Marianne
5.9
Marianne

Série Netflix (2019)

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Une audace salutaire malgré ses imperfections

Se lancer dans une œuvre française de ce type est toujours le sujet de vives appréhensions. Non pas qu'il n'y ait pas de belles réussites ou des talents en la matière issues de nos contrées mais force est de constater que la déception l'a un peu trop souvent emporté pour qu'un nouveau projet puisse déclencher un enthousiasme absolu. Ainsi, quand, pour la première fois, une série française du genre pointe le bout de son nez de nulle part sur Netflix avec une promotion se résumant seulement à une bande-annonce quinze jours avant sa sortie opportune un vendredi 13, inutile de dire que l'on ne donne pas cher de sa peau. En plus, sur le papier, cette création de Samuel Bodin ("Tank" et "Lazy Company" dont il a ramené son pote Alban Lenoir) n'a pas de quoi forcément séduire par l'originalité de son pitch : une écrivaine contrainte de revenir sur lieux de sa jeunesse pour y affronter une sorcière au cœur de ses cauchemars et écrits. Bref, se lancer dans "Marianne" amène à avoir le poil hérissé mais clairement pas pour les bonnes raisons...


Et on peut dire que la série va sacrément s'amuser à tenter de contrebalancer nos a priori défaitistes ! Alors, évacuons cela de suite avant d'y revenir, non, "Marianne" n'est pas une réussite totale qui va marquer d'une pierre blanche l'histoire du genre mais c'est une proposition qui va complètement détonner par son audace dans notre paysage audiovisuel souvent bien terne. On assiste tout simplement à une série d'épouvante française qui ose s'aventurer dans des terrains trop souvent laissés à des productions étrangères et qui va tenter sans arrêt de bousculer les choses, parfois avec plus ou moins de réussite mais toujours dans le souci de mieux dynamiter son récit pour offrir un résultat sortant des sentiers battus ! Dès le premier épisode (qui en fera certes un peu trop comme tout pilote), on reste sidéré par ce curieux mélange de tons auquel "Marianne" se livre : les séquences frissonnantes sont naturellement là, le drame s'invite en arrière-plan avec le retour de flammes d'un passé trop longtemps enfoui mais, ce qui étonne le plus, c'est ce côté décalé qui n'hésite à faire surface pour chercher à provoquer le rire là où on ne l'y attend pas. Bien entendu, le pari est risqué et a parfois des chances dans ses prémices de laisser une partie du public sur le carreau par la maladresse des excès empruntés aux extrémités des registres utilisés mais lorsque "Marianne" parvient à trouver un réel équilibre entre tout ça par la suite, force est de constater qu'elle fonctionne diablement bien ! Avec son héroïne à la personnalité parfaitement en adéquation avec cette approche atypique (son interprète, Victoire Du Bois, est une géniale révélation de bout en bout mais qui va forcément cliver par son jeu vu qu'il s'inscrit dans la continuité du ton de l'ensemble), la série va même formellement marquer sa différence en tirant judicieusement parti des poncifs de son postulat afin de construire un cadre à l'esthétique séduisante de petit village breton isolé évoquant tout autant les décors d'un roman policier aux pages jaunies par le temps que celle d'une BD rétro par les archétypes y résidant (le policier solitaire impliqué, le curé autoritaire, la vieille folle possédée, une bande de potes d'enfance lumineuse amenée à se reconstruire, etc). Et, au sein de celui-ci, "Marianne" y amène une variété d'effets horrifiques allant des apparitions surnaturelles les plus incontournables (mais toujours très bien mises en scènes) à des séquences bien plus malsaines où le comportement troublant de personnages âgés suffit à faire souffler un vent de folie que l'on n'a pas l'habitude de voir sur nos écrans français. Sur ce dernier point, la prestation de Mireille Herbstmeyer dans la première moitié de la série est évidemment à souligner même si son omniprésence participe aussi aux outrances dont se fait coutumière la série.
Bien que la maîtrise d'une telle richesse de traitement paraisse quelques fois aléatoire, "Marianne" arrive à installer une ambiance différente (et même une tension palpable lors de ses meilleures moments) d'à peu près tout ce que nous a offert le genre français jusque-là et, rien que pour ça, elle mérite d'être saluée.


Là où, par contre, "Marianne" se révèle beaucoup plus faiblarde, c'est au niveau de son intrigue principale se résumant à une histoire de "chantage paranormal" dont la plupart des rebondissements majeurs et la finalité ne créeront jamais une très grande surprise. La série se retrouvera même parfois prisonnière de la simplicité de ses tenants et aboutissants au cours de certains de ses arcs : la première partie autour de Madame Daugeron s'étendra beaucoup plus que de raison avant d'enfin rebondir à la fin du troisième épisode tout comme les événements amenant au final dans l'avant-dernier donneront la dangereuse impression de tourner en rond autour d'inévitables vérités issues du passé. Mais, encore une fois, "Marianne" tentera de pallier ses passages à vide les plus flagrants par son audace rafraîchissante ! Après un quatrième épisode relançant la machine, le cinquième apportera un relief insoupçonné à toute cette histoire avec un procédé certes bien connu des amateurs de séries (surtout de Netflix d'ailleurs) mais qui, ici, trouvera parfaitement sa place jusqu'à peut-être même en faire le meilleur épisode de la saison. De même, lorsque l'avant-dernier piétinera pour retarder la conclusion, les auteurs tenteront d'y apporter un coup de fouet en utilisant la multiplicité des points de vue des personnages dans le but de toujours maintenir notre attention. On ne sera bien sûr pas dupe de ces différentes manoeuvres pour détourner l'attention de ses problèmes mais impossible de ne pas y voir là une volonté généreuse de constamment proposer de nouvelles dynamiques au récit !
On pourrait reprocher encore à la série de nombreux défauts (pourquoi laisser si longtemps de côté un certain duo des débuts alors qu'il marchait terriblement bien par sa complémentarité notamment ?) mais quand le temps de sa conclusion, quintessence de son hybridité ambitieuse à tous les niveaux, arrive, on ne pourra désormais plus le nier, "Marianne" nous aura bien diverti tout au long de sa durée par le caractère somme toute assez unique de sa proposition.

RedArrow
7
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le 17 sept. 2019

Critique lue 2.3K fois

21 j'aime

RedArrow

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