Ainsi commence et finit la vie des hommes, dans un nuage diffus d’incertitudes toussoteuses. A mi-chemin d’un océan nuageux formé par des siècles de cigarettes embrasées dans les tourments de notre civilisation, les hommes prennent finalement place dans le trône qui leur échoit, petit seigneur de grands egos, dans de vastes bureaux pleins des liqueurs de feu hérité d’un âge ancien, guerrier qui vouait un culte aux esprits lovés dans les replis de l’âme.
Tristes pantins en slow motion, ils ont gardés les yeux candides et brillants des enfants, ils souhaitent accomplir de grandes choses dans un si court laps de temps, ne se doutant pas que leur vie s’éteint déjà.
Au cours de cette période où la consommation était érigé en mode de vie, nos héros retardent le délabrement, le temps d’un verre consumant les doutes et les démons ataviques qui se tiendront debout bien après leur mort, le temps d’une cigarette pour enfin fermer les yeux sur l’inéluctable inanité de leur existence, le temps d’un orgasme pour se liquéfier dans l'hébétude d’un amour éphémère.
Enfilant costume au cordeau, chaussures cirées et masque de circonstance, les hommes à mi-chemin du ciel, demi-dieu de ce monde déliquescent, donnent au hommes rampant sur le bitume humide et froid les moyens de leur existence. Ils abreuvent le monde, versant à grand sceau par les meurtrières de leur forteresse anguleuse : désir, sens et jouissance aux hommes-enfants d’en bas. Ceux-ci, dans leur recherche du père, dans une époque désacralisant et malmenant la figure divine, cherchent une direction, une approbation. Sont-ils sur le bon chemin, qui pourra guider leur âme hagarde dans les méandres de cette société sans valeurs qui semble n’aller que vers l’anéantissement.
Démiurge-enfant, homme à mi-chemin du ciel, ne sont qu’hommes malgré tout. Ils projettent leurs propres démons sur les hommes rampant qui ne voit dans les reflets éblouissants des grandes glaces de ces forteresses modernes qu’eux-même dans un délire fugace ; qui ne voient qu’un signe, un soupçon d’acquiescement, la certitude qu’ils mènent leur vie comme il faut, qu’ils ne perdent pas de temps sur des chemins tortueux et stériles.
Les yeux rouges, ivres et tourmentés, trop haut dans le ciel pour pouvoir espérer un quelconque salut, les hommes de feu tournoient autour d’un soleil moribond, se dispersant dans la brume et le silence après une vie d’éclat et de tumulte, crépitant d’une vie creuse qu’ils ont su sublimer dans un écrin fait d’art, se posant toujours les bonnes questions les plus futiles, trouvant trop souvent refuge dans l’art, supplice de Tantale, qui ne pourra jamais leur offrir la rédemption que leurs âmes dures ont la pudeur de ne plus demander.