Les Revenants
6.7
Les Revenants

Série Canal+ (2012)

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Faut-il haïr le genre humain pour n'en retenir que le morbide

Le premier épisode de cette série m'a complètement happé. Le pitch recèle une incroyable puissance émotionnelle, j'ai difficilement retenu mes larmes en voyant ces retrouvailles si particulières et en essayant d'imaginer ce que j'aurais ressenti à la place des personnages. La beauté de l'image, sublimée lors d'un générique en totale symbiose avec une superbe bande originale, m'a confirmé dans l'opinion que j'étais face à une production d'une rare qualité. Le potentiel scénaristique d'exploration de l'âme humaine et des sentiments moraux semblait infini et c'est avec confiance que j'ai enchaîné sur l'épisode 2.


Quelle erreur. Quelle déception.


Au fil des heures, on s'enfonce dans une spirale morbide de comportements toxiques totalement gratuits, de dialogues surréalistes qui n'abordent jamais le problème qu'ils visent à résoudre et d'allers-retours dans les quatre ou cinq lieux de ce petit village doté d'équipements ultra-modernes et d'un pouvoir d'achat manifestement très supérieur à la moyenne, mais visiblement dépourvu de journalistes et d'autorités politiques.


Je vous mets au défi. Regardez les 8 épisodes de la saison 1 et essayez de trouver ne serait-ce qu'un seul échange non-toxique entre les personnages, c'est-à-dire où ils se parlent simplement avec bienveillance en échangeant des informations ou des émotions positives, sans agressivité, rivalité, colère, blessure ou interruption extérieure menaçante. C'est tout simplement inimaginable de passer presque 8h devant une série qui ne contient que des dialogues négatifs et dont toutes les intrigues se dénouent soient par le suicide, soit par le meurtre, soit ne se dénouent pas. Même dans les séries de zombies il y a des moments de chaleur humaine, qui constituent un refuge face à l'adversité. Là, rien, pas un seul moment de sincérité mutuelle, même les retrouvailles qui devraient être des moments de pur bonheur n'aboutissent qu'à des engueulades, des rivalités et, ultimement, la mort. À croire que les scénaristes ne s'intéressent pas à l'humain et à ses dynamiques amoureuses et familiales, juste au conflit et à la perversité. C'est vertigineux de noirceur, mais aussi de bêtise. Car il faut être profondément bête pour ne retenir que la haine et la mort dans un pitch aussi philosophiquement riche.


De la bêtise, l'ensemble des interactions entre les personnages en regorgent. Jamais les bonnes questions ne sont posées. Jamais les dialogues ne se concluent par la réponse logique à la question soulevée. Jamais aucun des personnages ne fait preuve de la curiosité la plus élémentaire. Le scénario nous demande de suspendre indéfiniment notre jugement et de papillonner d'invraisemblable en ahurissant sans jamais fournir le commencement du début d'une explication devant l'amoncellement de faits et comportements inexpliqués. En ce qui me concerne, c'est au-dessus de mes forces. J'attends un minimum de recherche dans l'écriture, pas grand chose, au moins une preuve que c'est bien une série basée sur des personnages humains auxquels je pourrais m'identifier, et non pas un groupe de maniaco-dépressifs affrontant toutes les situations comme des poulets sans tête, incapables de prendre des décisions logiques ni de communiquer autrement qu'en se jetant toutes leurs frustrations à la figure ou en baisant sauvagement sans aucun contexte.


J'ai essayé de me ressouvenir de quelques incohérences et trous scénaristiques béants qui sont lâchés, souvent de manière convéniente en fin d'épisode, pour n'être finalement jamais expliqués :
– pourquoi les revenants ne suscitent aucune curiosité des autorités, médecins et médias, et seulement un intérêt modéré de leurs propres familles qui ne cherchent globalement ni à connaître leur état d'esprit, ni à les informer de ce qu'il s'est passé pendant les années perdues ? Pourquoi les revenants eux-mêmes sont-ils si peu curieux de leur propre situation lorsqu'ils se rencontrent entre eux, ne cherchant pas vraiment à partager leurs expériences ?
– pourquoi Julie prend-elle la décision de garder chez elle pendant plusieurs jours un garçon muet ?
– pourquoi la jumelle a-t-elle paniqué dans le bus lorsque sa sœur a fait l'amour avec Frédéric ? 
– pourquoi des plaies apparaissent sur certains personnages, principalement des revenants mais aussi Léna ?
– comment et pourquoi Simon s'est-il suicidé le jour de son mariage ? et pourquoi sa fille est-elle au courant, ayant fait un dessin à ce sujet ?
– pourquoi le niveau du lac baisse-t-il, les égouts refluent-ils et des nuisibles remontent des canalisations ?
– pourquoi montre-t-on la chambre de Léna détruite dans l'épisode 2 sans que cet événement ne soit expliqué ni n'ait aucune conséquence par la suite ? idem pour l'animal en décomposition découvert dans la cuisine dans l'épisode 3 ?
– pourquoi les jumelles sont-elles victimes de troubles du comportement, notamment des crises de colère ou des pulsions sexuelles inexpliquées ? Par exemple lorsque Camille affiche un appétit sexuel extrêmement malsain pour son âge, ou lorsque Léna fait l'amour avec Frédéric dans des toilettes publics (ce qui est déjà répugnant à la base, mais qui l'est encore plus quand on sait que ces toilettes étaient hors-service pour cause de reflux), ou encore lorsque cette même Léna fait l'amour avec Serge au beau milieu d'une crise de panique où elle venait de le menacer avec un couteau en apprenant qu'il était non seulement mort, mais aussi lié à un meurtre de femme ?
– ce même problème de pulsions sexuelles incontrôlables touche également Simon et Lucy qui font l'amour quelques minutes après s'être rencontrés pour la première fois.
– pourquoi et comment Lucy voit-elle des choses pendant le sexe ?
– que s'est-il passé pendant la réunion des zombies dans la forêt, sur laquelle est tombée Léna sans que le sujet ne soit jamais expliqué par la suite ? et pourquoi sa sœur est-elle au courant ?
– pourquoi Simon semble-t-il le seul à être doté d'un pouvoir de force surhumaine, pouvant casser de l'intérieur le verrou du frigo de la morgue et s'échapper de sa garde à vue en cassant la vitre blindée de la cellule ? Au contraire, pourquoi se montre-il incapable, dans le dernier épisode, de franchir la maigre porte en bois de la buanderie d'Adèle ?
– pourquoi la ville semble-t-elle brutalement abandonnée, un policier faisant même référence à des pillages, sans qu'à aucun moment cette panique populaire ne soit montrée ni expliquée ?
– pourquoi la maman membre de l'association fait-elle une fausse couche ?
– pourquoi la horde de revenants marchant vers la ville sont-ils vus comme hostiles alors que la communauté vit déjà avec plusieurs revenants non-hostiles ? pourquoi un revenant est-il montré buvant l'eau des toilettes dans le bar, et abattu par le policier comme un vulgaire zombie, alors que jusqu'à présent la série consistait à montrer les revenants comme des personnes non-hostiles et ayant toute leur tête ?
– pourquoi le gamin inquiétant pousse-t-il les gens au suicide ou à l'accident, y compris des gens innocents comme la fille d'Adèle ?
– pourquoi le chef de l'association caritative semble-t-il si bien informé de la suite des événements, préparé même à une guerre de longue haleine, et comment a-t-il pu se fournir un équipement militaire et médical de pointe extrêmement coûteux ?
– pourquoi Lucy, dans le dernier épisode, revient-elle pour demander qu'on lui amène tous les revenants, sauf Serge qui reste au sous-sol dans l'indifférence générale ?


Et je suis sûr que j'en ai raté. Je ne parle pas des suspensions du jugement classiques, comme l'impossibilité de sortir du village ou les animaux immergés dans le lac, qui fait partie des codes normaux et acceptables du genre ; seulement des incohérences manifestes, des oublis, des exubérances. Leur amoncellement me guide vers la seule et unique conclusion possible : on est face à une arnaque. Il n'y a pas d'explication, pas de raison particulière à ces comportements et à ces événements, ce sont juste des pistes créatives lancées par les scénaristes par pur esthétisme, sans aucune intention de les justifier ou de les intégrer à un plan globalement cohérent. C'est vrai que cela donne des images impressionnantes et captivantes. Mais si c'est cela qu'on recherche, c'est extrêmement peu ambitieux lorsqu'on a les moyens et le temps de développer des personnages et des intrigues en explorant les tréfonds de l'âme humaine. Cette fascination d'esthète ne sert aucune réflexion ; s'il y a bien un fil directeur, il est purement formel et seulement focalisé sur le suicide, le meurtre, le sexe compulsif, l'autisme, la conflictualité et le pourrissement.


Je n'aurai bien évidemment pas le masochisme de regarder la saison 2. Mon petit doigt me dit que la plupart des interrogations et incohérences que j'ai soulevées ne seront même pas résolues car ce n'est pas l'intention des auteurs. Leur intention est juste de montrer ce qu'il y a de plus laid et de plus toxique possible. C'est une vraie torture. J'ai honte que ce soit comme cela que les étrangers voient la création française.

Muyart
2
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le 10 juil. 2020

Critique lue 148 fois

Muyart

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