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Que s'est-il donc passé en cette fin de décennie 90's pour que la vaste demeure d'une petite banlieue huppée de l'Ohio soit réduite en cendres ? Un pompier dira à Elena Richardson, la mère de famille en état de choc, que le responsable a déclenché volontairement des petits foyers d'incendie à l'intérieur de la maison...


Passé ce flashforward annonciateur du brasier à venir, "Little Fires Everywhere" va évidemment nous ramener quelques temps en arrière pour nous raconter ses prémices et en se fixant sur sa première étincelle : la rencontre entre Elena Richardson (Reese Witherspoon), archétype de l'épouse néo-Bree Van De Kamp résidant depuis des années dans cette banlieue riche, et Mia Warren (Kerry Washington), artiste dans le besoin et mère célibataire qui deviendra la locataire de la première.
Recueillir Mia et sa fille sous son (deuxième) toit à moindre frais est de prime abord un beau geste de la part d'Elena mais, à bien écouter quelques-unes des réflexions de cette dernière, il se dessine petit à petit quelque chose de plus nauséabond chez le portrait de cette journaliste à la carrière contrariée. Elena Richardson est en réalité une femme remplie de préjugés rances sur tout ce qui ne relève pas de sa caste sociale ou n'a pas sa couleur de peau (blanche), le pire étant qu'elle n'en a même plus du tout conscience, se gargarisant sans cesse de ses exploits pour aider les plus démunis ou les avancées progressistes devant les premiers concernés comme une espèce de catharsis particulièrement tordue et vectrice d'un malaise toujours plus diffus.
Pendant qu'Elena va aller jusqu'à proposer un rôle de bonne à Mia dans sa demeure, la fille de cette dernière, Pearl, va être complètement fascinée par le train de vie des Richardson en étant de plus en plus proche de leurs quatre enfants...


Durant les premiers épisodes, "Little Fire Everywhere" pose les jalons de l'étrange relation entre Elena et Mia qui va gouverner la série. Pendant que la première introduit Mia dans sa vie (non sans maladresse) et s'accapare sa fille de façon grandissante, la deuxième reste sur la réserve, pas dupe des intentions de sa "bienfaitrice" en lui montrant les dents (littéralement, Kerry Washington paraît vouloir mordre ses interlocuteurs par moment).
Grâce à la force de présence immédiate de leurs actrices, le rapport de force en construction entre ces deux femmes issues de milieux différents vampirise assez nettement le premier pan de cette histoire. On a beau se douter que quelque chose de grande ampleur va précipiter les flammes entre elles à un moment ou à un autre, la série préfère s'attarder sur l'ambiguïté de leur lien et va même jusqu'à déboucher sur quelque chose de très juste lorsqu'elle laisse entrevoir la possibilité d'un rapprochement (une superbe discussion sur la maternité).
Et il y a également tous les autres "Little Fires" à allumer, notamment du côté des problèmes de leurs adolescents, ceux-ci seront bien plus attendus au fil des événements mais ne donneront jamais le sentiment d'être traités à la légère en s'inscrivant dans un ensemble plus grand ou en étant porté avec conviction par un très bon casting (mention spéciale évidente à la jeune Megan Stott dans le rôle d'Izzy Richardson).


Sort ensuite d'un peu nulle part le fait majeur qui va pousser à son paroxysme la thématique sociétale de toute cette histoire : le cas d'une serveuse amie de Mia.
Si ses débuts le laissaient déjà entendre, "Little Fires Everywhere" ne s'en cache désormais plus grâce à cette nouvelle péripétie : elle constitue une attaque en règle contre le modèle de cette classe aisée blanche US qui engloutit tout ce qu'elle juge contraire à ses normes sous couvert de plus ou moins bonnes intentions. Entre Pearl qui se laisse volontairement aveuglée par le luxe de cette vie de banlieue, Elena qui cherche à perpétuer ce système en modelant sa progéniture selon sa volonté ou un enfant assimilé dans ce milieu auquel il n'appartient pas, la série nous expose le fonctionnement d'un microcosme qui n'a de cesse d'assurer la pérennité de son mode de vie vicié par tous les moyens.


En guise de résistance au phénomène, les foyers allumés précédemment vont évidemment prendre de l'ampleur, la touchante relation entre Mia et Izzy en sera par exemple un des plus beaux porte-flambeaux en miroir à celle entre Elena et Pearl (la première est une amitié basée sur des conditions d'égale à égale tandis que la deuxième est fondée sur les faux-semblants). Les intrigues plus adolescentes, sentimentales ou surgies d'un passé pas si lointain vont ainsi toutes chercher à souligner la propagation de ces différents brasiers.
Avec ses ressorts de pur drama (procès, épisode en flashbacks, fins d'épisode synonymes du combo "visages en larmes & musique triste" à l'écran, etc), "Little Fires Everywhere" ne fera parfois pas dans la dentelle dans l'attente des diverses révélations qu'elle a à fournir mais elle prouvera sur la durée que certains de ses choix jugés hâtivement comme des erreurs de parcours trouvent souvent une raison d'être une fois expliqués. Le personnage de Mia illustrera parfaitement ce phénomène : on aura d'abord un mal fou à comprendre pour quelles raisons elle s'investit autant pour son amie serveuse grâce à certains moyens alors qu'elle ne l'a pas fait vis-à-vis de sa fille, cela aura pour conséquence de nous la rendre un peu trop longtemps antipathique -voire irrationnelle- avant que l'on apporte bien plus tard des justifications pertinentes pour expliquer son comportement.


Enfin, même si elle fera un peu trop monter la sauce autour de l'incendie de son introduction (on lui pardonnera aisément), "Little Fires Everywhere" ne loupera pas sa conclusion à la fois sur ce qu'elle mettra en lumière comme possible solution à l'effondrement de ce "modèle" doré pris au piège de ses fêlures internes et sur le sort bien pensé de la plupart de ses personnages.
En termes d'adaptation, on ne saura pas trop dire si le résultat est fidèle au roman de Constance Ng faute de l'avoir lu, on se doute que le contexte 90's provient de la jeunesse de l'écrivain (il n'apporte pas grand chose à des problèmes hélas toujours très actuels), mais, sous ses airs de drama un peu trop classique, la série mise en scène en partie par la récemment défunte Lynn Shelton s'avère être une proposition solide en la matière en osant notamment aller jusqu'au bout de son discours très critique sur certains travers pas très reluisants de la société américaine.

RedArrow
7
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le 31 mai 2020

Critique lue 1.7K fois

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RedArrow

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