Mad Men
7.7
Mad Men

Série AMC (2007)

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Il y a quelques années, cousin Hubert nous disait que l'important, c'est pas la chute, c'est l'atterrissage. Pourtant, Mad Men ne s'occupe pas de l'atterrissage, ni même des causes du plongeon, mais sur la dégringolade elle même.

Et pour nous raconter cela, la série prendre son temps. Elle sait distiller le poison à doses mesurées pour ne pas être létales, mais pour laisser pourrir le corps qui l'abrite. Il y a sur ce point une forme de brio présent dès les premiers instants. Cela tient sans doute dans l'opposition entre le générique très graphique, contemporain et plutôt réussi, et la trame générale de l'histoire, inscrite dans le concret et qui se dévoile très lentement. On comprends ainsi dès le début que l'apparente impression de réussite qui se dégage des protagonistes, de leur situation familiale et professionnelle ne sera qu'une façade empêchant de voir l'évolution globale de la société.

Si on décide de ne regarder que la forme, on se trouve clairement face à une série qui se situe dans le haut du panier. Les cadrages sont léchés, la photo correspond en tout point à l'image que l'on s'est construite de l'époque, le casting est impeccable (mention spéciale, dans cette saison, à January Jones, qui gagne en épaisseur d'épisode en épisode), la musique distillée à la perfection.

Cette impression de maîtrise des moindres détails a quelque chose d'inquiétant, comme si rien dans Mad Men n'était laissé au hasard. C'est ce qui fait sa grande force, son pouvoir d'attraction principal, mais également ce qui m'aura dérangé à chaque épisode. Un mélange de fascination et de rejet vraiment difficile à cerner qui fait qu'il m'était difficile de ne pas enchaîner les épisodes, alors que je ne pouvait m'empêcher d'émettre des critiques.

J'ai finalement réussi à comprendre ce qui me dérangeait : la prégnance de la narration sur le reste, une sorte de grand dessein qui transpire de tout ce qui nous est donné à voir et de la manière dont on nous le montre.

Je m'explique.
Chaque élément distillé semble tellement pesé, mesuré, qu'au final ce qui m'aura marqué, c'est justement ce travail narratif.

Il y a par exemple des éléments qui me paraissent directement issus des télénovelas ou des feuilletons du style Amour Gloire et Beauté. Prenons les environnements : la manière de filmer majoritairement en studio, dans des environnements parfaitement maîtrisables est compréhensible et en même temps qu'elle est le gage d'une meilleure reconstitution de l'époque, d'un sentiment de huis-clos très intéressant, elle est également ce qui montre les limites de l'exercice, en transformant à mes yeux les protagonistes en rats de laboratoire dont on va étudier le comportement. Il y a pourtant des choses à voir en dehors du bureau et de la maison. Les épisodes qui sortent de cette routine sont d'ailleurs souvent porteurs de révélations, d'ouverture sur le reste de la société et sont pour moi bien plus riches.
Bon, d'accord, sur ce point, le rapprochement avec les telenovelas était peut-être un peu exagéré. Par contre, sur l'aspect du découpage narratif, je pense que le rapprochement est plus intéressant. Il y a pas mal de temps que je me suis fait la remarque que bien souvent, dans les Santa Barbara et compagnie, il y a plein de petites histoires au sein de la grande. Et au lieu de traiter ces péripéties de manière continue, elles nous sont servies sous forme de brochette : une rondelle d'oignon, une pièce de viande, un morceau de poivron, puis à nouveau l'oignon, ... De cette manière, si quelqu'un n'accroche pas à une des situations, à un des personnages, à une des ramifications de l'histoire, il doit quand même se tenir en alerte, car sa partie favorite est susceptible d'être abordée à tout moment. Une façon de garantir le suivi de la série par plus de personnes, de manière plus constante. La preuve de ce fonctionnement commun est visible bien souvent dans la façon qu'ont les personnages de se servir un verre, le regard dans le vide. La caméra s'attarde quelques secondes, puis passe à une autre facette du récit. Et ça, c'est dans les cas les plus réussis. Dans d'autres, on se dit parfois que la scène a été taillée à la serpe, comme pour faire rentrer un chapitre au chausse pied dans le format de 40 minutes.

Après tout, pourquoi pas. N'oublions pas que nous nous trouvons face à une série, qui doit faire face à des impératifs de rythme au niveau de l'histoire, et d'audimat au niveau économique. Je pense simplement qu'une narration plus posée, moins découpée (comme a su le faire Tarentino dans Jackie Brown, par exemple), aurait été selon moi plus juste et plus en accord avec la longue chute qu'on nous promet depuis le début. Et on aurait sans doute moins senti le poids des impératifs d'une série.

Ce qui est plus grave, en revanche, ce sont les rapports à l'histoire. Chaque saison se déroule normalement, en quasi huis clos pendant une dizaine d'épisodes, avant subitement de faire intervenir un fait historique fort qui leur permet de faire monter la pression avant la fin de saison. Ce moyen grossier d'instaurer une tension de l'extérieur là où rien ne transpire pendant le reste de la saison aura sans doute été pour moi la première grosse ficelle des scénaristes. Celle, en tout cas, qui m'aura plus donné envie d'analyser leur travail que de suivre l'histoire qu'ils racontent.

Et tout d'un coup, cette série s'est révélée sous un nouveau jour pour moi : j'ai commencé à y voir une gigantesque promotion des Etats Unis. Alors, certes, de premier abord on a surtout l'impression que ce qui est montré à travers Mad Men, c'est justement l'envers du décors de rêve, le ver qui est déjà dans le fruit. Mais si on regarde de plus près, qu'est-ce qu'on nous montre ? Une époque ou tout le monde fume tout le temps, ou tout le monde boit tout le temps (sous entendu : maintenant on est clean, on fait tout pour ne plus s'autodétruire), une époque raciste, homophobe, pleine de préjugés (sous entendu : maintenant, toutes les diversités sont reconnues), une époque où la place des femmes est soit secrétaire, soit au foyer et si quelqu'un réussi, tout le monde pense que c'est parce qu'elle couche avec le boss (sous entendu : les femmes sont désormais traitées à l'égal des hommes)... Je crois que je pourrais continuer longtemps comme ça, tant les exemples ne manquent pas (tiens, un qui me revient : le coup du pique-nique où on laisse tout en plan une fois le repas terminé, comme si on cherchait à dire que maintenant on fait attention à la nature et aux déchêts ; d'autant que, dans mes souvenirs, cette scène n'apporte strictement rien de neuf à l'histoire).

J'exagère sans doute, mais je n'ai pas pu m'empêcher de voir cette sensation grandir au fil des épisodes, en découvrant que la relation interraciale ne servait finalement en rien l'histoire, que les pulsions homosexuelles n'aboutissaient à rien d'autre que de montrer que ça existait à l'époque, mais que ce n'était pas accepté, là où, maintenant, la société dans son ensemble n'est plus aussi catégorique.

Pour parler plus clairement, c'est comme si les scénaristes avaient décidé de nous faire visiter la société américaine des années 60, qu'ils avaient ouvert un nombre incroyable de portes (ici le racisme, là la mysogynie, plus loin le rapport de domination au sein du couple, la globalisation de l'économie, le lobbying, et j'en passe) pour au final ne nous faire passer que par un seul chemin pré-établi.

Car c'est ça, finalement, qui m'aura le plus déçu. Je croyais au début que la chute présente dans le générique était une métaphore du déclin de la société américaine, basée sur la surconsommation, la construction d'une illusion par les publicitaires, le détournement des idéaux inhérents au rêve américain pour imposer un système économique, un mode de pensée finalement aussi dogmatique et unilatéral que celui auquel il s'opposait. Ainsi, j'attendais à chaque épisode la résolution des dossiers sur lesquels les personnages travaillent, pour avoir des éléments de compréhension du fonctionnement de la société américaine, et par extension/comparaison, de la notre. Mais plus les épisodes passaient plus je me rendais compte que cette silhouette était plus proche de représenter le cas particulier, certes passionant, de Don Draper, que celui de l'american way of life, plus je comprenais, aussi, que cette chute n'était finalement rien d'autre que celle d'un individu et de son propre code moral, et non d'une société qui depuis sa naissance, a su fasciner le monde entier.

Alors voilà. Avec toutes ses qualités et tous ses défauts, cette série à su me tenir en haleine jusqu'à sa quatrième saison, sans le moindre soucis. Pourtant, il m'est difficile de la noter, de m'en faire un avis définitif, tant elle possède de facettes qui parfois se complètent et parfois s'opposent. Une chose est sûre, cependant, c'est que je la conseillerais à tout amateur de série, car il me semble que plus qu'aucune autre, elle mérite que chacun se fasse son avis.
G_Savoureux
7
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le 30 déc. 2011

Critique lue 439 fois

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G_Savoureux

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