The Witcher
6.3
The Witcher

Série Netflix (2019)

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Un tournant dans l'histoire du divertissement ?

Soyons clairs : j'avoue ne pas avoir lu les livres. J'ai "seulement" joué aux 3 jeux, que je considère comme des perles à la qualité croissante, jusqu'à l'apothéose de The Witcher 3, pour moi un chef d'oeuvre absolu du genre.
Passionné par ce que je connais de l'univers du Witcher, j'ai donc regardé les épisodes de la série d'une traite, sachant bien que les auteurs disent s'inspirer des livres et pas tellement des jeux.


Pourtant, ma première stupéfaction viendra des notes musicales du thème principal : c'est une reprise direct de celui du 3ème jeu... en moins bien : celui du jeu était plus beau, plus travaillé, plus touchant, plus évocateur.


À partir de là, le ton de toute la série est donnée.


Dans le domaine des adaptations télévisuelles ou cinématographiques d'oeuvres littéraires, une règle d'or est bien connue des amateurs de livres : 9 fois sur 10, l'adaptation n'est jamais à la hauteur de l'oeuvre originelle. Le format visuel, par ses contraintes de temps (50mn, c'est 50mn), d'espace (non, on ne peut pas vraiment faire sortir un ver des sables du désert du Sahara), et de budget (ta bataille avec 500.000 soldats sur 30 pages, c'est spectaculaire, mais nous, on ne peut pas vraiment engager 500.000 figurants pour la jouer), ne permet pas d'égaler la liberté absolue qu'autorise le format littéraire.


De Harry Potter au Seigneur des Anneaux (pour rester dans la Fantasy), en passant par Dune et Germinal : les adaptations sont forcément un peu réductrices, un peu condensées... mais pas forcément décevantes, si scénaristes et réalisateurs ont suffisamment de talent et d'ambition.
Le fait que la série The Witcher paraisse décevante aux amateurs des livres de Sapkowski, est donc relativement conforme à la Règle d'Or n°1.


Ce n'est pas en cela que la série me paraît être un tournant dans l'histoire du divertissement.


Ce que je trouve stupéfiant, c'est que, à tous égards, le jeu vidéo The Witcher 3 était, en tant qu'objet artistique, infiniment plus réussi que la série, qui s'en inspire pourtant sans l'admettre.


Dans le jeu, la réalisation des scènes cinématiques était plus soignée (un comble...).
Ici, la réalisation est insipide, ennuyeuse, ou convenue.


Dans le jeu, la direction d'acteurs (acteurs de doublage pour le jeu) était impeccable.
Ici... Certes, on ne peut pas blâmer un acteur d'être mauvais quand on a mis dans sa bouche un texte médiocre, et le meilleur acteur du monde ne pourra jamais faire justice à un script mal écrit. Mais là, il faut bien reconnaître que le talent ne bout pas sous la marmite...


Dans le jeu, l'écriture d'une façon générale était de meilleure qualité.
Ici, une écriture médiocre et superficielle se contente d'enchaîner les saynettes, avec des dialogues moyens pour faire avancer le tout.


Dans le jeu, les musiques étaient remarquables, toujours touchantes, toujours appropriées, toujours travaillées.
Ici, la musique ose timidement s'inspirer des partitions du 3ème jeu, mais sans le souffle épique, sans la direction émotionnelle, sans la qualité instrumentale.


Dans le jeu, les personnages, servis par un doublage exceptionnel en anglais, étaient bouleversants.
Ici, les personnages sont fades, superficiels, ou alors n'ont ni queue ni tête :


Ciri y est une adolescente falotte et godiche, alors que le jeu (qui la met en scène à une étape plus lointaine de son histoire personnelle, il est vrai) savait nous toucher par une jeune femme caractérielle, passionnée, indomptable, farouche et déterminée ;


Yennefer y est une bien gentille jeune femme, qui ne renvoie aucune des terribles complexités de caractère vues dans le jeu (séduisante et fragile, tyrannique et inquiète, mégalo mais en quête d'affection) ;


Reste Geralt, et le jeu de Henry Cavill. Les avis sont partagés, mais je reconnais sans honte avoir été très agréablement surpris par le choix fait par l'acteur : imiter le doubleur... du jeu vidéo ! Il a repris sa voix rauque, ses colères froides, son ton monocorde qui convient bien à un sorceleur désabusé.


Les personnages secondaires, eux, sont pour la plupart fades, médiocres, irritants ou superficiels - à l'exception peut-être de la reine Calanthe, absente des jeux vidéos et que j'ai donc découverte, et bien servie par une chouette interprétation de Jodhi May - même si l'écriture du personnage semble surtout servir la soupe au discours aujourd'hui incontournable et pseudo-féministe sur les femmes victimes d'une société patriarcale (dixit une reine qui fait globalement ce qu'elle veut, comme elle veut, quand elle veut et avec qui elle veut).


Je passe sur les enjeux dramatiques propres à l'univers du Witcher : l'identité liée à la terre, la lutte pour ne pas perdre sa propre humanité, les tensions raciales ancrées dans l'histoire... Tout ça disparaît en un clin d'oeil, remplacé par une culture du vide qui arrive à s'étendre sur 60mn x 8.


D'ailleurs, j'ai été très surpris, étant moi-même Black, de découvrir que, dans l'univers médiéval-fantastique du Sorceleur, un personnage sur trois semble être Noir... même quand ça ne veut rien dire. Humain, elfe, mage, peu importe : il y aura de la "minorité visible", parce que et puis c'est tout.


(Utile de se rappeler que s'il y a des minorités visibles dans toutes les sociétés du monde, c'est parce qu'il y a eu par le passé des déplacements de population, des migrations, des déportations, des conflits... Une "minorité visible" ça a une histoire, ça n'est pas là que pour faire joli, exotique, ou "diversifié". Si les auteurs de la série avaient étudié l'oeuvre originelle, peut-être auraient-ils appris une ou deux choses à ce sujet ?)


Bref, ma conclusion étonnée et candide : pour la 1ère fois peut-être dans l'histoire du divertissement, l'adaptation vidéoludique d'une oeuvre littéraire aura été de plus grande qualité artistique que son adaptation télévisuelle.


Un vrai tournant, ou juste un accident de parcours dû au manque de talent et d'ambition des showrunners de The Witcher ?

PhenixHeaven
2
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le 22 déc. 2019

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PhenixHeaven

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