Texte original sur mon blog.
Dans la grande famille des longues séries d'animation américaines, Les Simpson tenaient le haut de l'affiche depuis des temps immémoriaux. Et puis, vers la fin des années 1990 surgit un objet animé non-identifié, condensé d'irrévérence, de blagues salaces et de méchancetés. South Park, série parfaitement déjantée écrite par deux auteurs sous acide qui, depuis, ont multiplié les coups d'éclat (de Cannibal! the Musical au Captain Orgasmo), était né. Cependant, contrairement à cette première série qui s'est depuis enlisée dans une monotonie douloureuse - du moins pour moi -, elle a su se renouveler et sortir même de son image initiale pour atteindre de meilleurs cieux.
Le succès de South Park m'empêchera de commettre l'affront de resituer l'intrigue, celle de cette petite ville du Colorado habitée par des êtres hauts en couleur et ce à commencer par ces quatre comparses âgés d'une dizaine d'années, Stan Marsh, Kyle Broflovski, Kenny McCormick et Eric Cartman. Découverte alors que j'étais encore au collège, cette série était alors prisée pour son côté ouvertement vulgaire voire scatologique par moment : c'était un programme destiné aux adolescents ou aux adultes dans l'enrobage d'une mignon dessin auquel on aurait donné, sans doute, le bon Dieu sans confession.
Sa popularité initiale vient, justement, de ce décalage délicieux et malhonnête ; les auteurs n'avaient peur de rien, et montraient sans censure aucune violences, défécations, insultes, pédophilie, sexe... La liste est encore longue. Cette première "vie" de South Park, sans doute encore la plus connue de toutes, témoigne d'un humour collégien, justement, et ne s'autorisera ni demi-mots, ni langue de bois. C'est là que les personnages ont été créés, des nombreuses morts de Kenny jusqu'au personnage d'Al Super Gay, et ces deux ou trois premières saisons donnèrent comme un souffle nouveau au petit écran.
Mais c'est avec la sortie du film, en 1999, que la série prit un nouvel élan et se dirigea, lentement mais sûrement, vers ce qu'elle est aujourd'hui : une critique acerbe qui rend coup sur coup, bien loin des insanités gratuites des premiers temps.
Déjà, l'on devait s'en douter. Le sujet de ce long métrage, South Park: Bigger, Longer and Uncut est politique et pose une question qui a tout d'une autorisation : peut-on tout dire, et tout montrer, à la télévision ? Est-ce que la liberté d'expression doit s'enquérir de la façon dont les paroles sont prononcées ? Est-ce que l'auto-censure est une façon de restreindre cette liberté ? À cela, les spectateurs, les critiques, tout le monde répond : "allez-y". Et ils y allèrent. La grossièreté initiale, alors innocente même si, de temps à autre, un chouïa aigre, devint critique intelligente et paradoxalement subtile. Aucun domaine ne fut épargné : culture au sens large, du cinéma à la littérature, politique, économie, célébrités. Caricaturant, grossissant le trait, extrapolant, s'amusant : ce que la série a perdu en intemporalité en s'attachant au plus près à l'actualité, elle l'a gagné en force et en pertinence.
South Park est devenu, au fur et à mesure des années, un gigantesque pamphlet, une œuvre engagée et dangereuse, un thermomètre de ce qui se passe dans le monde actuel. Alors oui, de temps à autre un épisode surgit avec un charmant goût d'origines, et ne semble avoir nul autre message que celui de s'amuser et de sortir quelques blagues vicieuses. Mais, la plupart du temps, il s'agit de prendre une cible spécifique et de frapper, non sans humour toujours, afin de relativiser les événements.
Ce qui est du reste magistral dans cette façon de faire, c'est que les auteurs semblent rarement prendre parti. L'on se doute qu'ils ont leurs préférences et leurs ennemis, mais il est parfois difficile de les différencier et de trancher : ils semblent peser le pour et le contre, fustigent les défauts des uns et des autres et laissent au spectateur la lourde tâche de choisir.
Curieux et rares sont les travaux ainsi faits, militants et engagés jusqu'au bout des ongles mais coercitifs en rien. En un autre temps, on aurait dit que South Park était "médiocre", c'est-à-dire "dans la voie moyenne", sceptique et toujours doutant de tout.