Oz
8.4
Oz

Série HBO (1997)

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« Oz. The name on the street for the Oswald Maximum Security Penitentiary»

Au bout des six saisons de la série, on connait la ritournelle d’Augustus Hill, le narrateur emblématique de la création de Tom Fontana : elle ouvre chaque saison et annonce l’horreur à venir. Le générique hypnotisant annonce la couleur : Oz va rester dans la peau, gravé au plus profond de l’inconscient du téléspectateur. En clair, on va déguster, presque autant que les personnages.
Si on devait choisir un héros dans la colonie de délinquants ultra-violents du pénitencier, ça serait Tobias Beecher. Avocat performant, il se retrouve condamné pour avoir renversé une petite fille alors qu’il avait un peu forcé sur la bibine. Dommage pour lui, il va vivre l’enfer. Si on peut s’apparenter à Beecher, c’est parce qu’il apparaît comme la Alice d’Oz, tombée au fin fond du trou du lapin blanc. Sauf que ce n’est pas le pays des merveilles qui l’attend, mais l’horreur absolue. Nazis, violeurs, tueurs, gangsters, cannibales, extrémistes, désaxés mentaux ultra-violents… Tel sera son quotidien, que l’on va suivre, tout du moins en partie, puisque les scénaristes ont eu la bonne idée de brouiller les pistes quant à qui est un « héros » ou non. En clair, on s’intéressera aussi aux autres truands en délaissant parfois le cher Tobias, pour souvent revenir à lui et ses problèmes (car il en a beaucoup) de temps en temps.
Mais ne vous y trompez pas : Oz n’est pas l’histoire d’une quelconque rédemption idéale où Tobias apprendrait de ses erreurs, aiderait les autres prisonniers à s’en sortir parce qu’être gentil, c’est quand même mieux qu’être méchant. Non, loin de là. Oz, la prison, est sans cesse décrite comme une sorte de purgatoire humain où les passions se déchaînent sans cesse et contaminent même les esprits les plus purs, et de façon horrible qui plus est, mais j’y reviendrai.

« So ? What’s the lesson for today ? »

Ce qui frappe d’amblée dans Oz, c’est l’aspect théâtral général de la série. Il y a un narrateur omniscient, Hill, cloué en fauteuil roulant, qui déblatère des pensées philosophiques sur tout et n’importe quoi (la routine, l’addiction, le sexe, la vieillesse, le sport, etc.), et qui ont bien souvent un rapport avec les thèmes abordés au cours de l’épisode. Même si les raisonnements énoncés par Hill ne vont pas chercher bien loin niveau réflexion, on se prend au jeu de cette dénonciation constante de l’injustice dont sont victimes ces criminels. Hill tourne dans sa cage de verre, éternellement enfermé par les conventions qui ont fait que lui et ses semblables se retrouvent en prison, souvent pour des durées interminables.
Aspect théâtral également, car on retrouve les mêmes codes que sur une scène. Les personnages complotent les uns contre les autres, et surtout, il n’est pas rare qu’un événement totalement inattendu chamboule radicalement la situation. N’importe qui, j’insiste sur le « n’importe qui », peut mourir, parfois de manière logique et « explicable », mais souvent, la mort intervient de manière inattendue et foudroyante. A tel point qu’on se demande ce que les scénaristes fument pour concevoir des retournements de situation comme ça… En clair, ces « deus ex machina » sont la marque de fabrique de la série. S’attacher à un personnage, c’est prendre le risque d’être fort déçu quand celui-ci va se faire, au choix, violemment assassiner, violer, mis « au trou » ou simplement disparaître. Car oui, dans Oz, les personnages peuvent disparaître pendant plusieurs minutes, épisodes voire saisons, un peu comme des personnages mineurs de pièces de théâtre qui sont juste là pour faire le nombre. A croire que cette foutue prison est trouée pour que des mecs comme ça se volatilisent comme par enchantement (le meilleur reste quand même le russe ultra flippant qui finit au trou pour… ne plus exister).

« He looks like a fucking bretzel ! »

L’autre aspect caractéristique d’Oz est son ultra-violence, probablement le plus connu quand vous parlez de la série à une personne en ayant seulement entendu parler. Dès le premier épisode, on fait face à un viol, un marquage au fer rouge d’une croix gammée sur un cul, une crémation vivante, entre autres. La série ne se contente pas d’aligner les scènes violentes « physiquement » : elle crée un climat de tension psychologique perpétuelle, qui ne lâche jamais le spectateur. Oz baigne dans une ambiance glauque, parfois à s’en sentir mal, et harcèle constamment l’esprit de celui qui regarde la série. Personnellement, le dernier épisode de la saison 2 m’a détruit : on sentait les scénaristes prêts à tout faire péter pour offrir un season finale épique et mémorable, et en effet, on n’a pas été déçu. Les pires coups bas s’enchainent : les membres volent, les yeux sont crevés, ça hurle comme jamais pendant une heure. Un véritable traumatisme étrangement jouissif compte tenu de ce qu’on voit défiler devant nos yeux horrifiés.

« That’s the best Miss Sally’s episode ever »

A force de parler de l’horreur ambiante qui règne dans ce pénitencier, on en oublierait presque son but principal. Tim McManus, un des responsables de la prison, a crée une unité spéciale, ‘Emerald City’, un lieu où les prisonniers vivent en permanence avec les gardiens. Le but est simple et évident : pousser les détenus à se sociabiliser entre eux, sous l’œil attentif des gardiens, dans le but de préparer leur réinsertion une fois sortis de taule. Inutile de dire que tout se projet tient plus de l’utopie que d’autre chose. McManus y croit dur comme fer, mais tout Emerald City baigne dans la démence la plus totale. Loin de prendre des cours et de passer des diplômes, les prisonniers trafiquent tout et n’importe quoi, du simple deal à la préparation d’un meurtre. Quand les clans se battent pour obtenir le contrôle de la cafétéria, ce n’est pas pour montrer qu’ils deviennent de plus en plus sociables, mais c’est avant tout pour contrôler une plate-forme importante dans les jeux de pouvoir qui régissent la prison : de la cafétéria, on peut tranquillement égorger un type devenu gênant ; on peut mettre du verre pilé dans la nourriture de quelqu’un ; on peut humilier n’importe qui devant tout le monde ; entre autres combines retordes.
Oz est une expérience sociale déroutante car elle associe les pires êtres humains entre eux, qu’ils soient musulmans extrémistes, membres de la Fraternité aryenne ou mafieux ultra-violents. On dénombre une dizaine de clans ; certains ont des points communs, d’autres n’en ont aucun. Pourtant, ils devront s’associer selon les occasions à saisir, ce qui offrira des mélanges hautement improbables fonctionnant là encore grâce à cette théâtralité omniprésente. Au camp des prisonniers, il faut aussi ajouter le personnel de la prison : la sœur, le prêtre, le docteur, le directeur, la bibliothécaire, les gardiens (qui se font plus soudoyer/éborgner/couper les tendons qu’autre chose), etc. On voit où la série veut en venir : même si les prisonniers sont hermétiquement différents entre eux, leur principal ennemi est cette administration, symbolisé par l’ignoble gouverneur Devlin, qui les maltraite, les humilie, les enferme toujours plus. Cette union sacrée prend forme notamment lors de la grande émeute de la prison, occasionnant quelques émotions extraordinaires (tout le monde tape sur les tables, Saïd harangue le peuple, son peuple ; probablement un des plus beaux moments de la série).

« Your ass is mine »

Enfin, car il faut bien en dire un mot, la série ne peut fonctionner sans ses personnages fascinants au charisme de dingue(s). Quasiment tous sans exception apportent leur pierre à l’édifice ozien. Ils sont tous plus détestables les uns que les autres mais on s’attache étonnamment à chacun d’eux.
Beecher est le héros-bizut qu’on aime voir souffrir entre les mains ses tortionnaires. Vernon Schillinger porte la série à lui tout seul, enchainant les coups sous la ceinture, violant et tabassant tout ce qui lui passe sous le nez (J.K. Simmons extraordinaire). Keller est lui aussi une des cautions inébranlables du show : pervers (bi)sexuel, il envoute et séduit pour mieux tuer. Lui et O’Reilly sont les électrons libres du pénitencier, juste bons à s’en tirer coute que coute. Adebisi est le bon gros bourrin à éviter si l’on ne veut pas finir en petits morceaux. Les mafieux italiens (et russes) sont moins impressionnants que les autres mais font rêver quant à leur influence symbolique et parasitante dans les couloirs de la prison. Quelques mecs amusants complètent le tout (Rebadow, Omar…).
Finalement, le personnage qui représente le mieux l’Homme en tant que tel serait Karim Saïd, le leader des musulmans. Loin des habituels poncifs propres aux jihadistes en tout genre, il incarne l’être humain dans toutes ses faiblesses, la plus évidente étant celle de l’orgueil du pouvoir et de l’ivresse dont on souffre quand on l’exerce. Ajoutez lui une mentalité irréprochable et un charisme impressionnant et vous obtenez le personnage le plus attachant de la série.
Finalement, tous ces personnages ne sont agis que par deux choses : les critères raciaux et la religion. Pour le premier, l’expérience Querns de la saison 4 se révèle bien vite assommante, malgré les bonnes idées du début. Mais concrètement, on peut relier la plupart des conflits de la série à du racisme disséminé dans les attitudes de chacun. Les apparitions régulières de personnages extrémistes (Supreme Allah, Adebisi, parfois, les motards, souvent) ébranlent le fragile équilibre maintenu tant bien que mal dans la prison. On voit aussi qu’HBO persistera dans cette thématique, notamment dans The Wire à plus grande échelle.
Sur la religion, on ne passe pas un épisode sans que les convictions de chacun ne soient ébranlées. Peter Marie sur sa chasteté, Makuda lors de l’arrivée d’un évangéliste parmi les prisonniers, Saïd lors des émeutes, Adebisi pendant ses ‘révélations’…. Tout le monde y passe. Les nombreuses tirades du Hill narrateur sur la religion, la croyance, la rédemption, l’enfer… rappellent au spectateur que la série, si elle ne se pose pas comme dénonciatrice du phénomène religieux sous toutes ses formes, assume habilement ses réflexions philosophiques sur le sujet. Quand plusieurs personnes, chacune répartie dans un groupe ethnico-religieux, se retrouvent enfermées pour plusieurs années ensemble, le melting pot côtoie l’explosion culturelle, le plus souvent manifestée par la violence, que l’aspect généralement glauque de la série contribue à sublimer.

« The story is simple : a man lives in prison and dies »

En somme, vous l’aurez compris, Oz est une expérience totale (carcérale, sociale, religieuse…) menée de main de maitre pendant six saisons inoubliables. La seule chose à regretter serait le traitement ignoble réservé au scénario dans la saison 4, la seule ratée (mais ils l’ont bien ratée au moins), aux incohérences et impossibilités scénaristiques choquantes en comparaison au reste de la série. Une grosse tâche sur le dossier parfait de Tom Fontana. Et c’est à ce moment là qu’Augustus Hill se met à déclamer la condamnation et l’éligibilité conditionnelle du prévenu…
Non vraiment, 'there is no place like Oz'...

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le 18 nov. 2013

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Pariston

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