L'existence de pinochetistes est déjà un mystère bien épais pour moi, alors inutile de dire que cette série me plonge dans des affres de perplexité, et c'est une réussite appréciable que de provoquer tant de sidération quand on est un petit objet télévisuel soigné. Pour en revenir aux partisans du dictateur chilien, au moins, on peut expliquer leur sadisme par un total manque d'empathie envers ceux qui ne leur ressemblent pas assez pour que ça mérite considération. Leur aveuglement les mène à se désintéresser du sort de ceux sur lesquels ils peuvent joyeusement coller l'étiquette "ennemi", c'est très, très bête, mais au moins ça répond à une logique. Pourquoi des femmes se lèveraient-elles massivement pour lutter contre un texte qui s'appelle l'Equal Rights Amendment, ça, ça défie l'entendement. En d'autres termes, elles ont manifesté non pas, comme nos brillants spécimens français opposés au mariage pour tous, contre le fait que d'autres qu'elles obtiennent la reconnaissance de leurs droits par les instances de leur pays, mais contre la reconnaissance de leurs propres droits, parce qu'elles considéraient qu'elles n'en avaient pas besoin et que ça fragiliserait leur condition de femmes dans un pays machiste... ça méritait bien 9 épisodes pour tenter de démêler l'écheveau inextricable de ces cerveaux bancals. Et quelle bonne idée de confier à Cate Blanchett le rôle de la charismatique meneuse de cette croisade sexiste (à l'origine de l'oxymore "révolution conservatrice", j'en ris encore...), mère de famille aux dents longues et intellectuelle frustrée, si brillante (et malhonnête) qu'elle va emmener dans son sillage tout un conglomérat de femmes allant de la neuneue bourrée de préjugés religieux antédiluviens à la jeune ménagère un peu paumée qui croit qu'elle va donner là du sens à sa vie sociale presque inexistante. Cette galaxie de conservatrices méritait les portraits détaillés que la série prend le temps de dresser d'elles. Face à elles, en parfaite symétrie et à l'opposé de leur vacuité doctrinale, les mouvements féministes tentaient de se fédérer aussi, cette fois sans la bienveillance du monde politique américain, exclusivement masculin, des années 70 qui sentait bien que pouvait émerger là une concurrence assez malvenue à ses yeux. Là encore, la galerie de portraits est réussie et attachante. Le combat acharné a duré des décennies et l'élection d'un certain président aux formules machistes fleuries vient couronner l'arche dramatique de ce combat titanesque, comme un dernier pied de nez à l'égalité hommes/femmes, qui est loin d'être établie dans ce monde que je rechigne sincèrement à appeler moderne. Au moins, les enjeux sont clairement posés : beaucoup a été fait, dans un pugilat cruel tournant presque toujours en défaveur des femmes, et énormément reste à faire pour ne pas perdre ces 50 années d'acquis fragiles. Un demi-siècle. Le temps qu'il aura fallu aux Occidentaux pour déterminer que les Indiens d'Amériques n'étaient pas des animaux. Combien de temps encore avant de décider que les femmes méritent elles aussi pleinement leur statut d'êtres humains ? Eh bien, un peu de révisions historiques ne peuvent pas faire de mal pour repartir de plus belle au combat et Mrs. America, avec ses actrices formidables, me semble tout indiqué pour revoir nos bases...