Le poids de la Couronne

Certes, The Crown est une série exemplaire à tous points de vue. L'aspect technique, en tout premier lieu, est admirable. Netflix a fait un pari osé en investissant dans ce qui est devenue sa série la plus chère et n'a en effet pas lésiné sur les moyens. Les décors, les acteurs, la photo, et le soin apporté à chaque détail de manière générale, est bluffant. L'ambition du projet est folle, tant d'un point de vue technique que scénaristique, car en effet, qui eût risqué un penny sur le potentiel de suspense d'une reconstitution du règne de six décennies d'une reine impuissante, pour ne pas dire passablement ennuyeuse? Une fois de plus, Netflix n'a pas froid aux yeux et s'est lancé témérairement dans ce projet que beaucoup ont du laisser choir, à tort, et on ne peut que saluer son succès bien mérité.

Mais la qualité première de The Crown, ou en tous cas, ce qui la rend unique à mon sens, c'est son écriture. Au delà d'être certes d'excellente facture, ni racoleuse, ni poussiéreuse, avec des moments de grâce mis en lumière par la mise en scène accomplie, l'entièreté du projet a été rédigée par le scénariste Peter Morgan, le passioné de la famille royale qui avait déjà écrit The Queen, ce qui lui assure tout d'aord une cohérence de ton appréciable qui manque à certaines séries, mais qui surtout révèle le showrunner né. Le style de Morgan est en effet connu pour sa capacité à mêler au même temps documentaion méticuleuse et concision dramatique, ce qui fait de lui la véritable raison de la réussite de The Crown. Le format de série paraît particulièrement adapté pour retracer une aussi longue période et trouve tout naturellement sa légitimité dans ce cadre, en plus de permettre de s'attarder sur des épisodes de vie qu'un biopic aurait tu, et de placer enfin des enjeux sur la durée.

On a ici les ingrédients pour former un bon mélo-soap royal, voire une bonne série historique. Mais ce qui met The Crown sur un piédestal est son parti d'interpréter son sujet philosophiquement parlant. Car Morgan questionne dans cette série, et fait rare, répond à ses propres interrogations par le prisme de l'Histoire écrite, et dans le système à plusieurs dizaines de millions de dollars de la série, le fait avec une incroyable sincérité et liberté totalement à contre-courant. La place du monarque dans l'humanité y est autant présentée que la plus traditonnelle place de l'humain dans le monarque. Là où on fustige aujourd'hui la place de la religion dans l'amour, Morgan montre la place de l'amour dans la religion. L'héroïne de la série, l'austère Elizabeth II, ne cesse au fil des épisodes de placer le devoir au-delà de des sentiments, et c'est là où on comprend l'intelligence scénaristique de Morgan de faire de ces personnes réelles des personnages de fiction, car The Crown est en réalité une tragédie grecque ou les losers sont ceux qui ont placé passion au-delà de raison. Ainsi, l'oncle d'Elizabeth, le duc de Windsor, Edouard VIII, (le génial Alex Jennings) qui abdiqua afin de pouvoir épouser l'élue de son coeur, l'explique lui-même dans un des passages les plus déchirants de la série, au moment où cette dernière devra choisir entre le rôle de Reine ou de soeur, entre deux sements qu'elle a prêté, celui de préserver les traditions en tant que cheffe de l'Eglise, et celui de préserver sa sororité envers l'autre fille de son père.

Ces dilemnes seront posés tout au long de la série et mettront en péril l'équilibre de la relation qu'entretient la souveraine avec ses proches, à commencer par son mari. Le fait qu'ils aient été réels ne les rend que plus intéressants, ce qui montre que le travail de fictionalisation de Morgan est parfaitement réussi.

D'une manière plus générale, The Crown interroge la notion de greater good, du plus grand bien et la personnifie magistralement.