The Knick
7.7
The Knick

Série Cinemax (2014)

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Saison 1.


 The Knick, la nouvelle série médicale 2014, prend acte sur la chaîne Cinemax, petite soeur de Hbo, offrant dix épisodes, tous réalisés par Steven Soderbergh, suivant majoritairement John Thackery chirurgien en chef en charge du Knickerbocker.
C’est une franche réussite, qui s’est imposée à moi progressivement. Une réussite dont on pourrait aisément s’en tenir qu’à cette première saison qu’elle serait déjà d’une grande richesse, une reconstitution méticuleuse, une narration d’une limpidité exemplaire, une élégance de mise en scène, brassant de multiples vieilles thématiques qui se croisent brillamment : Problèmes socio-économiques, racisme, savoir-faire médical archaïque, addiction à la drogue, amour impossible, filiation spirituelle.
Tout se déroule au début du siècle dernier, dans un hôpital new-yorkais tandis que les soins sont encore au stade relativement primitif – Médecine pré antibiotiques, hygiène douteuse, zéro transfusion, absence de groupe sanguin, une époque où la cocaïne est un anesthésiant vendu librement en pharmacie – et la recherche en plein boom, alors encore sans aucun souci d’éventuelles conséquences désastreuses – Les rayons X. C’est une fresque somptueuse. Sorte de Deadwood hospitalier. Un document sans concession. Méningite d’une enfant, avortement clandestin, césariennes foirées, la série ne nous épargne rien. L’ambiance est très sombre, que l’on soit dans les rues new-yorkaises, les appartements de chacun, les couloirs de l’hôpital. Seule une pièce, plus lumineuse, mais forcément plus terrifiante sort de ce cadre c’est évidemment cette immense salle de chirurgie.
La série multiplie les personnages en leur offrant à chacun une épaisseur, une dimension tragique. Et plus particulièrement trois médecins. Le Dr John Thackery, médecin virtuose nommé chef du service de chirurgie, qui brille sous l’emprise de cocaïne. Il y a le Dr Everett Gallinger qui le supplante en bras droit suranné, sans affect. Ils sont bientôt rejoints par le Dr Algernon Edwards, arrivé d’Europe, médecin noir et nouveau génie que l’on ne veut pas reconnaître, combattant les préjugés raciaux imposés par la profession en générale et une population locale majoritairement blanche et raciste.
The Knick démarre dans une froideur clinique telle qu’elle déroute presque jusqu’à l’antipathie, multipliant les opérations chirurgicales – le premier épisode est vraiment trash – devant une estrade de chercheurs et appuyant chaque séquence permettant de saisir les inégalités sociales de l’époque. Là-dessus rien n’est fait pour séduire, c’est un New York débarrassé de ses attraits romanesques. Il faut bien quatre épisodes pour que ça se décante ouvertement et sorte de sa torpeur néanmoins magnifique – Deadwood m’avait cueilli de manière similaire, je me souviens. Tout s’illumine alors au détour d’une fin d’épisode 5 détachée (le vélo) et d’un épisode 7 hallucinant. Là on se dit Whaou. Thackery, autant que la série, devient peu à peu attachant et bouleversant. Clive Owen est immense, à ce titre.
C’est alors que ça se resserre imperceptiblement, tout est plus intime, tout en continuant d’être un beau document sur l’Amérique de l’immigration noire et des inventions les plus folles. On y croise brièvement Thomas Edison présentant son phonographe. On y voit aussi l’apparition des premières radiographies. Ainsi qu’une première opération réussie de l’appendice par ablation. L’éclosion des greffes – de nez en l’occurrence – pour ainsi dire calamiteuses. C’est très beau car tous ces marqueurs d’époque se fondent dans un ensemble, et ne sont jamais clinquants ou poseurs.
L’ultime épisode est un chef d’oeuvre à lui seul. Bouclant d’une part brillamment les storylines en cours et en centrant son écriture sur le sang, dénominateur commun de la série, inéluctablement, trouvant ici l’apothéose thématique et ironique aussi bien dans les avancées sur les groupes sanguins, le marché sanguinaire avec Wu (Personnage clairement échappé de Deadwood, jusqu’à son nom) ainsi que la dépendance maladive de Thackery qui ira jusqu’à tuer une petite fille en croyant la sauver d’une anémie, au moyen d’une transfusion ratée. Dans les dernières séquences, l’hôpital semble être sur le point de fermer ses portes. Et Thackery est pris en cure de désintoxication, où sa dépendance à la cocaïne est prise en charge par un nouveau traitement à base d’Héroïne. Putain de dernier plan. Et vivement la suite.

Saison 2.


Voici dix nouveaux épisodes tous réalisés par Steven Soderbergh. Et ça a son importance tant cela crée une unité d’ensemble, un dosage parfait. On a pu le constater avec la première saison de True detective ainsi qu’avec la récente création de David Simon, une bonne série n’est pas qu’affaire de bon showrunner. Lorsqu’un seul réalisateur s’y colle entièrement ça se sent.


 La série reprend là où elle s’était arrêtée et creuse à nouveau chacun de ses personnages majeurs qui apparaissaient déjà dans la saison introductive : John Thackery, en cure de désintoxication, qui se venge sur l’héroïne, ce qui conduit Algie Edwards à le remplacer au poste de chef de chirurgie, ce qui n’est pas du goût de Gallinger qui va enlever « Thack » et le ramener au Knick à sa manière. Trois personnages phares, complémentaires et contradictoires, acteurs de l’Histoire, révélateurs de l’époque.
Et puis il y a ceux plus secondaires que la série va prendre grand soin à fouiller de fond en comble : Lucy et sa relation avec son père, pasteur de retour à New York, dont elle suit le prêche avant de se confesser et d’en encaisser les coups ainsi que son rapprochement avec Henry Robertson. Barrow et les pots-de-vin que lui procure la construction du nouvel établissement ainsi que son entichement pour une prostituée dont il décide qu’elle sera la nouvelle femme de sa vie. Soeur Harriet et son mis au ban suite à son importance dans les avortements clandestins, avant d’y voir sa relation avec Cleary, l’ambulancier attitré du Knickerbocker.
La série multiplie les chassés croisés entre le quotidien de l’hôpital, les grandes discussions autour de son éventuel rachat, sa délocalisation prochaine, la dépendance et la folie de Thackery (Clive Owen est décidément un acteur incroyable), la montée de l’eugénisme (Et la stérilisation des immigrés), les inventions médicales (Rachianesthésie) et toutes les autres (La naissance du cinéma, de la psychanalyse) et poursuit brillamment les interactions entre les personnages, surtout entre Edwards et Gallinger, brosse des portraits personnels profonds de chacun d’eux.
Certains épisodes se concentrent sur des intrigues parallèles passionnantes et parfois très émouvantes. C’est le cas de ces soeurs siamoises, qui appartiennent à un sale type qui en a fait des bêtes de foire, que Tackery va rencontrer et aider, moins par altruisme que pour s’offrir un défi supplémentaire en leur offrant de quoi les séparer – Ce plan qui les voit marcher chacune de leur côté avec difficulté mais avec le plaisir affiché d’un enfant qui fait ses premier pas, le regard méfiant et émerveillé, est d’une beauté folle. Il y a le nez d’Abigail et cette syphilis (qui s’est à nouveau détériorée à cause d’une bague en toc en guise de greffe) que Thack tente d’abord de guérir en lui faisant choper le paludisme de manière à ce que la forte fièvre tue la première maladie, avant de traiter la seconde. Ici le morphinomane, crâne béant (Séquence devant laquelle il est difficile de ne pas détourner les yeux). Bertie qui après s’être fait un petit séjour à l’hôpital juif du Mont Sinaï, revient avec une obsession pour les sauvetages en dernier recours à base d’adrénaline et essaie de mettre en place les recherches de Pierre Curie pour soigner les cancer par radiothérapie. Là l’explosion dans le chantier du métro rappelle ce que pouvait être les gros rush d’Urgences, les jours d’accident.
L’épisode 9 sublime s’ouvre et se ferme au Nicaragua par la rencontre entre Thackery et Robertson et crée un troublant parallèle entre les relations avec les pères : Le parricide de Lucy Elkins d’un côté (couronné par un monologue absolument sidérant de la belle Eve Hewson), le suicide du père Robertson de l’autre, dans les flammes du futur nouveau Knick. C’est riche et passionnant à tous les niveaux.
Dans la première saison, le score de Cliff Martinez qui faisait très post Drive me dérangeait un peu dans la mesure où il appuyait l’anachronisme, jouait la carte de la sensation. Dans cette seconde salve, je le trouve enfin en phase avec le récit et la forme, plus discret tout en restant marqué au sein de chaque épisode, mais plus puissant dès que retentit le générique final de ces dix épisodes. Comme pour Soderbergh à la réalisation, l’homogénéité de la bande-son accentue la cohésion et la continuité.
Si ma réserve cette fois tournait au début sur les couleurs (du bon gros filtre bleu, froid, écarlate) lors des scènes extérieures – C’était déjà le bémol que j’avais soulevé après avoir découvert le très beau Magic Mike – je ne le ressens plus dès l’instant que le récit et ses multiples strates se sont mises en route.
En un sens je retrouve ce qui me séduisait dans une série comme Deadwood, cette sensation du zéro compromis (jusqu’aux personnages, dont les caractères sont nuancés au point de mêler d’une séquence à l’autre identification et rejet), d’être face à quelque chose en marge, qui se construit moins sur ce qu’on attend de lui, que sur une volonté de foncer, agrémenter, enrichir un récit déjà bien dense et complexe.
Même quand il est prévisible, à l’image du retour de cure de Thackery, on ne sait pas non plus où le récit nous emmène. Ça foisonnait déjà l’an passé mais il me semble qu’on a franchit un nouveau cap ici. J’ai l’impression d’être passé à côté de plein de choses, l’impression que je pourrais aisément tout me relancer et découvrir des éléments nouveaux.
Les dernières minutes du dernier épisode sont monstrueuses. Frustrantes mais démentes. Je n’en dis pas plus. De toute façon c’est ouvert. On peut tout faire avec une fin pareille. Ou ne rien faire justement (que ça me conviendrait largement) c’est ce qui est beau.
JanosValuska
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le 19 janv. 2015

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JanosValuska

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