P'tit Quinquin
7.1
P'tit Quinquin

Série Arte (2014)

« Un truc qui s’appelle P’tit Quinquin ne peut être que l’histoire d’un gosse, surement issu du terroir français, qui va s’attacher à montrer le côté touchant et innocent de l’enfance en confrontant le gamin à sa famille, ses amis ou son amoureuse. Peut-être une histoire de fugue, c’est souvent une histoire de fugue. » C’est à peu près l’idée que je me faisais de cette mini-série de Bruno Dumont. Mais P’tit Quinquin n’a rien de la fiction française ennuyeuse et déjà vue, mais alors, vraiment rien.


C’est donc bel et bien un enfant qui nous ait présenté ici. Fils d’un éleveur de chevaux dans le Nord-Pas-de-Calais, il aime traîner avec ses deux amis qui le suivent partout, déjeuner face à un paysage magnifique (ceux qui ont vu les 10 premières minutes de la série devraient sourire), les pétards, les frites et surtout, il aime Eve, sa voisine du même âge qu’il emmène partout en vélo. En parlant de vélo, la thématique de la fugue est aussi bien présente puisque P’tit Quinquin passe le plus clair de son temps loin de sa famille qui « l’engueule » à chaque fois qu’il rentre chez lui. Jusque là, j’avais vu juste partout.


Ce que je n’avais pas vu venir, c’est l’enquête façon Twin Peaks qui traverse toute la série, et surtout, son humour détonnant et complètement décalé. Car même si l’affaire est glauque, presque tout ici est fait pour rire. La conduite de l’inspecteur et les tics et comportements du commandant sont d’excellents running gag, la scène de l’enterrement devrait marquer les esprits et les dialogues sont parmi les meilleurs écrits en France depuis très longtemps.


Mais il y a aussi un aspect dénonciateur très fort. P’tit Quinquin et ses potes connaissent l’ensemble des blockhaus du coin par cœur et y trouvent régulièrement des grenades ou des passages secrets. Et puis, à l’image des adultes, les enfants sont aussi très racistes. C’est pourquoi l’adolescent noir se fait courser avec son ami arabe dès qu’ils sont aperçus par les autres. Les ouvriers étrangers passent quant à eux pour des débiles auprès des policiers parce qu’ils ne parlent pas français ou alors avec un accent douteux. Cette thématique du racisme est très forte et je pourrais en dire plus mais il serait question de spoils. Je préfère m’abstenir.


En fait, il reste encore un détail du scénario que je n’ai pas évoqué mais qui pourtant est flagrant. Comme je l’ai précisé plus haut, l’intrigue se déroule dans un petit village du Nord, en pleine campagne. Une fois n’est pas coutume, il fallait des Ch’tis. Et bien, dans P’tit Quinquin, il ne doit y avoir qu’un dixième du casting, si ce n’est moins, qui n’ait pas un accent à glacer le dos des académiciens français. Énormément de personnes se sont insurgées contre le portrait qui ait fait de cette population, crachant ainsi sur l’œuvre et son réalisateur. Et effectivement, si on rajoute à l’accent les fautes de français, les gesticulations et les comportements un peu… rustres, de la majorité des personnages, il peut parfois être compliqué de ne pas avoir le mot « consanguins » à l’esprit. Cependant, à ces gens là j’aimerais demander s’ils ont vu l’intégralité des 3h20 que dure la série. Tous ces personnages sont dans un premier temps déroutants au possible, mais ils deviennent très vite drôles malgré eux (parfois très drôles comme lorsqu’ils s’expriment la bouche pleine ou avec un masque sur le visage) et on s’y attache avec une aisance déconcertante. Bruno Dumont leur accorde des moments de lucidité particulièrement subtils mais toujours preuves de leur intelligence et de leur humanité. En somme, lorsqu’on rencontre furtivement le maire et qu’on l’entend (sans aucun accent) insulter le commandant dans son dos, on s’énerve que quelqu’un puisse insulter un bon copain devant nous.


Mais là où P’tit Quinquin est plus fort encore, c’est sur la technique. Il est très rare de voir une série française avec cette qualité de photographie. Je n’ai personnellement pas pu m’empêcher de penser à une version plus colorée, plus « chaude » de Broadchurch et sa plage vide et triste mais pourtant si belle. Le réalisateur prend ici le temps de nous peindre une région magnifique. La plage mais aussi la campagne avec ses champs, sa verdure, ses animaux bénéficient de longs plans larges qui révèlent toute la beauté du paysage, qu’il fasse beau ou non. Au final, je ne me souviens que d’un unique plan où P’tit Quinquin rentre chez lui, et dans lequel le petit garçon n’a pas la possibilité de s’enfuir très loin. Et encore, ce plan est plutôt court si on considère l’ensemble de l’œuvre. Les choix d’angles de prise de vue servent toujours le scénario et nous permettent à chaque fois d’en apprendre plus sur le personnage à l’écran. La trame musicale est aussi très bien choisie jusqu’à la composition personnelle de la « chanteuse » du film.


P’tit Quinquin s’est avérée être une excellente surprise. Je me suis interrogé sur sa présence au top 10 des films de 2014 des Cahiers du Cinéma et après avoir enchainé les quatre épisodes, je me suis rendu compte que finalement, c’est peut-être comme ça qu’à été pensée l’œuvre. Un unique film en quatre chapitres. Quoi qu’il en soit on rentre vraiment dans l’intrigue après les 10-15 premières minutes et le tragique prend un peu l’ascendant sur le comique vers la fin mais il en résulte 3h20 d’une excellente œuvre à la française. A voir si ce n’est pas déjà le cas.

MysteriosMadness
8

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Créée

le 5 janv. 2016

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