The Handmaid's Tale, la nouvelle série à la mode adaptée du roman éponyme de Margaret Atwood, cherche à dépeindre une société totalitaire où les femmes ne seraient relayées qu'au rang de « pondeuses » ou de femmes au foyer, suite à la baisse catastrophique de la natalité aux Etats-Unis (elle même due à des problèmes de fertilité causés par la dégradation de l'environnement).


A mon sens, une telle œuvre ne peut envisager côtoyer les sommets de 1984 ou Le Meilleur des Mondes qu'au prix d'une rigueur absolue dans la description du monde dystopique qu'elle veut nous présenter. Elle se doit d'éviter toute forme de manichéisme, de décrire le système qu'elle présente avec une précision et un réalisme sans failles, et si elle est contemporaine, elle se doit de faire la liaison de manière convenable entre notre réalité et la dictature à venir, afin que le spectateur puisse imaginer qu'une telle dérive soit possible. Malheureusement, The Handmaid's Tale pêche sur tous ces points.


Si en surface la condition des femmes dans la série se justifie par l'infertilité de la majorité de la population, très vite des questions se posent : pourquoi, si l'objectif est la survie de l'espèce, la tâche de procréer est-elle réservée aux Commandants, certains étant eux-même infertiles ? Pourquoi les autres hommes fertiles ne procréent-ils pas? Pourquoi toutes les femmes, même infertiles, sont réquisitionnées, alors qu'on ne sait rien des hommes lambda infertiles ?


A travers ces questions sans réponses, il apparaît un travers fondamental de la série : en se plaçant presque uniquement du point de vue des femmes pour dénoncer le système, elle finit par ne montrer presque que cela, le peu d'hommes se divisant en méchants Commandants, brigades de surveillances et rebelles gentils exilés au Canada. Finalement seuls les destins des femmes et des puissants hommes de ce monde sont abordés. Ce choix a pour conséquence que la série se caricature elle même, et la profondeur qu'elle semblait instaurer s'étiole vite, au profit d'un message trop simple et trop cliché : celui qu'au fond, le patriarcat c'est mal, et que les femmes en souffrent.


Entendons-nous bien, je suis pas en train de regretter que l'on n'ait pas instauré un quota d'hommes dans la série. Mais en choisissant de se placer presque exclusivement du point de vue des femmes, le propos de la série en devient totalement caricatural, et peu réaliste : ce que l'on voit à l'écran consiste simplement à décrire comment les femmes sont dominées par « les » hommes, sans plus de détails sur pourquoi, comment, où sont les oppresseurs, où sont les hommes normaux. Ce système dénoncé, ce n'est que le patriarcat pour le patriarcat, sans plus de subtilité. Pourquoi, comment, tout cela est secondaire.


D'autres travers du récit renforcent la caricature : les flash-backs de la vie de June, qui auraient pu servir à détailler le contexte politico-social qui a mené à la dictature, ne servent finalement que de repères pour constater le contraste entre la vie, libre et belle, d'avant, et celle d'après. Même lorsque les premiers signes du coup d'état apparaissent (par exemple June et ses collègues virées de leur job), ces flash-backs restent très superficiels, ne font que montrer le point de vue des citoyens (ou plutôt citoyennes) sans détailler le pourquoi. La voix off de June, la narration très lente, la fin cliché au possible, accentuent encore la caricature.


L'impression globale que m'a laissé The Handmaid's Tale est finalement celle d'une série qui s'écoute parler, fière de proposer un contenu politiquement correct sans prendre le temps de justifier suffisamment ses idées. Les pensées à l'eau de rose de June, l'absence de réflexion sur les causes (liens entre environnement, capitalisme et mœurs libérales par exemple?), le besoin constant de montrer que oui, les femmes sont aussi (voire plus) intelligentes que les hommes, me confortent dans l'idée que les auteurs étaient plus intéressés par le propos féministe de leur travail que par sa consistance et sa pertinence.


Soulignons quand même, pour terminer, quelques points forts de l'oeuvre : la très bonne performance d'Ann Dowd (Tante Lydia), déjà vue dans The Leftovers, toujours aussi bonne dans ce genre de rôles, ainsi que celle de Yvonne Strahovski (Serena), un des personnages les plus intéressants de la série à mon sens. Bien que la série traîne beaucoup en longueur, elle contient quand même de nombreux passages forts en émotion (sans spoiler, épisodes 1 et 3 par exemple) et une esthétique plutôt réussie. Ces points ne suffisent cependant pas à contrebalancer le propos trop peu développé pour une série avec de telles ambitions.

Armadeon
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le 16 oct. 2017

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