Les Enfants de la baleine
7
Les Enfants de la baleine

Anime (mangas) Tokyo MX (2017)

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La madeleine de Proust est une image galvaudée, et souvent utilisée à l'inverse diamétral de ce qu'elle est sensée évoquer à savoir l'étiolement et la cruauté du temps qui passe, l'inexorable effacement de ce souvenir magique, intact, qui s'efface à mesure que Swan mange cette madeleine, pour finir sur un gateau qui ne lui évoque plus rien, pas même l'ombre du souvenir qu'il venait pourtant de revivre à l'identique, dans toute sa splendeur et son intensité.


Pourquoi ouvrir cette critique ainsi, me direz-vous ?
Pour une raison finalement annexe, mais pas sans lien avec les Enfants de la Baleine.
On pourrait dire, pour résumer, que c'est principalement parce que je me sens orphelin, depuis la fin de Ghibli, depuis que Miyazaki a pris une (énième) retraite (mais sa santé et sa vue s'étant dégradée ces derniers temps, il est probable que cette fois-ci, ce soit la vraie, celle dont on ne revient pas, malgré son incapacité à ne pas mettre des projets en chantier, dont chacun pourrait être le dernier, voire laissé inachevé).
Or, en découvrant les premiers dessins des Enfants de la Baleine, son postulat de départ, difficile de ne pas être emporté par une vague d'émotion, une résonance qui évoque entre autres Nausicaa, entre l'esthétique de cette île se mouvant sur une mer de sable, microcosme fait de replis, de cachettes, de structures organiques à même la pierre, et son organisation, cet univers chaleureux et rude à la fois, cet équilibre en autarcie, ce monde village, cette huître de Ponge, forte et fragile à la fois.
Mais après la séduction initiale due à la magnifique réalisation et à un univers plein de promesses, pas spécialement original mais qui invite au rêve, on se retrouve confronté à plusieurs problèmes, qui viendront sévèrement égratigner la suspension d'incrédulité qu'exige toute oeuvre fictionnelle.


Le problème le plus flagrant vient du manque d'épaisseur des personnages, la plupart réduit à leur dimension la plus archétypale possible. Les mignonneries sont mignonnes, les Ténébreux ténèbrent, les naifs naivent, les conspirationnistes conspirent et tous entrent dans des cases bien définies qui oscillent entre l'archétype et la caricature.
L'une des choses que je déteste le plus dans la fiction tient dans les retournements de situation factices,où l'on utilise délibérément un personnage à contre-emploi, juste pour le plaisir de perdre le spectateur, sans qu'aucune justification ne soit donnée. Et rapidement, sous couvert de mystérieux mystère qui cache bien de mystérieuses choses intrigantes (et mystérieuses) on voit le conseil des sages prendre la décision la plus conne de la série, arbitrairement, juste comme ça, pour créer un coup de tension (ayant décidé de ne pas spoiler, je n'entrerai pas dans les détails, mais bon, ceux qui ont vu la série savent).
Et ça va être comme ça tout le temps, des persos qui frôlent la bipolarité pour les besoins d'enjeux dramatiques qui en deviennent du coup creux, et souvent téléphonés.


Vient ensuite une gestion contestable du rythme de la série, auquel on peut adhérer ou pas, mais difficile, même en acceptant ce dernier, de ne pas relever son inconsistence étrange qui nuit tant à la dynamique ambiante (quand la série prend un coup de mou inexpliqué) qu'à la mise en tension dramatique (quand les choses se déroulent trop vite). Fort heureusement, le format de la série (12 épisodes) permet de ne pas trop pâtir du premier, mais tend le flan au second, donnant parfois l'impression paradoxale qu'à la fois il se passe trop de chose, pour au final pas grand chose...


Ce qui m'amène à mon dernier gros reproche : il tient à une sorte de GameofThronite ambiante, où les auteurs semblent confondre tension tragique et massacre de seconds couteaux dont on connait à peine les noms. Les morts sont souvent non seulement prévisibles, mais en plus mal gérées, loupant même le coche ostensible du tire-larme.


Et je ne m'apensantirai pas sur la symbolique à la truelle (la thématique du deuil est traitée avec un manque de finesse parfois affligeant) ni sur les élans de poésie forcés qui en deviennent parfois presque gênants (et pour certains carrément inutiles, le non-dit fonctionnant autrement plus efficacement que l'emphase, le "trop-dit").


Et pourtant...
En finissant cette première saison, j'ai eu un pincement au coeur inattendu. J'aurais voulu rester plus longtemps, à ma grande surprise...
Les défauts susmentionnés sont indéniables, mais les bonnes idées, bien que souvent galvaudées, sont tout aussi indéniables. L'univers garde quasiment intactes ses promesses, malgré les maladresses de gestion de celles-ci.
La mystique de l'oeuvre à été à peine effleurée, et le panthéon des Divinités suggéré me laisse une lueur d'espoir.
Et encore une fois, j'insiste sur la beauté de l'ensemble, la beauté de l'île, la force de la réalisation qui arrive à marier l'utilisation des CGI sans pervertir la pureté du trait, le chara-design qui fait le taf, la musique qui sait se faire discrète et accompagner plus qu'agresser.


Bref, un constat en demi-teinte, c'est sûr, mais qui me laisse un goût de reviens-y...
Tiens, du coup, hop, j'y fous un généreux 7 au lieu du 6 initial!

toma_uberwenig
7
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le 18 nov. 2019

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toma Uberwenig

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