Les Nouvelles Aventures de Sabrina est la deuxième adaptation de l’univers du comics Sabrina l’apprentie sorcière en série live action après la version culte de la fin des années 1990. C’est le nouvel objet issu de la volonté du studio Netflix d’exhumer les formes des séries de la fin du XXème siècle. Rien d’étonnant à voir réapparaître, plusieurs mois après le mouvement MeeToo, un univers de sorcières, icônes féministes contemporaines.


Sabrina est une demi-sorcière née d’un père sorcier et d’une mère humaine. Aux prémices de la série, elle s’apprête à passer son « baptême obscur », une cérémonie qui doit lui permettre d’obtenir les pleines facultés dont disposent les sorcières mais qui la séparerait définitivement de ses amies Rosalind et Susie et de son petit copain Harvey. La jeune fille, effrayée à l’idée de sceller un pacte à vie avec le diable qui l’éloignerait définitivement du monde des humains, prend la fuite lors de la messe noire le jour de son seizième anniversaire.


La petite ville de Greendale apparaît dès lors comme l’émanation du désir d’équilibre de Sabrina : rester dans l’entre-deux de ses identités, mi-humaine, mi-sorcière. Cela se traduit ainsi formellement par les manifestations du monde obscur qui crée de légères distorsions dans le flou du cadre alors que les personnages, eux, restent nets et définis. Les corps - tout particulièrement celui de Sabrina - semblent, de fait, ancrés dans l’entre-deux-monde.


Le corps et la magie


Un passage du premier épisode porte en lui le rapport qui existe entre le corps et la magie. Alors que Sabrina appelle son futur familier (Salem le chat noir qui accompagne la sorcière) grâce à un rituel d’invocation, les sœurs du destin (trois sorcières qui en veulent à Sabrina d’être une hybride) lui jettent un mauvais sort. Sabrina court jusqu’à son lycée afin de prendre une douche pour se libérer de la malédiction. Ici, le corps est le réceptacle direct de la magie : pour briser l’enchantement, il faut littéralement se frotter sous l’eau.


Plus que l’action physique de la magie sur le corps, c’est l’atteinte du psychisme de la jeune sorcière qui se révèle d’une importance singulière. Le mauvais sort énoncé précédemment est un sortilège « d’inversion de sang ». La vie de Sabrina prend dès lors un tournant majeur : à la suite de sa rencontre avec Nick à l’école des arts obscurs, elle se laisse petit à petit emporter par la force de sa sexualité naissante.


De la dialectique du « gentil et du salaud » à celle du « bad boy et du petit copain »


Le tiraillement de Sabrina entre son amour pour Harvey et sa passion naissante pour Nick, évoqué précédemment, relève de l’inversion, en faveur des femmes, de la dialectique freudienne de « la maman et la putain ». Dans un article pour l’association française de sexothérapie, Christian Fenninger oppose à Freud une nouvelle terminologie : « le gentil et le salaud ». L’auteur donne l’exemple de cas pratiques qui tendent à démontrer que certaines femmes ont la même propension que les hommes à aimer et désirer une personne unique. Pour Fenninger, l’anhédonie sexuelle lors de la relation avec le partenaire aimé est le reflet d’un mécanisme de défense psychique qui va « cliver la sexualité et l’amour tendre, rendant impossibles l’un et l’autre simultanément ». Elle est souvent causée par un traumatisme de l’enfance, l’auteur donne l’exemple des tendances incestueuses du père mais l’image de l’amour que renvoie la mère peut aussi en être le germe.


Le cinéma s’empare bien tard de cette question de la sexualité féminine adolescente, quand son équivalent masculin ne cesse d’être abordé. Pacôme Thiellement situe ce retournement de paradigme à partir de la série Buffy contre les vampires diffusée pour la première fois en 1997. S’il est certain qu’une forte occurrence de ce thème existe depuis le début des années 1990 - la série Friends (1994) en tête, au travers du personnage de Rachel - la création de Joss Whedon est fondatrice dans le sens où elle codifie un cliché-situation purement cinématographique et légèrement différent de la dialectique du « gentil et du salaud » proposé par Fenninger : c’est-à-dire une dichotomie, spécifique aux récits teen, entre le bad boy et le petit copain affectueux. Le cliché-situation est différent de ce que le sexologue identifie pour deux raisons essentiellement liées à la nature-même des deux sujets.


Premièrement, le bad boy n’est pas (nécessairement) un salaud , il est une émanation visuelle des pulsions et du refoulement de la protagoniste. Ensuite, le petit copain affectueux n’est pas désexualisé. Il est également une manifestation visible du fantasme, car le récit traditionnel tend à une confrontation virile entre le bad boy et le petit copain dans le seul but de mettre à l’épreuve et de renforcer les liens amoureux entre la jeune femme qui vit le trouble de leur confrontation, et le partenaire initial (le petit copain). Ainsi, Twilight, Chapitre II : Tentation (Chris Weitz, 2009) est une illustration archétypale de cette confrontation car Edward comme Jacob sont érigés, chacun à leur manière, par la récurrence de l’apparition de leur torse nu, comme deux corps-fantasme masculins basculant dans leur versant le plus ornemental.


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Hétérotopie
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le 21 nov. 2018

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