Paranoia Agent
7.8
Paranoia Agent

Anime (mangas) WOWOW (2004)

Il y a des séries qui vous font vous sentir très malins. Qui stimulent votre intellect, vous donnent à réfléchir, laissent symboles et indices pour vous aider à comprendre son propos caché et ainsi prendre de haut le péquin moyen de la masse, ce rustre hermétique aux subtilités culturelles.
Et puis il y a ce genre de séries là. Celles qui font mal à la tête et donnent l'air idiot. C'est pas du jeu.


Bref synopsis : Une jeune conceptuelle marketing en panne d'inspiration se fait agresser par un mystérieux hooligan : Shonen-bat (ça veut dire « le garçon chauve-souris » en japonais). Ce dernier, après plusieurs attaques à coup de batte (un genre de chiroptère) sur des personnes en état de stress intense, devient une véritable légende urbaine, inspirant crainte et fantasme dans la population. De l'insupportable golden-boy collégien à la schizophrène cinglée, personne n'est à l'abri. Deux policiers décident de mettre un terme à son règne de terreur gratuite, mais ne préféreront ils pas faire n'importe quoi à la place ? Seul le petit vieux bizarre qui fait des équations par terre le sait...
Cet anime... n'est pas normal. Hé, il en est même fier. Personne n'aurait un générique pareil (les personnages rigolent devant des rues bondées, des montagnes et des explosions atomiques) si ce n'était pas pour proclamer son allégeance au bizarre et à l'absurde. On appréciera cependant cette rareté : malgré cet élitisme auto-proclamé, le show n'est jamais trop imbu de lui-même. Le scénario n'est pas juste étrange, il est aussi divertissant. Il n'y a pas que du bizarre lancé au hasard, il y a aussi du personnel et de la réflexion. Le sens n'est pas juste cryptique, il est aussi discernable, sujet à l'analyse rationnelle. La preuve, j'ai tout compris. Enfin, en tout cas, je me dis ça pour panser mon orgueil blessé.
Issue de l'imagination féconde et torturée de Satoshi Kon (bénie soit son âme de génie déglingué), Paranoia Agent se présente sous la forme d'une série de scénettes nous introduisant au quotidien de divers personnages, en général un par épisode, même si certains sont plus récurrents que d'autres. Les divers protagonistes cèdent peu à peu à leurs psychoses ( paranoïa, dédoublement de personnalité, perversité, isolement, pression... ) jusqu'à leur rencontre, fatidique et libératrice, avec Batboy. Succession de portraits à la fois malsaine et fascinante, voire horriblement comique, qui ne nous épargnera rien des plus crasseux aspects de l'être humain. Et c'est ça qu'on aime ! La dégénérescence de personnages à l’ego en roue libre, aux désirs tordus, conduits par la malchance, leurs faiblesses ou leurs vices dans des situations anxiogènes, où la seule solution semble être de se faire seppuku (un genre de nouilles). Chacun de ces épisodes ressemble à l'embryon d'une comédie, d'un film d'horreur, d'une chronique sociale ou d'une d'enquête policière. Le sommet est sans doute atteint avec le personnage du père policier lubrique et drogué qui mate sa propre fille avec une caméra et commet des cambriolages avec un masque en latex rose sur la tronche. Oui oui.
Du moins, c'est à ça que ressemble la série jusqu'à ce que Kon décide qu'il déteste ses spectateurs et brûle le fil rouge de l'enquête, nous laissant sans protagonistes ni lien entre les épisodes, à attendre vaguement qu'il condescende à nous dire où il veut en venir. Cette décision pourrait s'apparenter à un hara-kiri (un genre de radis) artistique, si le talent du bonhomme ne lui permettait pas de faire d'une série de fillers loufoques un spectacle agréable et assez drôle, même si franchement déstabilisante. D'un épisode comique sur les suicides de groupes à un autre sur les déboires d'une équipe d'animation, on ne s'ennuie pas, on s'amuse, et on se demande ce que peut bien être le fuck (un genre de loir). Je dois cependant avouer avoir à ce moment légèrement perdu foi dans un retour à la trame.


Misérable incrédule que j'étais ! L'intrigue revient dans les trois derniers épisodes, et elle n'est pas contente ! Place aux surnaturel plein pot et à l'action déchaînée. Place à un super héros qui interroge des poupées vivantes. Place à un paradis nostalgique et creepy au graphisme incroyable ! Place à une dame malade qui envoie bouler une légende urbaine bestiale ! Place à une marée noire qui engloutit aussi bien schizophrènes qu'enfants paranos ou que yakuzas (un genre de motos) gays ! Place à l'affrontement de deux concepts opposés qui rase la moitié de Tokyo ! Et je déconne même pas !
Un mot sur ce final, qui peut facilement passe pour du simple n'importe quoi. Mon interprétation personnelle est qu'on est face à un cas «Carrie». Tsukiko, aux pouvoirs psychiques latents, crée ses deux icônes du déni : Marumi, le rattachement à l'enfance et au passé, le monde tendre et mièvre dans lequel on aimerait se réfugier, et Shonen-bat, le refus de la responsabilité, l'abandon à la faiblesse face à la cruauté du monde. Deux excuses pour ne pas affronter la réalité qui, quand Tsukiko admet sa responsabilité quand à la mort de son chien (et je me rend soudain compte que les gens qui n'ont pas vu cette série doivent se demander de quoi je parle) deviennent inutiles et se lancent alors en kamikaze (un genre de nintendo) dans notre monde, provoquant la destruction des alentours. Bien sûr, ce n'est qu'une théorie, mais elle a le mérite de lier le message de l'anime et son intrigue. Et si c'est bien cela, au moins dans les grandes lignes, je les trouve également profonds et intéressants. Par contre, non, je n'ai aucune explication pour le petit vieux et ses calculs, désolé.


Par rapport au reste de l'oeuvre de Satoshi Kon, cette série semble en être l'équilibre. On y retrouve l'onirisme de Paprika aussi bien que l'humanisme de Millenium Actress, le tout teinté des angoisses de Perfect Blue. Le spectateur, pour peu qu'il se donne un peu la peine d'être curieux, patient et confiant, y trouvera forcément quelque chose. Que ce soit de l'absurde, un message pour assumer ses actes et faire face à la vie, l'écho du passé réinventé, de la tension, du glauque, des pointes d'émotion ou juste de l'amusement hébété, cet anime contient de tout. Et surtout une occasion de plus pour contempler le produit du cerveau visionnaire et angoissé du grand artiste qu'était Kon, et peut-être lui adresser un ultime Sayonara (un genre d'au-revoir).

Kevan
8
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le 8 mai 2016

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