True Detective
8.2
True Detective

Série HBO (2014)

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Le problème des séries cultes, c’est leur culte, précisément. En faisant de True Detective la quintessence d’une nouvelle donne télévisuelle, la presse (et les spectateurs) majoritairement engloutie dans la dithyrambe délirante avait transformé ces 8 épisodes en incontournables de l’année (au moins). Il faut dire que Nic Pizzolatto avait concocté une intrigue bien poisseuse (très Lovecraft mais sans l’assumer jusqu’au bout quand même) dans une ambiance Bayou/Louisianne non moins collante aux doigts, aux pieds et partout ailleurs. Avec ses deux acteurs en état de grâce, à la limite du cabotinage (Matthew McConaughey en pleine renaissance et Woody Harrelson revenu de ses cendres), une réalisation intense de Cary Fukunaga, un script cryptique, une lenteur assumée et des dialogues ciselés dans un nihilisme ironique quasi-comique, l’affaire était emballante et pour le moins fascinante.


La saison 2 s’annonçait donc comme un défi de taille. Déjà parce qu’on parle d’une suite et qu’une suite, par définition, doit démontrer que le nouveau talent ne tient pas la distance ou qu’il est bien le génie dont toute la ville se fait les gorges chaudes. Inutile de dire que la seconde option est la moins courante. Pour éviter la comparaison facile (bien qu’inévitable), Nic Pizzolatto a donc choisi le mode remise du compteur à zéro : nouveau casting, nouvelle intrigue, nouveaux lieu, nouveau style. L’avantage était évidemment de ne rien promettre d’équivalent au modèle d’origine. Plus de repère, ou presque. Mais la vraie difficulté pour l’auteur, et le danger, était d’évaluer sa capacité d’évacuer ce qu’il connaissait le mieux (la Louisiane) pour s’enfoncer dans une Californie fantasmatique, corrompue, porn-sexuelle, frustrée, violente, infanticide, parricide, déglinguée rappelant tour à tour James Ellroy (lourds traumas des personnages principaux avec fatum génétiquement programmé), Michael Connely, Raymond Chandler et William Faulkner (intrigue inextricable et incompréhensible). En multipliant les axes, la série passe également de deux à quatre personnages principaux. Ce parti pris risquait de diluer le propos, de fragiliser la base narrative… et c’est un peu le cas, puisque la série se focalise principalement sur les duos Ray Velcoro (Colin Farrell) / Frank Semyon (Vince Vaughn) et Antigone Bezzerides (Rachel McAdams) / Ray Velcoro au détriment de Paul Woodrugh (Taylor Kitsch) dont la sexualité refoulée et le choc post-traumatique de la guerre en Irak restent des MacGuffin assez grossiers.


Mais rapidement, le personnage central s’avère la ville de Vinci. Trou noir de LA. Lieu de perdition fictif, sorti d’une sorte de Grand Theft Auto télégénique, brassant à la fois du Lynch (le panneau visible Mulholland Drive, la logique du rêve déployée dans l’épisode 3 notamment) et du film noir classique au fil de son intrigue touffue, survolée comme ces plans magiques au-dessus d’un décorum en pleine décrépitude industrielle. Magré ces décors postmodernes, True Detective conserve ce goût pour la lenteur et le verbe. Ce qui convenait tout à fait à la saison 1 devient ici plus embarassant. Les personnages se débattent comme ils peuvent avec un destin tout tracé dont ils ne peuvent s’échapper, faute de véritable suspense. Et s’il faut continuer la comparaison avec la saison précédente, c’est ici l’un des reproches fondamentaux qu’on pourra lui faire. À force de jouer des codes et des citations, True Detective – saison 2 sème les cailloux de sa narration (le rêve prémonitoire de Velcoro etc.) obligeant la série à aboutir sans changer de trajectoire. On sera gré, malgré tout, de voir le scénario tenter la surprise au final de l’épisode 2 et redémarrer la machine à l’épisode 5. Ces artifices restent malgré tout des artifices tant le cimetière des illusions qu’est cette Vinci maudite et gangrenée enfonce les portes mythologiques (comme le prénom de l’héroïne, Antigone) ouvertes, joue des clichés (les communautés russes, latinos, noires, juives), roule sur des rubans de bitume sans fin, caractérise ses personnages secondaires archétypaux (la compagne rousse incendiaire, l’ex-femme qui ne pardonne pas).


“ Il n’y a pas de futur, pas de passé, et dans le présent, rien ne dure…” – Lera Lynn

Le plus passionnant, finalement, reste la réflexion croisée sur les relations à l’enfance (père violent, gourou de secte ou flic héréditaire) et le questionnement sur la paternité/maternité sous formes multiples (tests ADN, engendrer pour ne pas avoir à assumer son homosexualité, dynastie dégénérée des puissants). De ce point de vue, si Vinci enfante le pire du vice, c’est dans cette trajectoire presque génétique que l’histoire prend de la chair et du sens. En cela, le parcours de Bezzerides est révélateur du propos. Partant d’une forme de désincarnation au quotidien pour aboutir à la filiation, d’un manque d’empathie chronique vers le pur instinct maternel.


La multiplication des réalisateurs (six contre un seul point de vue sur la saison précédente) renforce cette sensation d’instabilité, de foutraque, de work in progress qui implose dans un dernier épisode inutilement enflé, ultra référentiel (Heat, Casino, L’impasse), aux actes parfois poussés jusqu’au déraisonnable mais devant boucler avec les prémices de l’histoire, un peu paumé dans son exploration de la symbolique naturelle (la forêt, le désert, la mer). Et pourtant… il y avait tout pour transformer cette matière brute de premier choix en diamant noir télévisuel. Sans échouer totalement – le show a ses qualités, offre un générique fabuleux sur fond de Léonard Cohen et de vrais morceaux de bravoure (épisodes 4 et 7) – True Detective saison 2 laisse un amer sentiment d’inachevé. Et c’est sans aucun doute ici la plus grande frustration. Sommé de faire une suite (trop) rapidement, le showrunner Nic Pizzolatto n’a pas totalement bâclé le travail, certes, mais il n’a pas livré l’œuvre aboutie qu’on attendait de lui. Cette saison aura été sacrifié sur l’autel de la rentabilité à tout prix prouvant aux plus naïfs que Vinci n’est pas seule à s’adonner au culte de l’argent roi.


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AmarokMag
7
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le 26 sept. 2015

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