The Witcher
6.3
The Witcher

Série Netflix (2019)

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Avant toute chose, il s'agit de comprendre ce qui se cache derrière The Witcher de Netflix. Déjà il faut noter que la série n’est pas canonique, ni par rapport aux livres ni par rapport aux jeux vidéo, qui d’ailleurs entre eux peuvent être acceptés comme canoniques, un détail sympa.

The Witcher ce n’est pas tant l’adaptation des livres qu’une vision parallèle de ceux-ci. Bien que l’on retrouvera beaucoup de similitudes - et on va en reparler - avec les livres d’Andrzej Sapkowski on ne nous raconte pas la même histoire, ne vous y méprenez pas. Quand je dis cela, ce n’est pas pour prendre à défaut la série, j’ai beau adorer les livres comme les jeux, je ne lui demande pas d’en suivre l’intrigue ni même d’en respecter totalement la mythologie.

Seulement même si sur le papier on aurait pu penser que n’avoir aucun lien avec ses maîtres aurait pu permettre à la série de s’émanciper, il n’en est rien. Elle ne fera que re-raconter, et évidemment mal, parce que pourquoi faire différent quand on peut faire la même chose en moins bien finalement !

Par exemple, le première épisode est repris en grande partie de la nouvelle “le moindre mal” tirée du tome de nouvelles “Le Dernier voeu”. Une des moins bonnes des deux tomes de nouvelles mais passons. Exactement tous les points d’intrigues y sont récités, resucés et vidés de leurs substances. C’est la même sans la violence de la foule, sans drame, sans la tension sexuelle palpable qui là est amenée comme on pose une enclume sur une table en verre. Même la chorégraphie du combat est repris du livre, c’est dingue ! Sauf que dans le bouquin y’a pas d'acteur pour jouer comme des patates, des dialogues expéditifs, des personnages qui s’exclament façon “je suis en train d’exposer les enjeux, ceci est une remarque vous permettant, cher spectateur, de cerner ma personnalité ainsi que mon passif”, en fait c’est pas aussi mal écrit, alors même qu’on nous y raconte LA MÊME CHOSE.

Certains ont l’air de trouver cela respectueux mais filmer des bouts de livre n’est pas respecter le livre. Le problème dans cette nouvelle version du “le moindre mal” c’est qu’on a juste dépouillé le récit de base.

D’ailleurs les longueurs, parlons en. La série, pour une raison qui m'échappe, use d’un montage totalement aux fraises pour se “dynamiser”, offrant parfois des pures visions d’horreurs comme des cut… suivis du même plan. Des enfants lancent des osselets - cut - un autre lancer - cut - un autre lancer… C’est immonde et incompréhensible. Pourquoi avoir monté la scène comme ça ? Pour gagner 10 secondes sur le montage final ? Cela dessert le rythme global, l’épisode donnant l’impression d’aller à 100 à l’heure - on s’emmerde sec cela dit -. Sauf que prendre son temps, c’est aussi poser les bons enjeux, instaurer de la tension, des relations, creuser des personnages… On pose une ambiance, on n’en bazarde pas une. En reprenant la scène des osselets, n’aurait-elle pas simplement été meilleure si on avait laissé à la séquence une petite minute sans coupe pour s'épanouir ? Les cavaliers seraient alors arrivés, disant à la reine de rentrer, la déception en aurait été que plus grande, et on aurait presque pu appeler ça "essayer de faire un truc qui se tient".

Tant qu’à être au rang des considérations techniques, et sans aborder la mise en scène d’une indigence rare, notons le travail sur l’étalonnage et le numérique. C’est de la Dark Fantasy ? Bon bah alors c’est tout gris verdâtre. Je me moque, mais le problème vient surtout du fait que la couche de post-traitement est hyper visible et qu'il est impossible de l’oublier. C’est un peu comme les effets numériques pour la plupart fauchés, qui viennent encore accentuer le côté fan-made. En fait c’est ça, le rendu de l’image fait très “fan-made” et avec ses couleurs et son numérique baveux. Il y a quelque chose d'irréel, irréel et sans poids, comme si rien n’existait au-delà du cadre. C’est incroyable qu’un univers aussi réaliste soit aussi peu consistant une fois mis à l’écran. Pour continuer à lui lancer des cacahuètes, j’ajouterais que des gens de goût ont cru bon de mettre un léger flou en bas et en haut de l’écran sur certaines scènes avec Geralt. C’est le carnaval des effets cheaps de ce genre.

Je comprends la limitation de moyens - surtout que vu le non jeu d’Henry Cavill, ça aurait été dommage de s’en couper - mais alors pourquoi décider de coller à l’histoire des livres si on a pas la tune pour les mettre à l’écran ? La grosse méchante bébête des 5 premières minutes était-elle un impératif ? Et enfin, est-ce que filmer dans une vraie forêt coûte si cher que cela ?

Avant de clôturer, j’aimerais peut-être revenir à l’écriture et au casting.

Déjà, la charte éditoriale de Netflix fait ici quelques fausses notes. La façon dont les "minorités raciales" sont saupoudrés aléatoirement sur le casting façon parmesan est vraiment pas très élégant, et jure un peu avec l'univers adapté et la toile thématique sur les discriminations. C'est Sex Academy (ce qui est ok dans Sex Academy), mais dans The Witcher et ça ne fonctionne pas. Le cosmopolite médiéval ne fonctionne pas.

The Witcher, ce n’est pas de la High Fantasy non plus en plus, c'est assez ancré dans ses origines polonaises et relativement terre à terre dans son settings pour le genre (c’est là son charme, je pense), lorgnant souvent du côté du compte médiéval, d’autant sur certains des éléments adaptés depuis les deux tomes de nouvelles. Pourquoi s’emmerder à faire du The Witcher en fait ? (au-delà de la licence et surfer sur GOT)

Surtout qu’à côté, les Nilfgaardiens venus du Sud, à la peau presque “dorée” contrairement aux Nordiens, se retrouvent ici avec des allures de Nazi. D’un peuple décrit comme distingué, on nous donne la représentation d’une bande d’orcs, bruyants et débiles. Puis au final, sur la "représentation" des corps, la série nous ressuce les pires archétypes de beauté, c'est de la fantasy de gens beaux (reproche qu'on pourrait faire dans certaine mesure à The witcher 3). Rien que le look de Ciri, beaucoup plus féminine que ce qui peut trouver dans la description des livres, c’est juste "jeuneActriceMignonne.exe”, on s’emmerde quoi. Le casting entier est distribué de façon inconséquente et aléatoire, basique et prévisiblement plat, c’est vraiment le cliché de la prod “Netflix” nul qui coche les cases.

Autre de mes petits tracas, la “Capture” Ciri, sa fuite de Cintra et la représentation de violence. je risque encore de faire grincer des dents certains, mais comprenez moi, si la série a décidé de nous conter la même l’histoire que les livres, forcément je vais comparer, c’est logique. Donc, dans les livres le Sac de Cintra, la fuite de Ciri et sa capture par Cahir, c’est très violent, tellement violent que durant longtemps, ça va être un lourd traumatisme pour Ciri. Avec notamment, au sommet de cela, le chevalier Nilfgaardien, Cahir, essentialisé et terrifiant. Ici Cahir, c’est Élie Semoun, tireur à l’arc la poursuivant dans une avenue bien dégagée - dans le genre décor de Takeshi Castle. Ce personnage vous fait t-il peur ?

Comprenez que j’ai comme point de comparaison les livres, et le sac de Cintra, c’est majeur, c’est absolument majeur dans le développement de Ciri. Ici c’est banal, c’est pas terrifiant, c’est pas terrible, c’est pas horrible, c’est rien du tout, y’a même l’audace d’une petite note d’espoir avec Ciri qui échappe à son ravisseur. C’est super !

Ce qui est assez consternant là-dedans, c’est que je trouve par ailleurs ce premier épisode extrêmement sanglant pour rien, complaisant même. Résumant ses affrontements (sauf celui de Geralt peut-être) à une suite d’inserts sur des égorgements, des décapitations et autres horreurs du style. Donc, y’a du monde pour faire de la violence démonstrative un peu débile. Par contre quand il serait pertinent d’en mettre y’a plus personne : vas-y que je relâche la gamine parce que “c’est pas parce qu’on est une tarée sanguinaire qu’on n’est pas polie”, vas-y que j'évite gentiment de bousculer Ciri.

Lisez les bouquins. Visiblement vous les adaptez à l’évènement près donc lisez-les. C’est terrible le sac de Cintra. Ce n'est pas un chevalier bio équitable qui distribue de la verveine mortelle aux noblions du coin, et Ciri qui finit propre sur elle en ayant simplement poussé une légère gueulante face aux insistances d'Élie Semoun. J’en ai un peu marre. Ce n’est pas respectueux des bouquins dont ça se réclame, ça les reprend avec malhonnêteté, c’est sûr, mais même plus que ça, c’est juste mauvais en tant que tel. C'est très simplement nul.

S’il n’y avait pas l’étiquette The Witcher dessus sérieusement, quel espèce de crédit aurions-nous donné à une série d’une telle médiocrité ?

EDIT :

<< Je reproche à la série de s'être elle même mis dans le bourbier. Je reproche à la série de nous avoir pompé l'air durant toute sa promo à grands coups de "on s'inspire des livres et pas des jeux" sous entendu "t'as vu comment on est des vrais fans" pour ensuite venir nous pondre un lissage et une américanisation complète de l'univers devenu presque interchangeable. D'ailleurs je ne leur reproche pas de ne pas avoir collé aux bouquins - une adaptation était de toute façon une mauvaise idée - je leur reproche justement d'avoir collé aux bouquins sur la forme pour après en vider totalement le fond et la substance. En plus nombre de critiques que je formule sont des soucis d'écritures qui dépassent sa position d'adaptation. La mise en scène, les soucis techniques, le montage, les choix de casting douteux, le jeu des acteurs, la pauvreté et la facilité globale de l'écriture, la subtilité zéro des dialogues... Ai-je résumé en disant que "ce n'est pas les livres" ? Il ne me semble pas. Et si je parle beaucoup des livres dans cette critique, c'est aussi pour mettre en exergue les défauts de la version opportuniste de Netflix. >>

<< Je pense que Netflix n'auraient pas dû citer les livres et ainsi auraient évité que l'on compare les deux. D'ailleurs ayant lu quelques critiques plus positives que la mienne, on en vient aussi souvent à parler des livres -plébiscitant la série parce qu'elle leur est fidèle, c'est drôle quand même- et je ne pense pas que ce soit une bonne chose. La série aurait tout à gagner à s'en affranchir mais je pense que pour beaucoup The Witcher = Geralt et beaucoup de choses qui en découlent, c'est compliqué de faire quoi que ce soit de constructif dans ces conditions. >>

<< les jeux sont adaptés des livres et malgré leurs efforts pour imaginer la suite des évènements de ceux-ci, des écarts sont faits - forcément -, les signes sont par exemple quasiment absents des livres alors que dans les jeux on en use extrêmement souvent. Est-ce un souci parce que ce n’est pas comme cela dans les livres ? Non, ça sert une démarche ludique, on a adapté. Le souci n’a jamais été l’adaptation en soi, mais précisément l'adaptation peu inspirée qu’en fait Netflix. >>

<< Je vais chipoter, j'avoue, mais je ne dirais pas que The Witcher correspond à de l' "heroic fantasy". Son approche de la narration, avec une multitude de perceptives au travers des chapitres, et son traitement réaliste très ancré dans la période et les contes médiévaux, déplace le curseur. Ce n'est pas D&D, c'est même assez loin de D&D. Cette précision faite, je pense qu'une partie de mon commentaire reste à propos dans la perception que j'ai de cet univers. >>

<< Que ce soit 1 ou 3, l'idée est la même me semble-t-il. Je trouve la démarche cynique et le résultat navrant, ça coche mes cases. >>

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Critique de quelqu'un de plus compétent et posée : https://www.senscritique.com/serie/The_Witcher/critique/123561906

Trongnon
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Créée

le 19 nov. 2023

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Trongnon

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