On l’appelle l’ironie du sort, ces moments où le destin provoque des coïncidences telles des pieds de nez au déroulement de l’Histoire. The Honourable Woman, série britannique frontalement la question israëlo-palestinienne, a vu sa diffusion débuter au moment même où l’état d’Israël entamait ce qui restera comme une de ses plus grosses incursions dans les territoires palestiniens. Sans lui avoir donné un écho supplémentaire, c’est un supplément de sens et de lisibilité que cette « concordance des temps » a offert à une série qui disposait déjà d’une force peu commune. Ou plutôt d’une série de forces, de celles qui malmènent le spectateur entre violence, drame et parfois même…un brin d’humour, puisqu’il ne faut pas l’oublier, les Britanniques sont les inventeurs de l’humour…

La force d’une histoire en premier lieu, une histoire qui ne prend pas parti, l’histoire d’une série qui s’ouvre sur un meurtre froid et sanglant, l’histoire d’une juive digne, qui transforme l’entreprise paternelle de vente d’armes israëliennes, en fondation vouée à la création de ponts entre les deux territoires : ponts de communication par l’installation de la fibre optique, mais aussi ponts éducatifs, par l’érection d’une université israëlo-palestinienne. Histoire d’espionnage également, avec la mise sur écoute des deux territoires par les grandes puissances, histoire d’espions qui se surveillent et se manipulent les uns les autres, description d’un monde et d’un conflit dangereux, où chacun est tout à la fois manipulé et manipulateur. Un monde où tous les gestes et aspects de la vie quotidienne deviennent plus compliqués qu’ailleurs, où exister revêt un stress supplémentaire, où la méfiance et la prudence deviennent des gages de survie. Histoire d’une question, LA question de ce conflit : la paix a-t-elle un prix ? Histoire d’un complot finalement, un complot qui s’installe sur huit ans et implique des protagonistes de plusieurs nationalités et qui, au final, auraient presque pu avoir de louables intentions.

La force de la mise en scène ensuite, une mise en scène posée et à l’exigence esthétique digne du charme aristocratique de cette langue anglaise, que seuls les britanniques savent si bien parler. Une mise en scène qui réduit un peu plus les frontières entre le grand cinéma et la grande télévision, qui fait de l’image, du mouvement, de la lumière, du décor et de la couleur, des outils narratifs aussi importants que les dialogues et le scénario. Une mise en scène qui n’épargne rien au téléspectateur, qu’il s’agisse de la pauvreté et du dénuement dans lesquels vivent les territoires palestiniens, de la violence abjecte d’un conflit qui nous fera honte d’ici peu, qu’il s’agisse aussi des sentiments, si contradictoires, que peu générer un tel bourbier géopolitique. Les sentiments de personnages pris entre deux feux, dès qu’il s’agit d’œuvrer pour la paix et qui nous font admirablement comprendre que, de fait, bien peu d’habitants semblent la vouloir cette paix, les deux territoires semblant destinés à se consumer peu à peu dans le cycle infernal de la vengeance.

La force des interprètes enfin, habités et investis étant des thermes bien peu à la hauteur des qualités formidables de leurs différents jeux. Tous sans exception sont stupéfiants de crédibilité, qu’il s’agisse de Lubna Azabal (une des principales interprètes d’Incendies de Denis Villeneuve) ou de Lindsay Duncan (vue récemment dans Il était Temps). Mais s’il fallait n’en retenir que deux, il y aurait Maggie Gyllenhaal (la sœur de Jake), qui prend ici une dimension que sa carrière ne lui avait jusque là pas apportée. Elle transpire la classe, le charme et la force d’une actrice habitée et impliquée car de confession juive, il ne s’agissait peut-être pas là d’un impératif, mais nul doute que cela a apporté à l’impact que le scénario a pu avoir sur elle. Puis il y a Stephen Rea, à la filmographie si peu reluisante jusqu’alors, mais au talent pourtant tellement grand. Stephen Rea est ici le flegme incarné, trainant au fil des épisodes une tête de Droopy des grands jours, mais jamais avare d’un trait d’humour cynique et décalé, digne de cet humour british tellement particulier mais oh combien efficace. Pour faire simple, au long des huit épisodes, il est en tout point parfait.

On en a aujourd’hui la conviction, le modèle obsolète des séries s’étalant sur toute une année a vécu et The Honourable Woman vient enfoncer le clou. Série de huit épisodes en une seule saison, puisque l’histoire est terminée (et que les audiences n’ont peut-être pas été celles espérées par la B.B.C., pourtant selon The Guardian, elle serait la meilleure série des dernières années), elle marque l’été 2014 de son empreinte, une empreinte faite de la violence des convictions et peut-être aussi de la foi, une empreinte que l’on prend en pleine figure comme celle de la rangers d’un soldat de Tsahal. The Honourable Woman ménage ses effets au-delà de tout manichéisme ou parti-pris, commençant sur une introduction d’une lenteur qui en rebutera plus d’un, pour accélérer peu à peu, maniant habilement flashback et flashforward, pour finir sur deux épisodes en apothéose et pleins d’une tension qui soumet les nerfs à une épreuve insoutenable. Indiscutablement une grande série, suffisamment en tout cas pour que Canal + se donne les moyens de l’acheter et de la diffuser sous peu.
Jambalaya
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le 6 sept. 2014

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