Seven Deadly Sins
6.6
Seven Deadly Sins

Anime (mangas) MBS (2014)

[Chronique égalitaire] Les péchés de la japanimation

C’est indéniable, de nos jours, l’image est omniprésente, amenant la représentation à perdre son sens pour ne devenir qu’un divertissement au propos abscons. Miroir déformé de la société en tout temps et en tout lieu, la représentation, dans son sens le plus large, ne peut se concrétiser autrement qu’à partir de son époque Pourtant, combien de fois m’a-t-on demandé de fermer les yeux, d’oublier une partie du monde absente sous le tout-puissant prétexte de la fiction ? Une aubaine pour notre bonne conscience qui s’en retrouve intouchée. Réfléchissons les arts, oui, mais objectivement, me dit-on : il est temps de se libérer du règne de la subjectivité et de noter les œuvres comme on noterait le résultat d’un calcul mathématique. Comme cela est rassurant, après tout. Mais à trop vouloir apolitiser les arts pour les rendre atemporels, trace ineffaçable d’une humanité sans limite, ne finissent-ils pas par devenir fondamentalement intemporels et à ne plus parler de rien ? L’humanité tracée serait celle d’un divertissement épicurien vidé de sa substance. Ne serait-il pas temps, comme le propose le collectif du même nom, de plutôt décoloniser les arts…?

Les arts, et surtout les arts de l’image mouvante, sont un tout ; le propos, la technique, la composition, l’écriture, le montage ou le gameplay vont s’agencer de manière à créer sous nos yeux un résultat : l’œuvre. Mais, bien souvent, à trop observer ses contours, nous en oublions ce qui se trouve à l’intérieur. L’image cinématographique, disait Bazin, est la « re-présentation » de notre monde. Sa petite sœur, l’image vidéoludique, n’est pas en reste. Pourtant, c’est bien là que souvent les critiques ferment les yeux : comment reprocher à une œuvre de refuser les réflexions politiques contemporaines lorsqu’elle est techniquement, et objectivement, irréprochable ? Pourtant, la représentation est un choix ; celui de ne pas en faire en est également un, en dehors du fait que cela tient d’une nonchalance aberrante pour un artiste.
Il existe sur ce site de nombreuses critiques – d’excellentes critiques par ailleurs. C’est pourquoi j’ai décidé de concentrer ma plume sur un élément particulier des films et jeux vidéo interrogés : leur représentation. J’entends par là la place accordée à l’homme, à la femme, à l’étranger, à l’homosexuel, au transgenre et tous les oubliés de ce qu’on nomme, encore aujourd’hui avec dédain, la culture populaire. Ma note et ma critique ne défendront donc pas mon ressenti global et ne laisseront pas transparaître une appréciation générale de l’œuvre, mais procèderont surtout à l’exploration plus ou moins détaillée de ces procédés et ce qu’ils véhiculent comme idée – bien souvent de façon fort inconsciente et maladroite. Il n’est en effet pas question de critiquer l’œuvre, mais plutôt de l’étudier sous l’œil moderne de l’égalitarisme afin de mettre en lumière certains processus de représentation qui visent, et parviennent, à normaliser quelques comportements et stéréotypes. Il est pourtant évident qu’une représentation moderne ne suffit pas à rendre une œuvre agréable, de même qu’une représentation plus stéréotypée ne pourra entacher certaines œuvres particulièrement réussies par ailleurs. Pourtant, c’est bien ici de cela qu’il s’agit ; l’étude égalitariste de l’image moderne.
Une fois ces bases posées, il convient de se tourner vers les premières concernées par mes mots : les œuvres, et d’y faire parfois abstraction de mon avis général les concernant afin de me recentrer sur mon propos. Comment mieux commencer alors que par une série d’animation, mon genre de prédilection, qui réussit l’exploit d’offrir une mise en scène aussi navrante que son propos ? 7 Deadly Sins compte en une vingtaine d’épisodes tous les défauts d’une industrie télévisuelle qui a cessé de réfléchir son contenu. Série japonaise dérivée de la bande dessinée du même nom, elle se définit par son genre, le « shonen » (littéralement « adolescent masculin »), avec autant de subtilité et d’originalité qu’elle ne définit celui des personnages. La série s’ouvre ainsi sur une taverne, remplie d’hommes de tout âge buvant joyeusement alors que le propriétaire, étrange homme-enfant du nom de Meliodas, étonne autant par son apparence que son assurance. Le spectateur apprend alors l’existence de criminels hautement recherchés, les « 7 péchés capitaux », ainsi que la légende d’un chevalier errant en armure rouillée, probablement l’un d’entre eux. Les différents éléments de l’intrigue semblent être posés : le protagoniste, Meliodas, devra faire face à ce fameux chevalier et la série tournera autour de son combat contre les criminels éponymes. Jusqu’ici, soit en 6 minutes environ, il n’y a que peu de choses à relever si ce n’est que le monde présenté n’est pour l’instant composé que d’hommes blancs au comportement aussi stéréotypé qu’un spectacle de Michel Leeb. Ils boivent, parlent fort et s’échangent des rumeurs sous le regard vaguement intrigué du jeune Meliodas, La femme ou l’étranger n’existent tout simplement pas et, si cela laisse déjà une bonne partie de l’audience de côté, la série vient à peine de débuter et ce genre d’oubli est commun dans les séries grand public. Arrive alors, comme attendu, le fameux chevalier en armure rouillée, qui fait fuir de sa seule présence l’intégralité de la taverne à l’exception, bien sûr, de son impétueux patron et son curieux compagnon cochon, qui pourtant ne cache pas son angoisse face à cet ennemi redoutable. Pourtant, bien vite, celui-ci se révèle trop faible pour continuer et s’effondre, révélant alors son identité : celle d’une jeune femme d’une quinzaine d’années. En gentleman, Meliodas lui retire alors son armure et la laisse se reposer sur son lit, uniquement habillée d’un justaucorps noir révélant une poitrine, bien entendu, exagérément opulente —comme toute jeune fille japonaise de 15 ans qui se respecte. Vient alors la consternation quant au sexe du tout puissant chevalier en armure rouillée, qui s’avère, contre toute attente, être une femme. Face à cette anomalie dans l’ordre pourtant si bien établi, Meliodas se met alors à lui tourner autour et à la toucher pendant son sommeil tout en commentant la forme de son corps, le tout dans un cadrage suffisamment lointain afin de ne pas mettre le spectateur dans l’embarras face à cette agression sexuelle et ne garder de cette scène que son humour fin et original. Il serait après tout bien dommage d’injecter du voyeurisme là où la mise en scène ne cherche que la complicité du spectateur. Mais le harcèlement sexuel n’a rien de comique. Et il l’est encore moins lorsqu’il est légitimé au nom d’un public.


  Car c’est bien pour l’adolescent que s’écrit la série, comme le laisse penser le genre duquel il est tiré, extirpant de ses prédécesseurs les formules les plus populaires afin de se construire autour de son public et non son propos. L’identification est essentielle pour ce genre d’œuvre, dont le succès ne repose que sur cet unique principe d’évasion du monde réel. L’ « adolescent » visé voit s’ouvrir à lui un univers fictionnel dans lequel ses fantasmes sont permis et auquel il peut adhérer. Il ne s’agit pas de faire le procès du spectateur, en rien responsable des tares de la série et dont la bonne foi, j’en suis persuadée, n’est plus à prouver —moi-même, j’ai souvent apprécié des œuvres moralement discutables. Le problème se situe au sein de l’image, alors que celle-ci, bien plus loquace qu’on ne le pense, se permet d’oublier les dernières 40 années d’évolution esthétique et idéologique pour servir en boucle la même formule et contribuer, à l’échelle populaire, à créer une image erronée du monde, une où il est possible de rire de harcèlement, où tout ce qui ne permet pas l’identification du spectateur-cible, à savoir l’adolescent japonais en pleine découverte sexuelle, est tout bonnement oublié. Il pourra alors se complaire dans cet univers où ni étrangers, ni homosexuels n’existent et où les femmes sont toutes profondément cruches et prétexte à l’excitation masculine. La série nous prend pour des cons, moi, femme émancipée, qui ne peut m’identifier au moindre personnage de mon propre sexe sans me sentir insultée, l’homme blanc, qui est présenté comme l’harceleur sexuel qu’il s’évertue pourtant à ne pas être, et tous ceux qui n’ont même pas le droit d’exister dans le petit monde parfait de Nabaka Suzuki.

Je pourrais continuer à lister et analyser les scènes scandaleuses, il y en a à chaque épisode, mais cela prendrait bien trop de temps pour une critique déjà bien trop longue pour son objet. Malgré tout, j’ai choisi, pour ma première critique, de m’intéresser à une série qui comporte absolument toutes les tares esthétiques, idéologiques et techniques de l’industrie nippone. Il existe de nombreux shonen excellents, certains faisant même preuve d’une réflexivité fascinante. Mon insurrection contre Nanatsu no taizai ne s’applique pas tant à l’œuvre seule, dont il est facile de comprendre le fonctionnement dès le premier épisode, mais sur l’industrie toute entière et la façon dont, de manière tout à fait inconsciente, elle n’a jamais cherché à prendre conscience d’elle-même. Au sein d’une société où l’image nous construit, est-il encore normal que des œuvres telles que 7 Deadly Sins continuent de fermer les yeux sur leur représentation ?

MouetteRieuse
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le 28 avr. 2020

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