Dans une baignoire dont la température monte graduellement, vous allez mourir par ébouillantage avant de vous en apercevoir.
Métaphore imparable pour ce qui suivra.


On peut dire au moins que l’ouvrage de 1985 tombe bien à propos et que l‘auteur de La servante écarlate, Margaret Atwood, nous aura donné comme un écho inquiétant et pourtant on en est là : Les manipulations sournoises, acceptées comme de bien entendu, qui pour l’instant nous donnent un semblant de liberté alors même que nous sommes assujettis à une société nous rendant esclaves.
Alors la suite est à venir avec cette série et peut paraître totalement évidente. Ici ce sont les femmes qui subissent mais cela pourrait être par exemple, les plus de 62 ans, en retraite qui coûtent à la société. On les parquerait dans une zone (pour un nouveau District 9) et si on pouvait vivre mieux avec ça...on dirait oui. Qui sait ? Je pourrais prendre l'exemple des animaux mais tout le monde s'en fout...justement.


Revenons à notre série. Bruce Miller et Reed Morano, adaptent cette première saison avec une certaine réussite.
La réalisation, tendue, jouant sur les espaces confinées, les gros plans sur des visages inquiets voire grimaçants, se dotant de quelques images aux ralentis de toute beauté nous plongent dans une sorte de situation surnaturelle, parfaits pour cette ambiance oppressante, accordant le flou aux personnages pour un danger permanent.
La réussite viendra aussi de ses acteurs, on remarque particulièrement Nick (Max Minghella) qui sans presque bouger un cil nous transmet toutes ses émotions et nous offre avec Offred de beaux moments emprunts de passion salvatrice.
On retrouve (Ann Dowd - The leftovers) oscillant entre relative bienveillance et humiliation bénie du Seigneur. Tante Lydia de son doux nom, joue de la manipulation pour faire subir toutes sortes de tortures aux récalcitrantes.
Et bien sûr l’actrice à laquelle la série s’attarde, Offred (Elisabeth Moss, Top of the lake) excellente elle aussi (mais qui parfois peut agacer avec son air satisfait, alors qu'il n'y a franchement pas de raison). C’est l’héroïne et ce sont les clichés pour un personnage qui ne subit finalement jamais le pire (en comparaison de ses comparses, j’entends) et qui s’en sort toujours.


Tout n’est donc pas réussi, notamment dans la caractérisation de certains personnages un peu poussive, des situations pour le moins improbables pour faire tenir le suspense, ou une temporalité maladroite nous laissant perplexe sur l’acceptation aussi rapide d’un tel changement sans vraie réaction.
Des flashback parfois accessoires nous ramenant nos protagonistes dans leur « vie d’avant », sans pour autant que cela serve le propos.
On peut en effet s’imaginer qu’on est bien mieux à boire un verre de vin dehors avec ses amis que là où l'intrigue nous emmène...Et où les flashback concernant les seconds rôles, ne poussent pas bien loin la caractérisation.
A voir en saison 2.


Quelques fautes de goûts régulières ponctuent cette série à visée féministe (avec cette phrase : vous êtes jolie...merci, et le sourire de celle qui reçoit le compliment, on reste pantois au vu de la situation). Comment réagir positivement comme une femme désirée dans cette société ? alors même que ce désir conduira à multiples violences…
Le manque de réflexion aussi peut laisser perplexe, car si il est question de la volonté de Dieu on s'attend tout de même à un approfondissement des causes et à une raison suffisante pour ancrer le récit dans un nouvel ordre religieux.
Et toutes les possibilités avortées. Les femmes sont virées de leur poste, tout simplement et tout aussi soudainement.... et elles rentrent chez elles,.../... Elles auront leur compte en banque gelé (?) qui devra être géré désormais par un homme. Un des maris dira, ce qui révèle toute l’impuissance mais aussi l’acceptation de tout et n’importe quoi : « je prendrais soin de toi »..tout est dit...même nos compagnons ne comprennent rien.
Et surtout, à savoir si l’excès des comportements sert à appuyer les multiples contradictions ou à insister lourdement pour bien nous faire comprendre…


Mais on reste intéressé par la fiction, et celle-ci joue habilement sur le malaise et l’agacement.


La narration sait se faire plaisante avec en décalage de l’horreur, le monologue intérieur d’Offred, particulièrement fleuri est jouissif, comme un défouloir bien venu, appuyant le fait que même si le physique est retenu l’esprit, lui, fonctionne encore et qu’il y a de l’espoir pour le combat à venir…Un parti pris qui permet de mieux nous identifier.


L’ensemble révèle il est certain, notre possible acceptation d’un tel état de fait malgré le caractère pour le moins irréaliste. Mais sommes nous vraiment solidaires ? Que ferions nous ? Ici ou ailleurs. Il existe encore nombre de pays qui bafouent les droits fondamentaux de l’homme. Dictature, privation de liberté, spoliation de terres, emprisonnement, assassinats, excision, lapidation…
Pierre Sérisier, dans un article pour Le Monde des séries, nous dira« Il ne s’agit que d’un hasard du calendrier, mais la sortie de cette adaptation prend une pertinence inattendue aux États-Unis depuis l’élection de Donald Trump. On ne reviendra pas sur ses remarques sexistes, sur la manière dont le président parle des femmes, ni sur son goût pour les démonstrations de sa propre masculinité : les photos du milliardaire assis dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche entouré par une cohorte de sbires en cravate ont fait le tour du monde. »
Cet exemple somme toute banal, est bien un des plus dangereux à laisser faire et dire.


On remarque bien sûr les épouses, complices des actes de leurs maris, croyant elles-mêmes avoir le pouvoir en appuyant la société patriarcale. L’exemple de Serena Joy Waterford (Yvonne Strahovski) qui aura participé à tous les textes de privation diverses et variées avant d’être reléguée à domicile. Les premiers enfants des servantes enlevés, leurs maris tués, pas de lecture ni d’écriture, port de l'uniforme, visage caché...l'attente constante aux bons vouloirs des hôtes...et pas de sexe en dehors de celui autorisé pour les commandants, qui parviennent de fait à tromper leur épouse avec la bénédiction de Dieu.


Avec tout au long de l’intrigue des scènes plaçant les servantes en complices des actes de torture, pour une manipulation à les contenir, des plus odieuse. Ou cette façon de les intégrer à leur propre viol comme un acte des plus valorisants. Le tout en transférant les responsabilités. Le pouvoir de l’homme sur la vie et les femmes par peur de la perte de leur virilité et de leur pouvoir, est sûrement le point clé de l’intrigue.


Les femmes sont responsables de ce chaos par une trop grande liberté qui le leur aura été accordée (!) et le nouveau gouvernement en place, qui souhaite le bonheur de tous, décidera de nous ramener dans le droit chemin, par la force, celui de la procréation et de la soumission à l’homme. Où les mutilations sont justifiées par des versets (sataniques?) et par un comité fait d’hommes nommé humblement «Les fils de Jacob » tout autant rigide que pervers dans tous les sens du terme. L’homme ne change pas. Il adaptera et contournera les lois à son profit. Un bel exemple avec le commandant Fred Waterford (excellent encore Joseph Fiennes).


La société patriarcale démontrée a une forte résonnance ne serait-ce que dans le milieu du travail et nous démontre l’hypocrisie de notre propre société sur la place des femmes et globalement sur la place de l’être humain.


Série d’alarme quand on sait que nos acquis peuvent être balayés en un tour de main.
Simone de Beauvoir ne disait-elle pas :
N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis.

limma
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le 23 avr. 2018

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