True Detective
8.2
True Detective

Série HBO (2014)

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True Detective : Comme Dans Un Tableau d'Edward Hopper

On vit une époque formidable dans laquelle on se sert goulûment pour pas cher dans un immense plateau de fromages, celui des séries télé - le plus souvent américaines.


On ne peut vraiment pas nier qu'il suffit même d'appuyer au hasard n’importe où sur Play et tomber souvent sur des chef-d'œuvres, c’est une vraie chance. Mais de temps à autre on arrive encore à faire mieux, on trouve la pépite un demi-ton au dessus, pas forcément meilleure mais avec un petit supplément d'âme. J'en ai déjà trouvé plusieurs – Sherlock, The leftovers, American horror history, etc, mais hier soir j'ai regardé les trois premiers épisodes de True Detective Saison 2 et ça a confirmé la pépite.


Je reconnais que j'aurais du écrire quelque chose sur la saison 1, tout spécialement ; c’est gâchis de n'avoir rien dit.


C'est ce début-là qui m'a soufflé en huit épisodes chrono, mais quand je tombe sur une chose aussi inattendue que talentueuse, je me sens un peu comme un héros de Nic Pizzolatto : le poids de ma tête est plus fort que mon envie et je remets à jamais.


Mais il ne faut jamais dire jamais, dans True Detective, tout vient à temps à qui sait remettre à jamais. Matthew McConaughey et Woody Harrelson, également co-producteurs de la série, formaient le fabuleux duo-pilier de la première saison : deux êtres-flics en perdition (enfin surtout Rust Cohle / Matthew McConaughey), au mileu d’une Louisiane pesante et picturale, pris dans les tourmentes de leurs blessures ouvertes et d’une affaire glauque, mystérieuse et volontairement tortueuse parce que réellement, c’est meilleur quand c'est tortueux.


Cette saison 1 prenait à la gorge dès les premiers plans de l’épisode 1, on a pas le temps, huit épisodes, faut pas traîner, on traînera dans les 7 autres parce que c’est tellement meilleur quand ça traîne un peu entre deux trucs de dingues. Elle prenait à la gorge cette première scène, simplement par le poids des images dans un champ perdu de l’Amérique profonde et les deux fantômes de flics qui venaient constater l’étonnant tableau d’une victime abandonnée là dans une posture bien étrange, façon Hannibal.


Dans True Detective, le bon rythme est respecté : les scènes d’action de premier ordre le disputent parfaitement aux violents échanges puis aux longues scènes où les mots sont inutiles. Cette première scène était juste un tableau de maître sans grand discours : des objets et des gens parfaitement assemblés, des mouvements de danseurs et le grain d’un peintre. En fait, le tableau est dans chaque plan de chaque épisode, mais ça on le sait quand on regarde la suite.


Dans True Detective Saison 1, Matthew McConaughey transfiguré en Jésus décharné et Woody Harrelson les sourcils plus froncés que jamais avaient élevé l’art de la mimique au rang de chef d’œuvre - avec ou sans humour, dans la saison 2 c’est confirmé, la relève est assurée. Il faut dire qu’on pouvait difficilement trouver mieux dans le genre mort-vivant, que Colin Farrell, sa veste de Texan, sa cravate de cowboy avec sa grosse moustache, sa gueule d’alcoolique et les quelques kilos en trop qui vont avec.


Rust Cohle et Martin Hart crapahutaient dans une Louisiane sirupeuse et inquiétante, Ray Velcoro et Antigone Bezzerides tracent dans une Californie ensoleillée mais sombre, qui se souvient mélancoliquement de ses belles années hippies.


Pour les morts, ils sont bien vivants, qu'on se rassure : Matthew McConaughey dissertait longuement et régulièrement de la théorie des cordes et de notre place parmi les oiseaux et les arbres entre deux cadavres et trois coups de boule, dans la 2, Colin Farrell, qui perpétue la coutume du lever de coude talentueux, tente de passer entre toutes les gouttes tout en ne perdant jamais de vue ce pour quoi il est payé, à défaut de sombrer dans le néant : enquêter sur des meurtres. Les meurtres sont toujours mystérieux et tordus, l’image est toujours peinte, comme dans un tableau d’Edward Hopper cette fois, et la parole toujours en or : un silence, un froncé de muscle houppe et une contraction de platisma valent mieux que toutes les répliques entendues.


Colin Farrell, Rachel McAdams, Vince Vaughn et les autres reprennent brillamment la relève en deuxième saison car True Detective remet les compteurs à zéro, ce serait dommage de délayer ce pur jus de huit épisodes, cette substantifique moëlle qui se suffit à elle-même. Chaque saison, une nouvelle histoire, chaque saison, de nouveaux personnages. Mais attention, on garde le "plus important" : la forme ! Pas celle des personnages, non les pauvres, on peut pas dire qu’ils soient en forme.


La forme : les codes, l’essence, la peinture et les imperceptibles mouvements du muscle palpe-brale. Les héros principaux et parfois les secondaires (qui sont aussi des héros) se demandent toujours comment ils vont se sortir de ce multi-merdier à 10 niveaux ; on se dit toujours que ça va mal finir et des fois ça finit mal.


Mal ou bien après tout on s’en fout, l’important c’est ce qui se passe entre le début et la fin et si tu demandes à Rust Cohle, il te répondra s'il a envie de parler que le début et la fin n'existent pas. True Detective m’a offert avec la saison 1 la scène de poursuite-fusillade la plus hallucinante que j’aie jamais vue, en deux ou trois longs plans-séquences extérieur-intérieur, puis encore extérieur-intérieur, dix minutes jouissives qui m’ont fait oublié la fusillade de Heat.


Avec la saison 2, au bout de trois épisodes, j’ai déjà eu droit à la poursuite entre un homme-corbeau, un flic plein de pinard et une fliquette bardée de poignards dans ses doublures, le tout en caméra mobile dans un petit chemin entre forêt et autoroute nocturne, tellement étroit le petit chemin, que les feuilles lui arrachent la gueule à la fliquette, pendant qu’elle jure comme comme un Vince Vaughn (alors qu’elle est très mignonne, c’est quand même Rachel McAdams).


Dans True Detective, rien n’est jamais comme ailleurs : les poursuites, tu les as jamais vues comme ça, les flics tu les as jamais vus aussi philosophes (même bourrés), les bourre-pifs tu les jamais vus aussi lyriques, les comédiens tu les as jamais vus aussi touchants parce que tu les as jamais vus aussi économes, les images tu les as jamais vues avec ce coup de brosse, les intrigues tu les as jamais vues aussi compliquées.


Tu te dis aussi que les femmes n’ont pas beaucoup de place dans ces histoires mais ça c’est parce que tu n’as jamais vu la série.


La saison 1 reste indéniablement ma préférée comme une première parfaite, oui. Quand on accouche d’un truc parfait, il n’est même pas raisonnable d’espérer retrouver la même chose parce que ça n’existe pas et c’est bien comme ça. Mais là, l’épisode 4 de la saison 2 m’attend et je n’ai pas l’intention de le rater.


Bref, True Detective, ça te prend aux tripes, comme le mensuel américain du même nom, qui dans le temps passé, relatait aux américains l’actualité des horribles crimes de tripes, et qui a cessé d’exister en 1995, là où débute l’intrigue de la première saison de la série.

JeromeVigliano
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le 13 avr. 2017

Critique lue 439 fois

JeromeVigliano

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