True Detective
8.2
True Detective

Série HBO (2014)

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Série noire... [Critique de "True Detective" saison par saison]

Saison 1 :

"True Detective" représente une sorte d'aboutissement formel indiscutable de la montée en puissance "artistique" de la série TV depuis une quinzaine d'années : sur huit heures remarquablement écrites, dirigées, montées, interprétées, avec une histoire proprement bouclée, on a finalement plus le sentiment d'assister à du cinéma "classique", haut de gamme même (auteuriste ?) qu'à une vraie série, non ?

Et c'est sans doute là qu'on trouvera la seule limite à ce qui est plus un brillantissime exercice de style qu'autre chose : le relatif classicisme du sujet, qui ne déroge en rien aux codes hollywoodiens du film de serial killer, ainsi que le manque de relief des personnages secondaires, mais également l'absence de prolifération d'une fiction très "littéraire" dans son déroulement temporel, tout cela fait qu'on reste assez éloignés de la zone la plus créative de la série moderne. Si l'on ajoute cinq dernières minutes lamentables, qui détruisent complètement l'intégrité philosophique du personnage de Cohle en le sacrifiant au gloubiboulga spiritualiste américain, on voit que "True Detective", en dépit de son élégance suprême, de son rythme extrêmement sophistiqué, et du jeu puissant et subtil de McConaughey, encore meilleur ici que dans ses derniers films de cinéma, malgré nombre de passages d'anthologie construits autour de la Louisiane (la moiteur, la superstition, l'atavisme primitif, etc.), et même d'un épisode sublime (le cinquième, avec l'irruption de la violence des gangs au sein de sa fiction jusque là bien "protégée"), n'est pas tout à fait le chef d’œuvre absolu que certains veulent voir.

Juste une très, très bonne série, qui exerce une fascination profonde sur le téléspectateur, un téléspectateur qui n'en sortira pas complètement indemne.

[Critique écrite en 2014]

Saison 2 :

La très mauvaise réception critique de la seconde saison de "True Detective" m'avait conduit à l'ignorer pendant 4 ans, avant que l'annonce du redémarrage d'une troisième saison ne remette la série au coeur de l'actualité. De fait, cette seconde saison, témoignant d'un retour vers une sorte de "classicisme" (relatif) du film noir, refaisant le parcours de Chandler à Elroy, est bien inférieure à la première. Ce qui ne veut pas dire qu'elle est aussi médiocre qu'on l'a généralement affirmé.

Oui, l'intrigue policière, avec sa multiplication incontrôlée de personnages, est largement incompréhensible et éjecte régulièrement le spectateur dans une zone d'indifférence vis à vis de ce qui se passe à l'écran. Oui, les choix formels (splendides et ambitieux), permettant de décrire la ville imaginaire de Vinci comme un labyrinthe inhumain d'échangeurs autoroutiers et de friches industrielles, ne contaminent pas sufisamment le récit comme dans la fameuse première saison. Oui, l'interprétation générale trop chargée en testostérone est bien en dessous de celle - extraordinaire, on l'a beaucoup répété du duo McConaughey - Harrelson -, Colin Farrell étant, comme souvent, excessivement mauvais.

Reste qu'à mi course, après un démarrage soporifique, les scénaristes imaginent une cassure démente dans la narration, à la faveur d'un shoot out impressionnant, et envoient ensuite leurs personnages errer dans un no man's land d'horreur et de désespoir qui élève à nouveau la série vers les sommets du genre. Jusqu'à une conclusion très sombre que l'on peut juger - en dépit de ses connotations moralistes puisqu'il s'agit de bien punir "les méchants" - supérieure à celle de la première saison.

Bref, une saison beaucoup plus acceptable qu'on a pu le dire, et qui fait qu'on attend la suite avec une impatience renouvelée.

[Critique écrite en 2018]

Saison 3 :

Après la déroute critique - un peu injustifiée, quand même - de la saison précédente, cette troisième saison d'une série sur laquelle des espoirs sans doute trop élevés avaient été placés avait tout l'air d'un quitte ou double pour Nic Pizzolatto*. Choisissant de jouer la sécurité, Nic et son équipe sont donc retournés sur un territoire déjà largement balisé par leurs fameux débuts : disparition mystérieuse dans une atmosphère étouffante et couple de détectives, sans même parler d'une enquête qui se déroule sur trois temporalités différentes... peu de surprises cette fois ! Il suffit d'embaucher pour quelques épisodes un réalisateur talentueux et moderne, Jeremy Saulnier, qui conférera un style indéniable à la mise en scène, et un acteur oscarisé au goût du jour, le très talentueux Mahershala Ali, et le tour est joué. Sauf que l'on sait bien depuis la Rome Antique que "bis repetita non placent", et la série ne soulèvera cette fois encore qu'un intérêt poli de la part du public et de la critique. Alors, "True Detective", un soufflé qui n'arrive plus à monter ?

Les choses ne sont bien entendu pas aussi simples, et on a le droit de penser que cette troisième saison est une vraie réussite, même si elle a indiscutablement le "défaut" d'avancer à un rythme indolent - ce qui fait d'ailleurs son charme -, de manquer de moments spectaculaires (à l'exception d'un bref et implacable shoot-out à mi parcours), et de rester (courageusement) ancrée dans une sorte de banalité ordinaire qui tranche avec la démesure lovecraftienne de son modèle. Peu de raisons donc de s'exciter sur les réseaux sociaux, mais beaucoup de motifs de la chérir précieusement, cette saison qui s'attache avec grâce à l'humanité de ses personnages plutôt qu'à une énième histoire de serial killer diabolique.

Entre un couple mal assorti dont l'existence ne dépend que de la résolution / non-résolution d'une enquête, et une paire de détectives dont l'amitié est soumise à rude épreuve à travers plusieurs décennies de faux départs et de fausses conclusions, la balance du scénario penche largement du côté "humain", tandis que le fait que l'on sache dès le début que l'énigme ne sera pas résolue dans les deux premières "temporalités" de la narration (encore que...) a du décourager les amateurs de thrillers bien huilés. Pourtant, l'intelligence de la construction, avec une fluctuation permanente entre les trois temporalités (donnant lieu d'ailleurs à une très belle caractérisation du vieillissement des personnages) crée peu à peu un jeu troublant avec la mémoire et la compréhension du téléspectateur, qui se retrouve dans une situation similaire à celle du personnage principal affecté par Alzheimer, perdant régulièrement ses repères. C'est sans doute l'une des premières fois qu'un film (ou une série, mais on sait que chaque saison de "True Détective" est envisagée comme une oeuvre unique et indépendante) arrive à figurer par le pur jeu de sa mise en scène la confusion et l'angoisse où se retrouvent plongées les victimes de cette terrible maladie.

Il reste à parler de la conclusion, en forme de dédramatisation étonnante des enjeux habituels du thriller (ce n'était que ça ?) et de happy end bienveillant vis à vis de ses personnages qui auront vécu l'horreur mais à qui le scénario accorde le droit à un peu de bonheur tout simple, fragile certes, temporaire indiscutablement, mais réel. Loin de traduire un échec, la dernière confrontation évitée du fait d'une attaque de la maladie permet joliment à l'histoire de ne pas se conclure, et nous laisse, nous, les larmes aux yeux, éblouis par une saison qui a finalement déjoué tous ses préceptes de départ pour nous emmener un peu ailleurs, au côté de beaux personnages qu'on a aimé côtoyer.

Une très belle surprise.

[Critique écrite en 2019]

Saison 4 :

Il n’est pas inutile de rappeler l’histoire, compliquée et particulière de la série HBO, True Detective, car elle s’étale désormais sur dix ans, et elle explique sans doute largement pourquoi cette quatrième saison de ce qui fut un bref temps (en 2014) considéré comme l’une des plus belles réussites de HBO, en concurrence avec Sopranos et The Wire, en est arrivée à cette quatrième saison « en dents de scie ».

On était donc en 2014 quand Nic Pizzolatto, secondé par deux acteurs prestigieux (Woody Harrelson et Matthew McConaughey), par ailleurs meilleurs amis « dans la vie », nous offre un True Detective qui marquera au fer rouge tous ceux qui l’ont vu : une sorte de thriller parfait, aussi passionnant que profond, que l’on pourrait qualifier d’équivalent pour le polar de ce qu’est Apocalypse Now au film de guerre. La traque serrée par une paire de policiers d’un monstre assassin dans un Sud poisseux et archaïque, au milieu de magouilles politiques obscures et débouchant sur un vertige métaphysique à la lisière du fantastique. L’occasion d’offrir à deux pointures du cinéma comme Harrelson et McConaughey, surtout, le rôle de leur vie, pas moins.

L’histoire de True Detective aurait dû s’arrêter là, mais comment HBO aurait-elle pu résister à la tentation de répéter ce coup de maître ? True Detective devient donc officiellement une anthologie « de prestige » d’enquêtes policières complexes et « lourdes de sens », portée par des acteurs prestigieux. Mais, dès la seconde saison, un an plus tard, la belle machine s’enraye, et le retour de bâton est impitoyable : en dépit de belles qualités et d’interprètes « bankables » (Colin Farrell, Rachel McAdams et Vince Vaughn), cette seconde saison est descendue en flammes. On peut parier que, sans l’étiquette True Detective, elle aurait été vue comme une semi-réussite, alors qu’elle hérite d’une réputation – largement imméritée, à notre avis – de catastrophe industrielle. HBO attend quatre ans pour retenter le coup, mais rien n’y fait : en 2019, la troisième saison est excellente (avec Maheshala Ali et Stephen Dorff) , une réussite quasiment totale, mais dans un registre sans doute trop éloignée de ce que les fans attendent, et elle est à nouveau assez mal reçue. HBO ne renonce pas à sa franchise pourtant mal en point et décide de virer Pizzolatto de sa création, et de revenir au plus près du concept original : une enquête sur des morts atroces et mystérieuses, à la lisière du fantastique, menée par un couple de policiers mal assorti, dans un décor aux fortes spécificités, soit une photocopie plus ou moins exacte de ce qui a fait le succès de la première saison.

L’époque le voulant – ou plutôt, les producteurs cherchant visiblement à cocher toutes les cases – le casting devient quasiment entièrement féminin, et les problématiques sont celles « à la mode » en 2024, l’écologie et le traitement honteux réservé aux populations « indigènes ». Les « anti-wokes » apprécieront. La Mexicaine Issa López est la showrunneuse et Jodie Foster – fascinante mais parfois ici dans le surjeu, malheureusement – est la seule réelle célébrité à l’écran. Le Sud des US devient l’Alaska, et la chaleur moite se transforme en froid cinglant. Le point de départ est intéressant, puisqu’il s’agit de la disparition de toute l’équipe scientifique d’une station d’étude du permafrost, retrouvée morte de froid dans une tableau humain terrible. Alors que la longue nuit de l’hiver polaire débute, la chef de la police locale, blanche (Foster) et une « gendarme » d’origine inuit (Kali Reis) se heurtent dans leur enquête à un policier corrompu et borné (John Hawkes, excellent d’ailleurs) et à la toute-puissante industrie locale qui pollue sans vergogne et musèle toutes les voix des opposants. Pourquoi pas ?

Le gros problème de cette quatrième saison, lancée avec tambours et trompettes par HBO, et énorme succès de streaming (le plus gros de toute l’histoire de True Detective), c’est qu’elle a été assez vite considérée comme une autre déception, en particulier à cause d’une conclusion frustrante, du fait de l’importance du fantastique dans le scénario : la banquise serait une sorte d’endroit où les morts reviennent encore et encore hanter ou aider les vivants, ce qui ne sert à rien dans l’histoire sinon rajouter de l’étrangeté, et il y a un monde souterrain enfoui sous la glace, le pays de la nuit (« Night Country »), qui lorsqu’on le découvre enfin, ressemble à un décor bizarre d’un film Marvel. Lorsque True Detective se penche sur les nombreux traumatismes familiaux de ses personnages, la série fonctionne bien (même si on a le sentiment que la barque est souvent artificiellement chargée, tant tout le monde ici est profondément torturé), mais lorsqu’elle en revient à son sujet principal, en particulier dans la dernière partie, on a le sentiment que les scénaristes n’ont guère d’idée sur la meilleure manière de résoudre l’énigme qu’ils ont inventée, ce qui conduit à une révélation finale certes sympathique, et même assez drôle, mais quand même bien « wtf ». Quant aux monstres lovecraftiens que l’on imaginait bien tapis sous la glace, ils repasseront.

En toute sincérité, malgré ces réserves de taille, on ne s’ennuie pas durant cette quatrième saison, et, pourvu qu’on arrête de demander l’impossible à True Detective, il n’y a ici rien de honteux. Et de toute manière, du fait du succès public rencontré, la cinquième saison est déjà dans le pipeline.

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/02/23/hbo-true-detective-saison-4/

EricDebarnot
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les plus belles claques esthétiques et Les meilleures séries de 2014

Créée

le 10 juil. 2014

Modifiée

le 24 févr. 2024

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Eric BBYoda

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