This is England
7.8
This is England

Série Channel 4 (2010)

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"I'm about to take you to another galaxy and we're going to party like it's 1999. Erect Yourselves"


La première fois que je l'ai vu, il rentrait de l'école. Un garçon un peu rondouillet, pommé et rongé par le chagrin. Dans la cour de récré, les autres se moquaient de lui car il n'avait pas de père, ou plutôt parce ce qu'il n'en avait plus. Il était mort dans une guerre inutile, comme tant d'autres, aux Malouines. Il rentrait de l'école et alors il les rencontra, dans un passage sous-terrain. Il aurait pu prendre une autre route, ou y passer plus tôt, où alors plus tard, et ils auraient pu être ailleurs, au pub ou en train de jouer au billard, alors sa vie aurait été complètement différentes. Mais non, il y passa et ils étaient là. Un groupe de skinhead en train de siffler des bières qui lui redonnèrent le sourire. Il s'appelle Shaun et il avait une dizaine d'années. Les autres étaient plus vieux.


On est en 1983.


Il devint leur petite mascotte en Rangers et ils s'amusaient bien dans cette Angleterre triste comme une veille usine rouillée, dans ces vielles petites ruelles fissurée, dans ce petit snack ou dans ce vieux complexe abandonné où ils peuvent laisser exploser toutes leurs frustrations, toutes leurs rancoeurs, toutes leurs rages, en détruisant ce qui s'y trouve encore. Ils deviennent une bande d'amis inséparable. Une famille de substitution. Il découvre même l'amour, comme ça, sans le vouloir, caché derrière l'une des nombreuses couches de maquillage de Smell. Alors Combo arrive, tout en rage et en ressentiments envers une vie qui ne lui a jamais rien donnée, avec sa présence bestiale et ces idéaux extrêmes, embrigadé par le National Front pour combler une jalousie qui l'aveugle. Le groupe se déchire, lui le premier, partagé entre un mélange de peur et de fascination pour Combo et sa gratitude envers Woody. Jusqu'à ce que l'inévitable se produise, au bout de la nuit, d'une soirée enfumée, d'une discussion sur la famille. Devant le sourire de Milky, le noir de la bande qui a tout ce qu'il n'a jamais eu, Combo explose, comme une bouteille dans la jugulaire. Milky y passe, puis tous ceux dans la pièce, devant ses yeux d'enfant en pleurs.


Le temps passe, combo est en fuite, Woody plante son mariage, la famille de Lol se déchire au retour de son violeur de père, elle le tue, combo prend pour elle, elle trombe son amour de toujours avec Milky, tombe enceinte, déprime puis essaye de suicider. Woody lui pardonne. Lui va au collège, trompe Smell, la perd et se fait virer. Certains s'éloignent, d'autres se rapprochent. Le cycle de la vie.


Nous sommes maintenant en 1990.


Thatcher quitte le 10 Downing Street emportant avec elle les souvenirs d'une triste période, de la guerre aux Malouines jusqu'aux "poll tax riots". Le ska de Toots and The Maytals et de The Specials laisse sa place au Madchester et au Bing-bong-bing-bang-a-fling-flong-a-flingy-flang-fling-flong de The Stone Roses et à la House qui fait danser des milliers de raveurs défoncés. Un vent de fraîcheur et de changements souffle sur l'Angleterre. Nouvelles modes, nouvelles musiques, nouvelles drogues, nouvelles libertés, nouveau gouvernement et même un nouvelle équipe d'Angleterre qui semble capable de faire quelque chose, porté par un Gascoigne qui fondera en larme face à un carton jaune qui le privera d'une finale qu'ils ne joueront de toute façon jamais. Brièvement, tout semble possible. Brièvement, seulement.


Il est maintenant jeune adulte, plus longiligne mais toujours petit et il fume une de ces longues cigarettes avec Milky et Gadget à l'arrière de leur ancienne école. Ils récupèrent de la nourriture à la cantine dirigée par Lol et ils se rappellent cette époque où ils étaient heureux.


Lol et Woody sont définitivement plus vieux, parents et ils semblent heureux. Ils organisent des barbecues dans leur petit jardin où la viande n'est pas assez cuite et où tout le monde danse sur du William Onyeabora pendant que lui et les autres membres de la bande essayent de prendre du bon temps. Ils se retrouvent à un rassemblement de hippies en essayant de trouver une rave ou sortent dans les rares clubs de leur petites villes où les styles vestimentaires fleurissent comme les espoirs d'un futur plus glorieux. Les Rangers et les bretelles ont disparus, les cheveux ont repoussés, des mèches blondes sont même apparues, les salopettes et les t-shirts multicolores qui vous marquent les rétines se mêlent aux moustaches, aux lunettes de soleil et aux vestes en cuirs, aux pantalons pattes d'ephs et aux bobs délavés, aux vêtements noirs des gothiques, ou aux quelques bons vieux polos Fred Perry et Harringtons qui font de la résistance. Ils boivent, fument et ingurgitent quelques petites pilules du bonheur. Ils se lâchent, dansent et s'amusent, le visages illuminé par les jeux de lumières de la salle où le scintillement d'un feu de camp. Ils sont heureux. Ils rayonnent. Ils sont beaux.


La journées, il zone entre le salon de sa mère et celui de Gadget et Harvey où ils restent assis dans le canapé a écouter en boucle leurs albums favoris en refaisant le monde, flottant dans les effluves de fumées s'élevant doucement de leurs bangs. L'Angleterre est en récession, les usines ferment, les jeunes sont aux chômage dans cette petite ville toute en maisons de briques rouges délavées et en immeubles de béton grisonnant.


Alors Combo sort de prison, libéré sur parole pour bonne conduite. L'homme violent tout en puissance et en rage qui semblait capable de fissurer un mur d'un simple regard apparaît maintenant timide. Fragile. Il a vieilli, s'est assagit, a réalisé la bêtise de son comportement et est prêt à recommencer sa vie. Seulement avec sa sortie ressurgissent les démons d'un passé douloureux pendant un repas dans un salon minuscule inondé par des larmes trop longtemps refoulées. Un passé que certains ont réussi à accepter, pardonnant ceux qui les avait blessé, que d'autres essayent tant bien que mal de laisser derrière eux où qu'ils traînent comme un poids les empêchant d'avancer, les tirants vers le bas, les détruisant, petit à petit.


Pendant qu'il retourne à l'université pour faire de la photo et tombe amoureux, que Lol et Woody préparent leur mariage, Gadget et Harvey se dispute sur le sort de Kelly qui fuit un passé dévastateur en même temps que la personne qu'elle est devenue et trouve dans l'héroïne les réponses et le réconfort qu'elle ne trouve nul par ailleurs. Milky, lui, planifie sa revanche.


La revanche d'un jeune homme noir sur un blanc raciste qui l'a battu et l'a fracassé contre un mur. Un raciste blanc qui s'est repenti et avoue avoir agi par simple jalousie, qui a accepté ses erreurs et qui implore, en pleur, le pardon d'un jeune homme noir qui l'a invité à prendre le thé et qui sait ce qui va se qui va se passer pendant qu'il l'écoute en le conduisant tranquillement vers son triste sort. La revanche d'un homme qui n'a jamais réussi à accepter, à avancer, à pardonner. Un homme qui depuis cette accident à vécu toute sa vie en vue de ce moment, quelque part dans un petit pub au milieu de la campagne anglaise, et qui passera tout le reste avec le poids de sa culpabilité.


Le jours du mariage arrive et tout le monde se retrouve. Ils discutent, ils dansent, ils crient, ils pleurent, ils rigolent, ils s'amusent, ils s'enlacent. Sauf Combo, qui n'est plus là.


Sauf Milky, seul au milieu de la foule, la tête baissée, qui ne peut plus regarder personne dans les yeux.


C'est la dernière fois que je l'ai vu et il avait l'air heureux. Enfin.


C'est la fin d'une ère. Un pan entier d'une Angleterre pauvre et abandonnée à son sort qui s'achève.


C'est le destin de jeunes skinheads, d'un groupe d'amis, de familles, de femmes travaillant dans une cantine, d'ouvriers, de chômeurs, de jeunes qui tombent doucement dans les bras faussement réconfortant de la drogue.


C'est la vie, magnifique et insoutenable à la fois.

Clode
8
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le 11 oct. 2015

Critique lue 376 fois

Clode

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