plus en retrait, on découvre les (maigres) fruits de son travail dans le S02E01, puis elle s'en prendra plein la gueule dans le reste. D'ailleurs cet épisode donne le ton, l'humeur qu'elle aura suite à son retour plombant la suivra et contaminera l'ambiance même de la série. Ces deux personnages qui ont une symbiose un peu paradoxale, qui assurera plusieurs clashs consolidant leurs liens.

D'ailleurs, c'est assez dommage de lire partout sur le site des mentions au duo Frost/Pegg, je pense que Spaced est bien plus représentatif du binôme Stevenson/Pegg.


En ce qui concerne l'appartement ("qui est un personnage lui aussi" - in Phrases clichées de l'analyse de film, chapitre 12 : les films avec des lieux iconiques), il est plus présent dans la première saison (cocon !) et se fait moins voir dans la seconde, où chaque épisode présente un paquet de séquences extérieures - et aucune n'était foncièrement positive !
En vrac : la classique administration sadique ; le lieu de travail bouffant la personnalité (la 2nde boutique de comics) et réduisant son personnel en esclavage (le resto) ; la galerie s'imposant et profitant de la perte de connaissance d'un artiste (l'expo de Brian) ; la sortie dangereuse dans les bars (rencontre avec Dwayne et le gang des gamins) ; la maison d'édition défendue comme une forteresse ; l'autre resto (celui de l'anniversaire où tout va s'écrouler) ; la vieille sorcière d'à côté (et son obsession malsaine pour Colin) et même la rue devient un terrain de guerre (Daisy devenant violente en un jogging avant de sauver son chien d'une mort renvoyant à celui de Brian, ouf !). Et le Robot Club qui balance sa vérité l'air de rien : "welcome to the real world, it's not a fair place".


It's finished.


Les épisodes de la saison 2 ont chacun un carton annonçant le titre (contre simplement le numéro dans la saison 1), soulignant leur importance dramatique. Après un "back" logique, on s'enchaine "change", "mettle", "help", "gone", "dissolution", et "leaves" où un fragile équilibre est trouvé et commencera certainement très vite à se fissurer.


On peut voir des prémisses au message sombre et amère de The World's End, avec cette bande de potes qui a évolué, dans un monde qui tombe en ruine (et no spoil, c'est le titre). Si beaucoup ont retrouvé l'ambiance "colocs geeks" dans Shaun of the Dead, je trouve tout aussi pertinent de relier les personnages joués par Simon Pegg entre la série et le troisième opu de la trilogie, tant la thématique est similaire (et est traitée avec des tons différents mais complémentaires).
A voir absolument, la scène coupée de ce qui devait être la réelle "résolution" entre Tim et Daisy, sur le quai de la gare. Suite un anniversaire déprimant et tout un monde qui s'écroule, Daisy ne sent plus raccord avec le cocon et le style de vie qu'ils mènent, appelée à l'extérieur vers une route - qu'on imagine - plus conformiste. En quelques épisodes, ça n'est plus la même Daisy qui passait un entretient pour un magasine féminin, et il faudra le personnage de Tim pour la convaincre en résumant la série : cette zone de confort intemporelle qu'ils ont la chance de partager encore à presque 30 ans, et est heureux de faire durer son enfance le plus longtemps possible.
D'autres exemples : Shaun qui reprend sa vie après l'invasion de zombie, avec sa copine (qui lui reprochait pourtant ce style de vie) et son coloc dans la remise du jardin ; le Roi Gary qui retrouve une copie de sa bande adolescente et continue à vivre les meilleures années de sa vie sur une terre dévastée.


Ajoutant à cette fin originelle la théorie du happy end et de la famille du 21e siècle, nous sommes devant ni plus ni moins qu'une école de la vie, de grands enfants encore en train d'apprendre à se trouver une foutue place sur terre, épreuve après épreuve, sans perdre cette petite flamme de folie qui est sensée s'éteindre à l'age adulte.


Même expurgé de cette scène, le serie finale est très amère malgré ses apparentes résolutions : "Happy endings are a myth", on a pourtant été prévenu.


Spaced, sous ses apparences délurées, est une œuvre majeure, un témoignage sur la construction de soi, une aventure d'apprentissage qui s'enchaine très bien après le visionnage de Freaks and Geeks, son pendant le plus proche pour la période adolescente.

MKD
10
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Créée

le 7 juin 2015

Critique lue 322 fois

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