Six pieds sous terre
8.1
Six pieds sous terre

Série HBO (2001)

Don't Fear the Reaper [critique de "Six Feet Under" saison par saison]

Saison 1 :
Quinze ans plus tard, alors que la série TV a prodigieusement évolué depuis son nouvel âge d'or du début du siècle, peut-on encore regarder "Six Feet Under", l'une des trois grandes séries fondatrices du genre - avec "The Wire" et "Les Soprano", toutes 3 sur HBO - avec le même enthousiasme émerveillé ? Eh bien, même si formellement, "Six Feet Under" reste plutôt du côté du soap classique et n'a donc rien à voir avec les ambitions plus "cinématographiques", disons, de la grande série actuelle, aucune déception ne se fait ressentir lorsqu'on reprend au début ce voyage de 5 ans avec les Fisher : ce portrait d'une famille dysfonctionnelle, abordant franchement des sujets aussi difficiles que la Mort (et comment s'en arranger), la folie (et comment aimer quand même), l'homosexualité (et son impact sur le lien social) ou la foi (et comment elle interagit avec tout le reste) continue de nous éblouir grâce à la justesse de son écriture et à l'empathie qu'elle génère vis-à-vis de personnages a priori pourtant peu aimables. Et si l'audace de l'époque - nudité frontale, baisers entre hommes - ne signifie plus vraiment grand-chose aujourd'hui, c'est bien que "Six Feet Under" a gagné son pari fou, celui de devenir une référence incontournable, une sorte de socle sur lequel de jeunes auteurs ont pu s'appuyer pour aller plus loin encore. Et puis, ce que cette première saison nous rappelle, c'est que, pour être émotionnellement très forte, "Six Feet Under" était aussi immensément drôle ! [Critique écrite en 2017]


Saison 2 :
La seconde saison de "Six Feet Under" avait été une petite déception en 2004… même si l'on admettait facilement qu'il aurait été illusoire d'espérer que l'équipe d'Alan Ball réussisse à maintenir tout au long de 13 nouveaux épisodes le merveilleux sentiment d'étrangeté que la première saison avait créé en nous. A revoir cette seconde saison un peu ingrate, puisque consistant plus ou moins à poursuivre les arcs narratifs de la première sans grande révolution, on se rend compte qu'on avait été un peu injustes à l'époque : si les premiers épisodes semblent un peu fastidieux, il est indiscutable que, insensiblement, le charme de "Six Feet Under" opère à nouveau, au fûr et à mesure que les membres de la famille Fischer s'enfoncent dans cette dépression poisseuse qui caractérise - et que célèbre d'une certaine manière - la série. La vie est insupportable, mais la mort est bien pire, alors profitons de l'instant présent… comme l'affirme le plus bel épisode, celui de l'enterrement d'un Père Noel biker, où résonnent de manière pertinente et "Born to be Wild" et "Don't Fear the Reaper"... Ou plutôt savourez vos pires moments, car d'autres bien pires viendront demain, et c'est une certitude. Sinon, ce qui impressionne aujourd'hui, c'est le charisme croissant, et la subtilité du jeu de Michael C. Hall (pas encore notre cher Dexter), qui assume peu à peu une position centrale dans "Six Feet Under", malgré la préférence que les scénaristes semblent donner au personnage de Peter Krause, finalement plus convenu. A noter quand même aussi le cliffhanger un peu facile sur lequel se clôt cette saison d'une série qui, d'ores et déjà, valait bien mieux que ce genre d'artifice facile du genre. [Ecrit en 2004 et complété en 2017]


Saison 3 :
Lorsque s'ouvre la troisième saison de "Six Feet Under", en format 16/9 tranchant avec le 4/3 des saisons précédentes, bénéficiant d'un photographie plus sophistiquée et d'effets de mise en scène témoignant de sa crédibilité ascendante (nous sommes en 2003, et le format de la série TV explose à travers la planète), l'on sent immédiatement que la création d'Alan Ball (à laquelle collabore désormais la future grande Jill Soloway) est passée à un niveau supérieur : maîtrise de la narration, gestion impressionnante des affects, profondeur des thèmes, "Six Feet Under" a définitivement rompu avec la tradition du SitCom. La meilleure série américaine de l'époque, alors que les "Soprano" s'offraient une pause, nous offrait sa plus belle saison à date, marquant une superbe maturité de ses sujets et de ses personnages, soulignée par la précision de la réalisation dans la plupart des épisodes, et s'élevant vers les sommets dans ses derniers épisodes tournant autour de la disparition quasi-"antonionienne" de Lisa. Mais si la tristesse dominait toujours de manière aussi poignante, générant ce bourdonnement dépressif qui est la subtile marque de la série, "Six Feet Under" savait désormais s'élever brusquement vers d'autres sentiments, et nous communiquer en des instants de grâce une vraie joie - mélancolique certes, mais quand même - d'être (pour le moment, encore...) vivants. Un classique venait de naître. [Critique écrite en 2005 et complétée en 2017]


Saison 4 :
La quatrième saison de "Six Feet Under" nous avait semblé à l'époque moins profonde et belle que la précédente, peut-être parce qu'elle semblait légèrement plonger dans une certaine routine, chaque membre de la famille Fisher affrontant à son tour des problèmes aigus qui remettent en question son équilibre récemment acquis… à l'exception de Nate, toujours en plein chaos (ce n'est pas pour rien qu'il est le personnage central, emblématique de la série, même si au final, il est loin d'être le plus attachant, le charisme de Michael C. Hall opérant désormais à plein régime !). Ce qui rend néanmoins cette saison mémorable, et qui avait, à sa sortie sur les écrans, apparemment irrité pas mal de fans américains de la série, c'est le fameux épisode "Where's My Dog", où, d'un coup, la douce morbidité dépressive de la série bascule vers la violence et le traumatisme du fait divers. L'épisode constitue indiscutablement une déchirure cruelle, mais volontaire, dans le tissu de "Six Feet Under", et comme tel, est à la fois un risque non totalement maîtrisé qui compromet l'harmonie de la narration, mais aussi l'un de ces beaux (?) accidents qui en font la valeur. A partir de cette épisode, rien ne sera plus exactement pareil. (A noter par contre que la résolution finale de la disparition de Lisa n'apporte rien à la série, et a par contre une saveur forcée et artificielle beaucoup plus discutable...) [Critique écrite en 2005 et complétée en 2017]


Saison 5 :
La dernière - et mémorable - saison de "Six Feet Under" place cette fois la Mort en plein centre de l'écran : il ne s'agit plus seulement d'une introduction concernant des personnages périphériques, ni d'un gagne-pain pour la Famille Fisher. Il s'agit cette fois d'affronter la mort du personnage central de la fiction. Et de constater les dégâts sur celle-ci, sur les autres personnages, sur nous. Certes, Alan Ball et son équipe de scénaristes n'y vont pas de main morte, et l'on peut déplorer, fait exceptionnel dans la série, quelques excès dans les épisodes finaux... mais notre éventuelle irritation, passagère, est vite oubliée : car l'échec de Nate avec Brenda et l'explosion de son cerveau conduisent à un hébétement général, magnifiquement retranscrit dans l'épisode des funérailles du fils (du frère, de l'amant...) préféré, soient 45 minutes d'épreuve émotionnelle pour le téléspectateur qui doit lui aussi faire son deuil. Oui, une fois "Six Feet Under" terminé, comment vivre sans la plus touchante et la plus audacieuse des séries TV ? Le dernier "tour de vis" réside donc dans ce fameux final, souvent considéré comme l'un des meilleurs du genre… Une conclusion élégiaque, qui imagine (?) la mort de chacun des membres de la famille Fisher, tour à tour fauchés aussi impitoyablement que la soixantaine d'inconnus que nous avons vu mourir en ouverture de chacun des épisodes. Puis l'écran devient blanc, pour la dernière fois, et nous laisse seuls, peut-être mieux préparés à affronter un jour la mort de ceux que nous aimons. [Critique écrite en 2006 et complétée en 2017]

Créée

le 19 mai 2015

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Eric BBYoda

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