Mindhunter
7.8
Mindhunter

Série Netflix (2017)

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Je crois que nous avons affaire à un serial killer

Fin des années 1970, la Crise du pétrole effleure à peine le monde, mais déjà est-il déjà imprégné de la violence qui l'accompagne. Et qui dit nouvelle façon de l'exprimer dit aussi nouvelle façon de la combattre. C'est à cela que veut s'atteler Holden Ford (Jonathan Groff), jeune agent spécial du FBI, idéaliste mais aussi prêt à casser les codes. A l'idée reçue encore bien ancrée à l'époque qui prétend qu'un criminel naît ainsi, il oppose celle que c'est son cheminement personnel et son parcours psychologique qui l'ont conduit à agir ainsi. Son projet ? Rencontrer les criminels les plus dangereux des USA et leur faire raconter leur passé et leurs motivations afin de répertorier les catégories de criminels et dresser un profil pour pouvoir arrêter les gens avant que leur crime soit commis. Accompagné de l'agent Spécial Bill Tench (Holt McCallany), un vieux routard des sciences comportementales qui lui apportera son expertise (mais aussi sera sa caution morale) et du Dr Wendy Carr (Anna Torv), une psychologue universitaire obstinée et ambitieuse qui lui apprendra (ou du moins essayera de lui apprendre) méthodologie et rigueur, il va tenter de révolutionner l'approche de la police dans la lutte contre les crimes violents, malgré tous les bâtons qu'on essaiera de lui mettre dans les roues (conservatisme du FBI et de la police, bureaucratie souple comme une barre de titane,...).


Après avoir réalisé des films comme Seven ou Zodiac (et pressenti à un moment pour réaliser l'adaptation du Black Dahlia de James Ellroy), il était presque évident que la fascination de Fincher pour les criminels les plus violents le conduirait à s'intéresser à ceux qui les ont étudiés et analysés. Et pour ce faire, il s'est associé à l'actrice Charlize Theron pour proposer à Netflix cette nouvelle série, très librement inspirée de la vie et de l'oeuvre de John E. Douglas, ancien agent du FBI qui fut un des pionniers du profilage au sein de l'agence fédérale (et qui a déjà inspiré d'autres oeuvres de fiction, comme le personnage de Jack Crawford dans le Silence des Agneaux).


En créant le personnage de Ford pour représenter Douglas, les deux producteurs ne s'encombrent pas des faits entourant les protagonistes et peuvent ainsi se consacrer pleinement au véritable intérêt de Mindhunter : la confrontation avec les pires criminels de l'histoire des Etats-Unis (et qui vont être définis, suite à cette étude, comme des "serial killers"). Car si les personnages associés à la "justice" sont fortement romancés, les tueurs en série qu'ils rencontrent au fur et à mesure des épisodes ont réellement existé et les dialogues qu'ils tiennent sont pour partie tirés des retranscriptions faites par Douglas et son coéquipier. Nous découvrons ainsi la raison de notre fascination depuis un demi-siècle pour ces tueurs de sang-froid et implacables : leur terrifiante humanité. Ces personnes que d'aucuns décriraient comme des "monstres" (à juste titre) ont tous la particularité d'être particulièrement "normaux", voire affables et sociables. Comment deviner que derrière la bonhomie d'un Ed Kemper,qui buvait régulièrement des bières avec les policiers du coin, se cachait en réalité un des tueurs et violeurs de femmes les plus violents de Californie et même des USA ?


La puissance de Mindhunter est de ne jamais nous mettre en juge ou en moralisateur face à ces criminels et de nous entraîner sur les pentes glissantes de ce que l'être humain a de plus sombre en lui sans que l'on chute définitivement. Elle nous place dans l’œil de ces agents du FBI qui se positionnent en tant que scientifiques et doivent donc mettre de côté la morale le temps des entretiens, quitte à, parfois, créer des liens avec ces détenus afin d'arriver à obtenir leur confiance, les faire parler et mieux appréhender leur parcours. Cette empathie ambivalente envahit en même temps le spectateur, partagé à la fois entre le dégoût des descriptions froides et méticuleuses de crimes parmi les plus odieux et les plus réprouvés par l'humanité et la pitié lorsqu'ils évoquent leur passé trouble avec leurs parents, souvent la cause principale de leurs souffrances psychologiques.


Pour contre-balancer avec la froideur de ces entretiens et apporter un autre rythme à la série, les auteurs ont varié les relations entre les différents personnages. Là encore, les héros romancés leur a permis de proposer les règles d'une vraie série et non pas un documentaire. Ainsi le cœur de la narration de Mindhunter est basé sur la dualité, Ford entretient donc des relations compliquées avec les autres protagonistes, que ce soit lors des entretiens avec les tueurs en série, mais aussi dans son quotidien sentimental et professionnel. Par exemple, le duo qu'il forme avec Tench, dont l'apparente opposition de style (l'un est le jeune idéaliste, propre sur lui et bien sous tout rapport, l'autre le vieux bourru expérimenté qui s'enterre dans la routine des formations auprès des polices locales), duo de flics comme on en voit dans tant de séries US, se révèle finalement beaucoup plus subtile que ne le laissent présager les premiers épisodes. Ainsi, au fur et à mesure de la série, on découvre un Ford beaucoup plus cynique, sournois et prêt à tout pour arriver à ses fins, en flirtant parfois avec des situations que Tench désapprouve totalement, tandis que si ce dernier est parfois désabusé comme tout bon vieux flic de fiction qui se respecte, il est aussi la voix paternelle de son coéquipier qui n'en fait souvent qu'à sa tête.
On peut aussi évoquer la relation qu'il forme avec Carr, là encore ambiguë. Si les objectifs avoués par les deux sont les mêmes, leurs buts cachés et surtout les méthodes pour arriver à leurs fins divergent, servis par des intérêts personnels. Carr souhaite faire de cette recherche l'aboutissement de sa carrière pour avoir enfin la reconnaissance de ses pairs, en restant sur la ligne conductrice d'une étude scientifique, tandis que Ford n'a pour objectif que de prévenir le crime, quitte à s'asseoir sur la méthodologie scientifique lorsqu'il doit enquêter avec les policiers locaux et qu'il utilise ses nouvelles connaissances pour arrêter des criminels.


Enfin, il est nécessaire d'évoquer sa relation avec Debbie (Hannah Gross). Cette étudiante en sociologie, féministe et au caractère bien trempé en apparence mais envahie de doutes à tous les niveaux, révèle à la fois les bons mais aussi les mauvais côtés de Ford, qui fait face à tous les paradoxes de sa personnalité au fur et à mesure que la relation avec sa petite amie s'affirme.


Bien entendu, pour que tout cela fonctionne, il faut des actrices et acteurs au sommet de leur art. Et pour le coup, difficile de reprocher quoi que ce soit à l'ensemble du casting, tant tout le monde est au diapason. Mention spéciale à Cameron Britton, qui campe un Ed Kemper absolument démentiel, tant dans la ressemblance physique (j'invite les gens à aller voir les photos du vrai Kemper sur Google) que dans la finesse du personnage. Tout l'équilibre de la série repose sur l’ambiguïté entre la sympathie affichée par Kemper et l'horreur des choses qu'il décrit, faisant de lui un personnage diablement plus terrifiant que tous les Freddy et Jason Vorhees réunis. On peut néanmoins regretter que certains arcs narratifs soient au mieux survolés (l'histoire familiale de Tench et de son fils adoptif qui souffre probablement de troubles psychologiques), au pire dénigrés (le rôle de Shepard, le chef de l'unité du FBI qui chapote la fine équipe, est limité à la portion congrue du chef d'équipe policière de n'importe quelle série policière). Cela dit, vu la façon dont la série se termine, il est évident qu'une saison 2 est déjà prévue et l'on peut espérer que ces personnages seront étoffés par la suite.


D'un point de vue formel, il est intéressant de noter à quel point cette série est classieuse. S'il n'a réalisé que 4 épisodes sur les 10 que compte cette saison, David Fincher a su imposer sa patte sur l'ensemble du show, notamment au niveau de la photographie, souvent somptueuse. La bande originale est là aussi formidable, proposant des titres des années 70 pour accompagner les personnages dans leur voyage dans les coins les plus sombres de l'esprit humain. Tout concorde à faire de Mindhunter une série haut de gamme. Attention cependant, au niveau de l'ambiance, il faut plus s'attendre à du Zodiac qu'à du Seven, le côté spectaculaire et grandiloquent du second ayant été mis de côté au profit d'une enquête plus intériorisée comme le premier.


Bref, si vous aimez les séries qui se préoccupent autant de leurs personnages que de leur sujet, si vous êtes fasciné.e.s par les tueurs en série et que vous n'êtes pas trop désabusé.e.s par la nature humaine, cette série est faite pour vous. Par contre, si vous aimez les séries policières à grand spectacle et que pour vous les profilers du FBI, c'est d'abord ceux de Criminal Minds, il y a un risque d'être déçu.e...

Benoit_Mercier
8
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Créée

le 29 oct. 2017

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Benoit Mercier

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