P'tit Quinquin
7.1
P'tit Quinquin

Série Arte (2014)

Comment dire, je suis vraiment bien embêté par Dumont, encore plus que d'habitude. Ce n'est pas tant l’oscillation constante entre tout ce qu'il est possible d'opposer qui me dérange mais l'insistance qui frise parfois la grossièreté vers ce qu'il considère comme la "grâce" de ces "gens-là". La réticence est dans les guillemets, et la raison essentielle en est la fin. Qu'est-ce qui est passé par la tête de Dumont? La musique d'un requiem dans un silence heideggerien, le regard hébété du frère handicapé de Lebleu et du commissaire, un soleil éblouissant qui illumine les belles plaines du boulonnais... Clap de fin! Oui, c'est beau mais c'est beaucoup trop : de pathos, de mysticisme et presque de bons sentiments entre gens éclairés. La lumière oui, elle entoure ces personnes-personnages que Dumont a engagés sur le tas. Mais le "ces gens-là" pose problème, que Dumont le veuille ou non, il nous dit "regardez ces gens-là, ils sont bourrés de grâce, je vous jure", ce à quoi il faudrait ajouter "mais je n'en suis pas". On frôle en permanence la nostalgie rousseauiste du monde pré-réflexif, nostalgie de la vie simple et heureuse, du microcosme presque incestueux, et finalement peut être de la perte du sens d'être.
Cette fin, plus généralement les deux derniers épisodes gâchent le réel plaisir que j'ai pris à regarder P'tit Quinquin. Ah, aussi, que vient faire le jeune renoi? Grosse grosse erreur de casting de Dumont. Qu'il s'embrouille à coup de "j'vais l'niquer", "bâtard" ou autres délicatesses avec la "bande à p'tit quinquin" d'accord, mais pourquoi (diable comme dirait l'autre, pour rester dans l'atmosphère de la série) se suicide-t-il, de surcroît en criant "Allah akbar"? Mystère, mystère du mysticisme...

D'emblée, le décor est planté, une vache dans un blockhaus avec "un corps humain, découpé en morceaux et fourré dans le cul de cette bête", Carpentier qui cite Zola et le commissaire lui rappelant "qu'on est pas là pour philosopher", le père de p'tit Quinquin qui l'engueule mais "ne cherche pas à comprendre". Je m’arrête, la liste est longue, même interminable. Les acteurs (personnes?) sont géniaux, le commissaire étant quand même le plus incroyable, de ses interpellations à coup de "bin alors Carpentier", "vous vous foutez d'ma gueul'là" à ses mimiques, ses tirs en l'air. S'il fallait retenir quelques scènes, je dois confesser que celle de Ch'tiderman, surréaliste, triste, drôle et même émouvante (je vous promets sans pathos), de son arrivée à l'engueulade de p'tit quinquin par son père en passant par le moment où il fait tomber Danny, m'a bien plu. Passons sur celle des autos-tamponneuses, chaque démarrage, la vache folle, le 14 juillet (jour sacré, forcément), le "c'est pire que la Shoya ici"... Mais aussi les plus (explicitement) sérieuses, comme celle de l'arrivée des "moucs à brin", comprendre les journalistes avides d'en savoir plus (et le "mon commandant, pas de merde, pas de mouche" qui lui fait suite). Dumont a quand même cette faculté incroyable à dévoiler, en cela il n'est pas idiot de le rapprocher de Malick, et, par là, à diriger notre regard, sans même laisser de trace, vers ces questions qui font l'humanité, de l'amour cristallisé dans la relation entre p'tit quinquin et sa copine (qui, là aussi, échappe au pathos), le moment de grâce où le commissaire monte à cheval ou la présence (pour Dumont ici sinon inexplicable, du moins surréaliste) du mal.
simon_t_
7
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le 5 janv. 2015

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simon_t_

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