Utopia
7.9
Utopia

Série Channel 4, Arte (2013)

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Quiconque a vu cette série ne peut lire le titre de cette critique sans entendre immédiatement la voix trainante et lourde de menace de cet étrange bonhomme qu'est Arby. Sans doute l'un des plus géniaux méchants de tous les temps.
Je ne m'étendrais pas sur les qualités d'Utopia, son scénario surprenant, sa force visuelle, ses couleurs, sa capacité à vous rendre accro, sa violence malsaine à vous en rendre nerveux, pourtant jamais dans la surenchère, toujours juste ce qu'il faut pour vous terrifier et vous faire dire: "putain, j'aimerai pas être à ta place, mon pote".
Non, je vais plutôt vous parler des personnages de cette série. De ses "méchants".
À ce stade là de ma critique, je réalise qu'il sera compliqué de continuer sans risque de spoil, aussi je conseille à tous ceux qui n'ont pas déjà vu cette excellente série d'y jeter un œil avant d'aller plus loin. Six épisodes d'une heure chacun, parfait pour combler une soirée, et vous n'en décrocherez pas jusqu'à avoir tout fini. Et maintenant, on y va.

Les personnages, donc.
La série commence très fort en mettant en scène mes deux "méchants" préférés, Arby et son compagnon en costard dont j'ai encore oublié le nom. De toute façon ces deux là parlent tellement peu que je doute que ce nom ait été souvent prononcé.
Les voilà donc, l'un interrogeant un vendeur de BD au sujet d'un manuscrit, l'autre massacrant joyeusement, avec le sourire s'il vous plait, mais en douceur, sans trop d'hémoglobine, les pauvres lecteurs qui se trouvaient là.
Et puis la question survient, d'un coup.
"Where is Jessica Hyde?"
Cette question. Cette question, elle va revenir souvent, tout au long de la série, et cette façon qu'a Arby de la prononcer fait presque à elle seule toute la force de la série. Where. Is. Jessica. Hyde. Lèvres entrouvertes, respirant visiblement par la bouche, démarche pataude et pourtant infiniment plus menaçant qu'aucun autre personnage de la série, et c'est peu dire. 'Faut dire que le pauvre bonhomme a été amené à massacrer les ennemis de son père dès son plus jeune âge.
Mais là où Utopia fait fort, c'est que ce personnage, ce malade mental qui tue sans sourciller, qui effraye de par l'incompréhension qu'il suscite et sa terrible froideur, on va peu à peu nous le présenter autrement, on va peu à peu s'attacher à lui. C'est un monstre, et, merde, on réalise que ce monstre, on commence à l'apprécier. On lui trouve des excuses. La pensée "le pauvre" m'est même passé par la tête. Lui qui n'hésite pas à massacrer et torturer, on fini par s'apitoyer sur son sort. Finalement, sa monstruosité, on commence à l'apprécier.
ça va, je passe pas trop pour un dingue, là? Bon, ok, on continue.

Arby et son co-équipier font donc un duo de choc, efficace et qui va réellement donner un gros plus à la série. Sérieusement, ils y sont pour beaucoup dans ma note. Qu'en est-il des autres personnages?
Au début, on a un peu peur. J'étais assez content de retrouver Curtis de Misfits devenu Ian, informaticien un peu raté qui vit encore chez sa mère à 30 balais, mais son personnage a eu du mal à me convaincre. Becky ne vaut pas mieux, femme insipide qui ne sert pas à grand chose à part apporter les premiers bouts d'éléments de réponse. Quand à Wilson, et bien, celui-là vaut un peu mieux que les autres, il fait un bon personnage secondaire et joue parfaitement son rôle. Les gosses (Grant et Alice) sont touchants et plus débrouillards qu'on ne pourrait le croire, et même si la tête que tire Grant en goth' est vraiment affreuse, ça fait toujours plaisir de le voir à l'écran. Il tire très bien son épingle du jeu.
Ces personnages, notamment Ian, Becky et Wilson, sont les antihéros de notre histoire. Il faut ajouter à ce trio la fameuse Jessica Hyde, mais je reviendrai sur ce personnage plus tard.
Vu le peu de charisme des personnages, c'était mal parti. Ce trio ne semble pas fonctionner. Infiniment moins convaincant qu'Arby et son coéquipier, on imagine difficilement devoir les suivre durant six heures.
Et pourtant...la sauce prend. Les antihéros ne deviennent pas vraiment des héros, ils foirent la moitié de ce qu'ils entreprennent, mais se démerdent pour arriver à leurs fins. On les sent perdus au milieu de ce merdier qu'est Utopia, et finalement, c'est leur banalité qui les rapproche de nous. On aurait peut-être bien réagit comme eux au long de leurs aventures. Personnellement, je pense juste que je me serait fait flinguer avant la fin.
Mais là où la série fait fort, c'est qu'on réalise peu à peu que ces personnages principaux ne sont là que pour nous permettre de découvrir le scénario. Ils ne sont là que pour mettre en lumière Arby et son partenaire, que pour mettre en lumière le Network, Milter, Jessica Hyde. Si on devait simplifier les choses, s'ils devaient représenter le "bien", alors le "bien" ne serait là que pour montrer à quel point le "mal" est plus intéressant, plus superbe, plus parfait. Encore que cette comparaison est vraiment pas terrible au vu du scénario.

Et Jessica Hyde? Jessica Hyde est l'héroïne badass par excellence. Elle semble fragile mais tout le monde la craint. Seul Arby semble rivaliser avec elle. Et pourtant sa fragilité n'est pas qu'une apparence, les fêlures sont là, dans son passé. Elle est tout aussi dingue qu'Arby et encore une fois Utopia nous rapproche d'un des personnages les plus malsains de la série. Jessica Hyde est un mystère, where is Jessica Hyde? I don't know, BANG, le mystère reste complet. Même lorsqu'elle est à l'écran, on ne sait rien de Jessica Hyde. On ne la comprend pas. On ne peut pas. Au mieux on comprend ses intentions, ses raisons, mais elle reste inaccessible.

Reste ce fonctionnaire du ministère de la santé, dont j'ai encore une fois totalement oublié le nom...Ah oui, Michael, je crois. Ce fonctionnaire, au début on le prend pour un looser, en fait, c'est un looser, ou plutôt quelqu'un de banal, à l'instar des trois autres antihéros...pourtant lui aussi va mener son enquête, lui aussi va risquer sa peau à plusieurs reprises, va chuter, s'élever, chuter à nouveau. Plus charismatique, je me suis davantage attaché à Michael. Michael est typiquement le genre de type un peu paumé que n'importe qui pourrait devenir sans y prendre garde.

Et ensuite? Ensuite on a une belle ribambelle de dangereux psychopathes, espions jusqu'au bout des ongles, traitres et ne servant que leurs propres idéaux. Et bon sang, ça fonctionne à merveille. Tous les personnages se noient dans ce parfait mélange, et les personnages principaux, ceux qui nous ressemblent le plus, nous révèlent à quel point ceux qui dominent, ceux qui sont derrière ce terrible complot, sont fabuleux. À tel point qu'on ne sait plus où est le bien et le mal, dans tout ça. En fait, il n'y a pas de bien ou de mal. C'est là que Ian et Becky perdent en crédibilité, lorsqu'ils considèrent si vite que le projet Janus est mauvais, Wilson hésite. Et comme on le comprend. Comme on aurait hésité nous aussi. Comme j'aurai hésité.
Cette nouvelle théorie du complot ne réussit pas tant par toutes les qualité énumérées plus haut. Elle réussit par ses personnages, qui en viennent à nous faire douter : qui sont les véritables héros? Quelle cause mérite d'être soutenue?
Ce sont véritablement les personnages qui vont donner sens à cette intrigue, par leurs réactions, par leurs trahisons, par leur implication. Ce sont eux qui vont faire d'Utopia une série incroyable, ce sont eux qui vont vous happer et qui ne vous relâcheront pas de si tôt, parce qu'avec une fin comme ça, mes petits, je n'attendais plus qu'une chose, à la fin du générique.
La suite.
wildsevens
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le 9 juil. 2013

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