Noir c'est noir

Autant vous prévenir directement, ici pas de dialogues pathétiques et risibles, pas de scénario catastrophe ni d'intrigue à deux francs. Oubliez Les Frères Scott, Desperate Housewives et les Experts, on est loin du rêve américain: scotchés à la rue, au béton et à cet univers crasseux de la drogue et de la criminalité qu'engendre une société américaine perdue et déboussolée car trop concentrée sur ses hautes sphères. Les scénaristes qui accompagnent David Simon ne sont autres que des sociologues et anthropologues urbains qui ont vécu dans les quartiers de Baltimore, donc ici, pas de cachoteries, ce qui nous est présenté nous confronte à une réalité plus crue de saisons en saisons. On ne peut établir une critique avant d'avoir dévoré les 60 épisodes des 5 saisons de la série qui en fera taire certains et les laissera bouche bée. La manière de filmer est proche de celle utilisée pour les documentaires et les idéologies non-manichéennes nous rapprochent encore plus de la réalité.

Et c'est donc sur des thèmes socio-politiques que la série puise son inspiration. Le premier bon point vient de cette facilité à renouveler les sujets. A chaque saison, son fil de conduite: la première nous montre la bataille entre la police et les gangs, la deuxième sur les contrebandes des employés-syndicalistes du port de Baltimore, la troisième traite des ruses et des crasses politiques, la quatrième nous plonge dans l'univers du système scolaire et la cinquième infiltre le monde de la presse. Tout ça, sans s'écarter de son intrigue, à savoir la criminalité criante des rues d'une ville à 65% afro-américaine.

La deuxième force de la série se trouve dans sa manière délicate et à la fois dure de filmer les différentes tranches de population qui sont toutes en corrélation. Ici le crime n'est pas filmé pour nous choquer et nous montrer du sang (interdiction au moins de 16 ans) mais pour lancer à nos yeux ébahis une hiérarchie puante tant au niveau de la rue que de l'administration. Pour cela, David Simon jette des dizaines de séquences par épisode sur chacun des personnages en respectant l'ordre chronologique. Cela va du petit junkie noir complétement déprimant au Maire de la ville, sénateurs et délégués obsédés par leurs statistiques et montées en grade etc... en passant par les nombreux dealeurs, chefs de gangs, grossistes, fossoyeurs des quartiers, officiers de police, inspecteurs, lieutenants, sergents, colonels, commandants, majors, préfets, divisionnaires, adjoints au Maire, professeurs, Directeurs des écoles, détenus, chefs du syndicats etc...

De plus, on découvrira les difficultés qu'imposent les supérieurs hiérarchiques à leurs enquêteurs pour mener à terme une affaire, les stratégies politiques d'une campagne électorale municipale, les ruses utilisées dans la rue pour vendre de la drogue et en soutirer bénéfice. La précarité et la violence sont plus fortes que jamais dans ces quartiers de Baltimore. Les inégalités sociales nous sautent aux yeux. Pas de méchants, ni de gentils parmis tous ces protagonistes, on trouvera de la tendresse chez un dealeur et criminel alors qu'on aura envie de vomir sur le costume cravate du plus haut gradé du système politique de la ville et inversement. En gros, il y a des abrutis partout: quand un homme tue et deal sans sommation mais aussi quand un flic abuse de son pouvoir traversant les bavures sans aucune honte. Au fond, je pense que les gens ont peur de cette série car elle nous fout au sol et nous y laisse, déprimés, pendant que l'on regarde passer tous ces personnages. Peu s'en sortent, beaucoup ne s'en sortent pas. C'est tout le pessimisme de la série qui a été critiqué par la NBC mais on découvre dérrière toute cette population un humanisme redoutable qui pousse entre les décombres. Une sorte de lumière scintillante dans la pénombre pour vous rappeler qu'il subsiste des gens qui agissent avec leur cœur.