Lieu commun n°1 : le sexe, ça fait vendre. Lieu commun n°2 : la prostitution déguisée aussi. Lieu commun n°3 : la télé est depuis longtemps un lieu d’expérimentations narratives et visuelles. On s’arrête là pour les banalités, ça m’emmerde déjà. Ce qui est moins emmerdant par contre, c’est ce que The Girlfriend Experience propose depuis deux saisons : une peinture froide et cruelle du sexe. J’aimerai dire que l’adaptation télévisuelle du film de Steven Soderbergh dépasse l’œuvre originale (à vrai dire, c’est le cas). La vraie véritable vérité, c’est que la série The Girlfriend Experience tient désormais plus du film American Psycho de Marry Harron que du film de ce bon vieux Steven.


Tout dans l’esthétique de la série diffusée par Starz rappelle l’adaptation du bouquin de Bret Easton Ellis. Qu’on soit bien d’accord : le film American Psycho est plus que discutable. Cela dit, il est quand même parvenu à instaurer une esthétique tellement sobre que chaque plan invite le spectateur à se demander « Le sol est tellement propre. Y’a moyen que je mange dessus, non ? » Et cette esthétique, elle a eu une influence depuis la sortie du film en 2000 : une influence qui crève une fois le plus l’écran dans les deux saisons anthologiques de The Girlfriend Experience.


Les décors sont immenses, vides. Les plans larges. Les cadres systématiquement symétriques. Les couleurs neutres. On se croirait dans une foutue salle d’opération à chaque épisode. C’est un parti pris qui fait de la série une œuvre à part entière à la télévision. C’est aussi un moyen esthétique d’enlever toute dimension romantique à la sexualité. Parce que du sexe, il y en a à foison, et il aurait été quelque peu hypocrite et mensonger de passer à côté de cette dimension, sachant que la série s’attarde justement sur des escort girls qui donnent physiquement de leur personne…


C’est cru, la série ne s’interdit rien et propose des scènes qui frôlent très souvent avec l’explicite, mais là n’est pas l’intérêt. Ce qu’il y a vraiment de marquant, c’est la manière qu’a la série de traiter la sexualité et de désamorcer tout ce qui pourrait devenir excitant, justement par son esthétisme. Le sexe est un moyen pour les escort girls (se faire du pognon et une place dans la société), une fin pour les clients (se vider ou combler un vide affectif). Toute cette mécanique devient gênante, ce qui garantit à The Girlfriend Experience de ne jamais tomber dans le voyeurisme. La saison 2 excelle justement dans ce domaine : les scènes charnelles sont omniprésentes, longues, pour ne pas dire interminables, mais on comprend immédiatement l’idée derrière ce choix artistique : le sexe a ses raisons que le cœur ignore.


Malheureusement, la série a quelque peu perdu de son charme lors de sa deuxième saison. La faute (en partie) à l’absence de Shane Carruth, compositeur musical (et aussi réalisateur adoubé par Soderbergh) de la première anthologie, qui était parvenu à donner une véritable identité sonore à la série. C’est peut-être un choix artistique (j'en doute), mais c’est surtout l’occasion de se rendre compte à quel point ce mec a du talent et qu’il n’est définitivement pas assez productif. Il faut aussi avouer que le trio de la saison 2 n’est pas aussi puissant que Riley Keough, qui portait les premiers épisodes sur ses épaules. Ça ne change rien à un fait qui est indiscutable : quelques minutes auront suffi à la série pour éclipser le film de Soderbergh.


Note :
C’est pas que du cul /10


Pourquoi la première saison plutôt que la seconde ?
L’unité de la première saison écrase la seconde saison, qui a choisi de diviser son intrigue entre trois personnages. Je n’ai toujours pas compris quel était l’objectif derrière cette idée qui, à mon humble avis, dilue un peu l’intérêt du show.


Pourquoi Shane Carruth mérite-t-il votre curiosité ?
Shane Carruth, c’est aussi le réalisateur, le producteur, le scénariste, le compositeur et l’acteur principal de longs-métrages qui méritent qu’on s’attarde dessus : Primer et Upstream Color. C’est fait avec les moyens du bord, ce n’est pas parfait, mais ça vaut clairement le coup d’œil !


Pourquoi c’est à nouveau un exemple d’unité visuelle ?

Lodge Kerrigan et Amy Seimetz sont derrière la caméra depuis le début, et bordel que ça se ressent ! Quand Steven Soderbergh réalise entièrement la série The Knick, ça se ressent. Quand Cary Joji Fukunaga réalise la première saison de True Detective, ça se ressent. Conclusion ? Filez la réalisation de vos séries à des réalisateurs ou des duos de réalisateurs : le monde ne pourra que mieux s'en porter.

Jonathan_McNulty
7

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le 13 janv. 2018

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