Succession
8.1
Succession

Série HBO (2018)

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Saison 1 & 2

Après les deux premières saisons, des sentiments bien contradictoires assaillent le cœur du spectateur lambda. On se trouve en face d'une sacrée ribambelle de connards dont il est très difficile de s'enticher. C'est volontaire, bien entendu mais ce vitriol perpétuel, ce tableau cynique de 20 fois 55 minutes use un peu. Et pourtant, le savoir-faire est tel, que le résultat demeure très addictif.

Le Roy est mort, Vive le Roy !

Succession ausculte les relations intimes d'une famille riche à millions depuis des décennies qui se coltine de sales manies de nouveaux riches. Pas de culture, pas d'éducation, ni même de véritable intelligence (Roman). Voilà un cadre assez peu réaliste pour une dynastie assise depuis aussi longtemps. Comment peuvent-ils être aussi m'as-tu-vus et se comporter comme des gagnants de l'Euro Millions ? Est-ce que ça se passe comme ça chez les Murdoch, ou bien est-ce une simplification, un jeu de fantasme de la part de scénaristes aux convictions assez claires au moment d'élaborer des personnages ? Jouer sur la détestation des élites pour se contenter du minimum ?

On est ainsi témoin d'une accumulation de scènes, souvent malsaines, gênantes, où les coups de couteaux sont allongés par des dialogues crus voire franchement dégueulasses (ce trash talking continuel dont les américains si policés en temps normal raffolent). Il est constamment question de baiser quelqu'un ou quelque chose, l'inceste étant une image dont abusent d'ailleurs certains personnages de la famille Roy (Roman). A la lumière des récentes révélations qui s'abattent sur le monde des puissants, on se dit que ces vannes thématiques ne sont pas si farfelues que cela au final.

Il ne s'agit pas de prendre la défense des 1%, ou de tomber dans le panneau d'une fausse philanthropie souvent exhibée par les milliardaires, mais il y a quand même des trucs qui clochent, un défaut parfois de réalisme qui empêche l'implication. Parce qu'aucun personnage de la série ne montre la moindre humanité. Que le noyau familial soit pourri et inspiré de la vraie famille Murdoch, à la limite pourquoi pas. Mais même Ewan Roy, le frère Logan, qui critique justement la gestion de son frère et les dérives diverses soit également un connard qui abuse de son autorité pour faire du chantage à son petit fils, même Marcia la compagne de Logan est une mata hari franco-libanaise qui protège les intérêts de son fils, même le petit cousin innocent qu'on a envie de protéger se révèle être aussi fourbe et intéressé que les autres.

Ça commence dès le premier épisode, avec cette partie de base-ball rituelle improbable à chaque anniversaire du patriarche. Tous prennent l'hélico pour taper la balle en banlieue de New-York. Une famille de jardiniers assiste à la scène, et le fils cadet (Roman), le plus insupportable, le plus mal façonné, bourré de névroses et de coke (?) propose à un gamin un million de dollar s'il réussit son home-run. Il frôle l'exploit, et on déchire le chèque sous son nez dans un gros éclat de rire.

Et dans Succession, les personnages se partagent tous la même ambition : hériter de l'empire, et "baiser le père". Ils sont ambitieux, manipulateurs, jaloux des uns et des autres, on le voit dès les premières minutes du première épisode, mais on en est au même point 19 épisodes plus tard.

Avoir 5-6 personnages avec exactement la même ambition et les mêmes réflexes agressifs émousse un peu la dynamique et le pire étant que cela les rend tous interchangeables. Une ligne de dialogue de l'un pourrait se perdre dans la bouche de l'autre sans que cela ne fasse sourciller personne. Le cadre est de fait redondant, et l'on voit arriver les prises de bec de très loin, à l'occasion d'un événement exceptionnel où l'on plonge tout ce petit monde en vase clôt (mariage, enterrement de vie garçon, thérapie au ranch de Connor, visite en Ecosse, congrès de super riche écolo etc...).  

Profits rencontre Dallas

Ceci étant dit, une fois qu'on admet que la série n'aura pas une variété folle en matière de portraits ni d'ambitionner de retranscrire un réalisme à la Boss, l'humour et l'enjeu de base parviennent à donner envie de voir la suite et à masquer une structure ultra simpliste.

Imaginez une série télé peuplée de 10 Ari Gold d'Entourage (sauf que même ce requin est capable d'aimer sa femme, ses enfants, et même certains clients). Si on ne sature pas devant autant de vices et de vulgarité, on peut se régaler. Tout cela manque aussi parfois de mesure, et bien souvent dans les productions de McKay on tente de compenser le manque de crédibilité avec des vannes et des situations amusantes.

Roman qui fait foirer un lancement de fusée en voulant mettre la pression sur ses équipes dans des délais intenables mais coïncidant avec le mariage de sa sœur, ou le cousin obligé d'aller détruire des dossiers en pleine nuit et qui se doute que Tom veut lui faire à l'envers à terme. Toutes ces idées font tenir la série.

Au bout du compte Succession est un compromis entre l'excellente série culte Profit (la diversité de profils en moins) et Dallas (la famille de riches c'est l'enfer). Assez addictif et surtout doté d'une interprétation qui est le gros gros point fort de la série. Mention spéciale à Brian Cox, Sarah Snook et Kieran Cukin (Roman) et surtout Tom (Matthew Macfadyen). Mais on ne peut s'empêcher de penser que ça aurait pu être encore mieux avec plus de finesse et des personnages plus hétéroclites. Du moins cela peut le devenir en faisant évoluer les personnages vers autre chose que la perversité scatologique liée aux ambitions suprêmes.

Kendall devient vraiment intéressant en saison 2 justement à partir du moment où le drame qu'il vit lors du mariage, lui permet de se délester de toute forme d'ambition de succession. Il se distingue enfin des autres en ayant autre chose comme but que la présidence. Il se pare d'une humanité et d'une fragilité assumée bien trop rare dans cette galerie de personnages. Même si la fin de saison 2 annonce un retour à zéro pour ce personnage.

Succession va devoir évoluer. Une troisième saison où chacun voudrait être calife à la place du calife, et où chacun verrait ses ambitions contrariées serait du surplace vraiment barbant. Il est temps que les créateurs prennent des risques avec leurs personnages. Ils ont tout à y gagner.

Saison 3 & 4

Les deux premières saisons de Succession ronronnaient gentiment, et reposaient sur deux points forts qui n'avaient pas encore été exploités à 100 % : des acteurs supérieurs qui forment le casting le plus impressionnant depuis better call saul, et des dialogues qui font basculer Succession dans la catégorie série comique de génie.

Et si j'avais par le passé des réserves sur la façon dont sont construits (figés ?) les personnages, leurs aspirations peu variées et l'aspect statique général, j'avoue que cette requalification fait s'envoler les griefs posés en début de chronique.

Aurais-je critiqué V.E.E.P parce que Selina n'évolue pas et demeure la même incompétente du début à la fin ? Est-ce que je critiquerais Larry David pour son nombrilisme constant dans Curb you enthusiasm ? Dès lors pourquoi devrais-je en vouloir à Roman de faire des blagues sur la chatte de sa sœur ? Car le point fort de Succession est notamment sa puissance comique vacharde qui explose désormais dans chaque épisode.

Prenons Connor, le frère aîné un peu con qui était effacé au départ et qui apparaissait comme un énième courtisan mou du prestige familial. Il se distingue enfin des autres membres de la fratrie de par son couple avec l'intéressée Holly, et par sa "fantastique" course à la présidence. La relation entre Tom et Greg a toujours été l’Everest comique de Succession, et cette dynamique étrange entre les deux rappelle qu'Armstrong était le fantastique créateur de Peep show, une autre référence de la "bromance" malade. Et que dire de Logan Roy, ce fameux patriarche qui doit autant au requin des dents de la mer qu'au Brando du Parrain. Et Sarah Snook (Shiv), est la meilleure actrice de série de l'année, et peut-être de la décennie - difficile de la départager de Reha Seehorn en tout cas.

L'épisode 3 de la saison 4 mérite d'être célébré par sa réalisation absolument audacieuse qui place le spectateur à la même place que les personnages principaux. Choisir de ne montrer aucun signe avant-coureur du malaise de Roy, comme 100% des autres séries auraient choisi de le faire prend littéralement de cours. Comment ? La mort d'un personnage principal qui n'est pas montrée, et qui filtre à travers les regards perdus et les moments de flottement autour du drame ? Jamais-vu un tel parti-pris dans une série. Voir ces pros de l'infos qui ne savent même pas si leur propre père est mort ou vivant, dépendant des notifications de leur téléphone, et qui ne savent pas s'il a bien entendu leur voix avant de mourir, ces enfants apeurés qui n'arrivent même pas à concevoir qu'il est bien mort malgré l'arrêt des massages cardiaques. Étonnés que leurs prières soient enfin entendues. Quels moments tragi-comiques que ces derniers mots confus maladroitement bafouillés, où se mêlent réconfort de circonstance ("Ça va aller papa."), soulagements, gêne et profonde peine. Roman se demande s'il lui a dit qu'il l'aimait, alors qu'il avait secrètement renoué avec lui, pour trahir la fragile alliance fraternelle. Il y a tant à dire sur cet épisode unique. Son tempo, sa mise en scène, le chaos de cette annonce dans cet événement pathétique que représente le mariage sans amour de Connor. Il y aussi peu d'amour à l'enterrement du vieux (ou alors celui de l'argent). Une qualité d'écriture qui fait défaut aux concurrents (y en a-t-il vraiment ?).

Succession a levé les doutes qui pesaient sur la saison 1 et 2. Il ne repose plus uniquement sur le cynisme à l'endroit de personnages détestables. La série s'est humanisée peu à peu (à la fin de la saison 3 notamment) et a complexifié les rapports. Le panier de crabes est toujours là, c'est encore plus le cas à la chute d'un empire. Mais Roman n'est plus seulement un grossier personnage mais aussi un pauvre gamin en mal d'affection, Shiv n'est pas la femme insensible qui refuse la vie de famille à Tom et Ken... lui ne semble pas avoir beaucoup avancé depuis le premier épisode, ou bien il est arrivé au même point. Après avoir été trahi par son père, il est trahi par le reste de sa famille. Perçu comme celui qui ne sera jamais à la hauteur.

Il faut rendre hommage à la série qui se place en complet contre-courant des tendances de casting et des formatages de productions actuels. 

Le genre "comédie dramatique" a rarement aussi porté son nom. Et une série qui se saborde au moment de son pic de créativité est si rare.

Negreanu
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le 31 mai 2023

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