Sense8
7.3
Sense8

Série Netflix (2015)

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Saison 1 - 31/10/15


Il s’est passé plein de trucs étranges avec cette série. Déjà, je l’ai lancé tout seul, comme un grand, alors qu’à priori les Wachowski et moi ça fait deux. Le pitch y était pour beaucoup. Puis je l’ai volontairement stoppé à mi-saison pour la reprendre aussitôt, cette fois accompagné. C’est la première fois que ça m’arrive. L’envie probablement de retrouver l’effervescence conjugale éprouvée fut un temps devant les six saisons de Lost. Je ne sais pas. J’aurais voulu tout regarder sans m’arrêter – d’autant que Sense8 est un peu faite pour être regarder ainsi – mais je tenais avant tout à la partager. Aussi parce qu’il fallait que j’impose ce déclic, cette initiative à ma partenaire tant ça ne lui disait rien, Cloud Atlas aidant. Et bien pas une seule fois je me suis dit que c’était une mauvaise idée, au contraire, cela m’a permis de réhabiliter d’une part complètement les trois premiers épisodes, absolument magnifiques, mais aussi d’apprécier davantage cette dynamique de l’entonnoir, avec ses lumineuses transitions. Enfin bref, je ne vais pas te faire un dessin, c’est le truc le plus excitant, lumineux, drôle, émouvant vu depuis un moment.


 Si comme moi tu as au départ peu d’atomes crochus avec le cinéma des Wachowski, il va falloir t’accrocher. Parce que franchement, ça vaut le coup. Il y a donc je le disais d’abord trois épisodes difficiles, mais cela dit pas désagréables, devant lesquels il est possible de rester sceptique. Dans le vertige, le mélange des genres, la kyrielle de personnages olé olé – Un acteur mexicain gai, une coréenne calée en kick-boxing, une hackeuse transsexuelle, une islandaise transportant un lourd trauma et d’autres. Un beau catalogue. Mais un catalogue qui prend justement une ampleur logique et dramatique à mesure que le récit central se met en place. C’est fort de café, mais bon, quand on a mangé Cloud Atlas, on est capable de tout encaisser. Justement, Cloud Atlas, parlons-en : Si le pitch semble similaire (une affaire de connexions spirituelles entre plusieurs personnages à travers le monde) Sense8 s’en échappe rapidement autant dans sa construction labyrinthique (des portes qui s’ouvrent sur d’autres, des sons qui en convoquent d’autres, des décors qui se superposent), ce que draine chaque personnage, d’important ou non (Fait rarissime en série, je les apprécie tous pareil ; Il n’y en a pas un que je cherche plus que l’autre) que dans la légèreté qui émane de l’ensemble tout en s’enfonçant dans une noirceur renversante assez inattendue.
Très vite on se familiarise avec les lieux (Séoul, San Francisco, Londres puis Reykjavik, Nairobi, Mumbaï, Mexico, Berlin et Chicago) ainsi qu’avec le genre qui lui est approprié. De la comédie romantique on passe au thriller d’espionnage, un casse se superpose avec un mariage façon Bollywood. La familiarisation opère très rapidement parce que j’y trouve de l’intérêt somme toute partout, dans tout ce que je vois, dans toutes les connexions, aussi infimes soient-elles au départ (il faut lancer la machine, poser les conditions et faire en sorte que cette nouvelle naissance à huit soit imposante, éreintante, belle et douloureuse). On pourra toujours y voir naïveté et grandiloquence mais on retiendra surtout la générosité de l’ensemble, qui converge peu à peu vers un magma de rencontres et de fusions d’une puissance géniale qui n’a d’égal que l’épaisseur globale, où chaque personnage devient le vecteur de quelque chose de plus grand, une révolution hilarante (« Do I know you ? » demande Will à Lito dans ce dernier épisode qui lui répond « We had sex ! ») et bouleversante (sublime mixture orchestrale des naissances de l’épisode dix) façon huit pour tous à la Lady in the water assez jubilatoire. Peut-être me fallait-il un format série pour accepter, enfin, l’univers Wachowskien.

Christmas special - 13/01/17


Ou comment nous replonger dans l’univers de la série en deux heures à la fois indépendantes et complètement dans la continuité des douze épisodes que formait cette merveille de première saison. Quand Black Mirror s’atèle à un épisode spécial il n’est pas difficile de l’appréhender en tant que one shot puisque Black Mirror c’est déjà ça, une somme de one shot. Là, avec Sense8, pure série de personnages et d’interactions entre ses personnages, c’est comme si on nous avait offert en son temps un petit en-cas lostien entre deux saisons. L’horreur et le bonheur, quoi. Et c’est exactement ce que procurent ces deux heures, belles et foutraques, pleines comme un œuf et pourtant tellement libres, aérées, deux heures aussi jubilatoires que frustrantes. Quel putain de plaisir mais bordel, ce qu’il va être douloureux de patienter en attendant la suite. On a donc retrouvé tout le monde ou presque, puisque un autre acteur s’est emparé du rôle de Capheus. C’est bizarre au début, puis on s’y fait d’autant que le changement est brillamment introduit, avec l’autodérision chère aux Wachowski et une bonne dose méta au sens où sa première apparition le voit dialoguer avec son pote de la camionnette Van Damme qui trouve que son visage a changé. Pour le reste tout a repris sur le même rythme et la même folie, chacun son histoire, forcément, mais aussi de multiples crossover employés pourtant avec parcimonie, souvent à deux personnages (Kala/Wolfgang ; Sun/Capheus) ce qui prouve combien c’est une grande série romantique avant tout. Mais un romantisme un peu désespéré (Riley/Will) bien qu’il puisse parfois sembler niais. Par deux fois, la série nous offre ce qu’elle avait offert dans le dernier plan de la première saison, une réunion absolue, avec cadeau ultime lors de la fête d’anniversaire suivi d’une séquence d’orgie miraculeuse. Et puis une scène absolument déchirante entre Lito (qui affronte les conséquences de son coming-out) et sa mère. Vivement la suite !


Saison 2 - 22/10/19


Dans un premier temps, il faut raconter le pourquoi de cette découverte différée, puisque voilà deux ans que cette seconde et dernière salve fut mise en ligne. La première saison restait à mes yeux (à priori pas hyper wachowskiens) l’une des plus belles, intenses, réjouissantes et surprenantes choses vues dans l’univers sériel. Je ne m’en suis pas remis. J’y pense chaque jour. Sans doute car elle condense à elle-seule toutes les autres séries qui comptent dans mon cœur : L’émotion sidérante de The Leftovers, l’intensité chorale de Urgences, la légèreté contagieuse de Friends, le cosmopolitisme tentaculaire de The Wire. Et bien entendu, le meilleur pour la fin : La pluralité vertigineuse de Lost.


 J’exagère sans doute un peu, qu’importe, dans chacune de ces œuvres je vis, je respire, je tremble pour les personnages. Dans chacune d’elles j’aime infiniment l’univers, le décor au sein duquel ces personnages évoluent. Et leur tenue formelle, aussi opposée l’une de l’autre puisse-t-elle être, me semble entrer en parfaite adéquation avec le récit, les personnages et le décor dans lequel tout cela se mélange. Et si je peine à – pour ne pas dire « je fuis à l’idée de » – finir c’est probablement car dans l’idée de « fin » il y a celle de la « mort ». Et on a tous peur de mourir, forcément. Je n’ai pas encore vu l’ultime saison de The Wire, tiens.
La mise en ligne de la deuxième saison de Sense8 fut accompagnée d’un « drame » terrible : l’annulation de la série, pure et simple, sans sommations. J’en aurais chialé. Du coup, j’ai longtemps préféré resté sur cette fin suspendue, avec ce merveilleux goût d’inachevé, plutôt que de risquer de voir quelque chose de bâclé, surtout quelque chose qui allait se finir, faire ses adieux, alors que la première saison, du haut de ses dix épisodes, semblait servir d’introduction prometteuse à un « livre » gigantesque. Je savais qu’on avait finalement accordé aux Wachowski la possibilité de clôturer la série par un épisode final en forme de long métrage, mais rien n’y faisait, je préférais garder la possibilité d’y jeter un œil sans le faire. La laisser là, inachevée, dans un coin du grenier. Jusqu’à maintenant. Comme une envie de pisser. Plutôt : Jusqu’à découvrir tardivement les deux derniers volets de Matrix et songer à prolonger un peu ma plongée dans l’univers Wachowskien que je réhabilite fortement à la hausse.
Mais pourquoi diable ai-je tant trainé ? Car c’est fabuleux. C’est au-delà de mes attentes, vraiment. Quelle excitation, quelle émotion de retrouver « notre famille » : Sun, Capheus, Nomi, Will, Riley, Wolfgang, Kala & Lito. Je les aime tellement, ces huit personnages-là. Mais ça ne tient pas qu’à eux, bien sûr, c’est un ensemble, de ceux qui ne font que passer, aux bad guys, et bien entendu les personnages récurrents aussi géniaux que les principaux : Amanita, Bug, Mun, Rajan, Felix, Hernando, Daniela, Diego. J’en cite huit, c’est parfait. On aimerait tant les voir aussi évoluer dans un cercle ceux-là. Et qu’importe les intrigues pourvu qu’on ait les relations entre ces personnages, ces chassés croisés savoureux, cette fluidité des apparitions, disparitions, changement de lieux, interventions des uns dans le quotidien des autres. La jubilation est permanente tant on sent la liberté des auteur(e)s à son paroxysme dans ce récit tentaculaire. C’est une saison qui pousse les potards au max. Plus foisonnante, elle entrechoque tout et toujours au moyen d’audaces formelles toujours plus folles. Elle est aussi l’occasion de rencontres réelles, géographiquement parlant. C’est Will & Riley qui expérimenteront cela les premiers, avant que ça ne devienne coutumier et tellement excitant, et ce d’autant plus lorsque ce sont les personnages secondaires qui rencontrent en vrai ceux qui appartiennent au cercle et qui n’étaient jusqu’ici que des noms et des facultés, des personnages sans visage.
Si la première saison prenait le temps de raconter le quotidien de ces huit personnages et leur rencontre au sein de ce cercle psychique, prenait le temps de les voir apprendre à vivre ensemble tout en étant traqué par ce mystérieux Whispers, membre d’une organisation secrète visant à les faire disparaître, comme il parvint à le faire avec leur mère (Angelica aka Darryl Hannah) ou à les manipuler comme il le fait avec d’autres (Jonas aka Naveen Andrews aka Sayid dans Lost) la seconde pourra pleinement se libérer et lâcher les chevaux, trouver le délicat équilibre entre la tension et l’humour, l’action et l’émotion. Les scènes de combat sont plus jouissives dans la mesure où notre cercle maitrise dorénavant ses pouvoirs, élabore des stratagèmes afin de les mettre en place et sait qu’il doit intervenir au moment opportun, à l’image de ce moment hilarant qui voit Wolfgang dans le corps de Lito se battre avec le mec de Daniela, qui la séquestre sous la menace de révéler au monde les tendances gay de Lito. Si ce dernier doit apprendre à assumer son coming out, Kala, de son côté, se retrouve dans une situation embarrassante, amoureuse de Rajan mais « physiquement » éprise de Wolfgang, qu’elle peut visiter à tout moment : Sublime moment de retrouvaille qui la voit dans les bras de l’un et de l’autre au même instant.
C’est aussi une grande série parfaitement de son temps, comme Matrix était un film du sien. Les Wachowski parviennent à saisir quelque chose du flux multiple, simultané et violent qui anime le XXIe siècle comme jamais on n’avait pu le voir sur un écran jusqu’à maintenant. L’information instantanée, la récupération politique, la mondialisation, l’individualisme, tout transparait dans cette deuxième saison qui capte les dérives de notre monde, le danger et la cruauté logés dans chaque recoin de la planète, pour ne pas dire chaque recoin de notre conscience, tout en préférant garder l’effet d’un antidote, faire l’éloge du collectif, de l’amour et du sexe, plutôt que de se morfondre dans un truc cynique et sinistre.
Sense8 c’est la série bienveillante par excellence : le triomphe de l’humain et de la différence. C’est une série que j’adore à en pleurer, je me rends compte. Qui me fait un bien fou, à ranger dans le même sac que ces nombreux films médicaments. Une série qui plonge dans tous les genres, le fait avec une énergie, une amplitude et parfois même un mauvais goût assumé absolument réjouissant. L’épisode final de 2h30 offert aux fans en guise de conclusion (après l’annulation) est une merveille totale : Aussi frustrant (On en aurait voulu tellement plus) que déchirant.
JanosValuska
9
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le 10 nov. 2015

Critique lue 625 fois

7 j'aime

JanosValuska

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7

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